Tout bascule, il y a 60 ans, avec la pose des premiers barbelés dans la nuit du 12 au 13 août 1961 : l’opération "Muraille de chine" est lancée. Vers deux heures du matin, 14.500 membres des forces armées soviétiques sont déployés dans les rues berlinoises. Ils bloquent tous les chemins routiers et ferrés menant à l’ouest de la ville. Toute la nuit, ils s’affairent à créer une frontière physique à Berlin entre la RDA, l’Allemagne de l’Est, et la RFA, l’Allemagne de l’Ouest, à coups de barbelés et barrières provisoires. Le mur est bétonnisé dès le 15 août.
Le réveil du 13 août est particulier pour les Allemands, et bien différent selon le côté où ils se trouvent. A l’Est, la surprise n’est pas de mise. Ce que raconte Saskia Hellmund, dont la mère a vécu l’évènement : "A l’Est, tout le monde s’en doutait, vu que ça ne se passait pas bien entre les Américains et les Russes. Depuis des mois, la rumeur courait. Partout, les gens se disaient : 'ils vont fermer, ils vont fermer'. C’était donc le moment ou jamais de partir. Mes parents ont vu des gens s’en aller pour Berlin et ne pas revenir. C’était plutôt une surprise pour le monde occidental : il ne s’y attendait pas."
Côté Ouest justement, c’est le choc. Jusqu’à ce 13 août, les gens en parlent, mais sans croire une telle entreprise possible. Même le bourgmestre de Berlin-Ouest de l’époque, Willy Brandt, ne semble pas comprendre la mesure de ce qui est en train de se jouer lorsqu’il annonce lors d’une interview quelques jours plus tard :
Depuis 1945 c’est la plus profonde cassure qui se soit produite entre les deux Allemagne et il faudra sans doute plusieurs jours pour mesurer l’ampleur des conséquences de part et d’autre, des conséquences psychologiques et économiques.
Peu importe où chacun se trouve finalement, le résultat est le même ce jour-là pour Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la RDA, et auteur notamment du livre Le pays disparu, sur les traces de la RDA : " Qu’il y ait des surprises ou non, partout règnent l’inquiétude, l’angoisse et la peur de la suite, même chez des gens favorables au régime communiste : ils sentent que quelque chose se durcit et que, du point de vue des relations interpersonnelles, la suite va être très compliquée, voire très triste pour ceux qui seront séparés."
Pendant 28 ans, effectivement, des familles, couple, amis vont être séparées par le Mur. Il est redoutable dans sa mission première de contenir l’exode des Allemands de l’est. Pendant toute la durée de vie du "mur de la honte", seules 5000 personnes environs parviendront à le traverser. 140 personnes y trouveront la mort. Les foyers divisés ne pourront se retrouver qu’à sa chute, le 9 novembre 1989.