13 août 1961: il était une fois le mur, le début de 28 ans de séparation à Berlin

Les différences entre l’Est, communiste, et l’Ouest, capitaliste, sont bien perceptibles sur les affiches qui ornent Berlin en 1961.

© Getty Images

Dans la nuit du 13 août 1961, la RDA érigeait les premières fondations du mur de Berlin, divisant la ville en deux pendant 28 ans. Que s’est-il passé lors de cette nuit, il y a 60 ans ? Quels sont les évènements qui ont mené à cette construction ?

Une véritable forteresse : deux murs bétonnés de près de 4 mètres de haut, 302 miradors, 14.000 gardes, 600 chiens. Des deux côtés, des familles séparées, des destins bouleversés et des tentatives de traversées échouées. Indéniablement, le mur de Berlin aura marqué les esprits. L’incarnation de la guerre froide en un seul lieu.

L’opération "Muraille de Chine"

Tout bascule, il y a 60 ans, avec la pose des premiers barbelés dans la nuit du 12 au 13 août 1961 : l’opération "Muraille de chine" est lancée. Vers deux heures du matin, 14.500 membres des forces armées soviétiques sont déployés dans les rues berlinoises. Ils bloquent tous les chemins routiers et ferrés menant à l’ouest de la ville. Toute la nuit, ils s’affairent à créer une frontière physique à Berlin entre la RDA, l’Allemagne de l’Est, et la RFA, l’Allemagne de l’Ouest, à coups de barbelés et barrières provisoires. Le mur est bétonnisé dès le 15 août.

Le réveil du 13 août est particulier pour les Allemands, et bien différent selon le côté où ils se trouvent. A l’Est, la surprise n’est pas de mise. Ce que raconte Saskia Hellmund, dont la mère a vécu l’évènement : "A l’Est, tout le monde s’en doutait, vu que ça ne se passait pas bien entre les Américains et les Russes. Depuis des mois, la rumeur courait. Partout, les gens se disaient : 'ils vont fermer, ils vont fermer'. C’était donc le moment ou jamais de partir. Mes parents ont vu des gens s’en aller pour Berlin et ne pas revenir. C’était plutôt une surprise pour le monde occidental : il ne s’y attendait pas."

Côté Ouest justement, c’est le choc. Jusqu’à ce 13 août, les gens en parlent, mais sans croire une telle entreprise possible. Même le bourgmestre de Berlin-Ouest de l’époque, Willy Brandt, ne semble pas comprendre la mesure de ce qui est en train de se jouer lorsqu’il annonce lors d’une interview quelques jours plus tard :

Depuis 1945 c’est la plus profonde cassure qui se soit produite entre les deux Allemagne et il faudra sans doute plusieurs jours pour mesurer l’ampleur des conséquences de part et d’autre, des conséquences psychologiques et économiques.

Peu importe où chacun se trouve finalement, le résultat est le même ce jour-là pour Nicolas Offenstadt, maître de conférences en histoire à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de la RDA, et auteur notamment du livre Le pays disparu, sur les traces de la RDA : " Qu’il y ait des surprises ou non, partout règnent l’inquiétude, l’angoisse et la peur de la suite, même chez des gens favorables au régime communiste : ils sentent que quelque chose se durcit et que, du point de vue des relations interpersonnelles, la suite va être très compliquée, voire très triste pour ceux qui seront séparés."

Pendant 28 ans, effectivement, des familles, couple, amis vont être séparées par le Mur. Il est redoutable dans sa mission première de contenir l’exode des Allemands de l’est. Pendant toute la durée de vie du "mur de la honte", seules 5000 personnes environs parviendront à le traverser. 140 personnes y trouveront la mort. Les foyers divisés ne pourront se retrouver qu’à sa chute, le 9 novembre 1989.

La frontière invisible entre la RDA, communiste, et la RFA, capitaliste, se matérialise le 13 août 1961 : soldats et barbelés sont déployés.
La frontière invisible entre la RDA, communiste, et la RFA, capitaliste, se matérialise le 13 août 1961 : soldats et barbelés sont déployés.
La frontière invisible entre la RDA, communiste, et la RFA, capitaliste, se matérialise le 13 août 1961 : soldats et barbelés sont déployés.
La frontière invisible entre la RDA, communiste, et la RFA, capitaliste, se matérialise le 13 août 1961 : soldats et barbelés sont déployés.
La frontière invisible entre la RDA, communiste, et la RFA, capitaliste, se matérialise le 13 août 1961 : soldats et barbelés sont déployés.

Communisme vs capitalisme

Pour comprendre cette construction, il faut remonter le temps. Car loin d’être le résultat d’une impulsion soviétique, le "mur de la honte" s’est bâti dans les esprits bien avant ce fameux 13 août 1961.

En 1948, l’Allemagne vaincue, passe aux mains des Alliés. "La ville de Berlin est un cas tout à fait particulier parce qu’elle va être occupée par les Alliés. Les Français, les Anglais, les Russes et les Américains occupent chacun une zone. Progressivement, avec les tensions de la guerre froide, les choses vont se réduire à deux zones : une zone occupée par les Soviétiques, à l’Est, et une zone à l’Ouest occupée par les Alliés qui ont fusionné l’ensemble de leurs zones", relate Nicolas Offenstadt.

La zone de la RFA présente à Berlin est une enclave dans le paysage de la RDA.
La zone de la RFA présente à Berlin est une enclave dans le paysage de la RDA. © AFP

D’une zone à l’autre, la vie n’est pas la même. A l’Est, dans la République démocratique allemande (RDA), le joug soviétique impose un train de vie communiste. La ville est vue par le Parti comme un lieu de pouvoir. Sous couvert de démocratie populaire, Berlin-Est est surtout sous l’égide d’un régime autoritaire. En face, à l’Ouest, la République fédérale d’Allemagne (RFA), fait figure d’îlot de liberté et il y règne un vent de capitalisme. A cela s’ajoute la particularité géographique de Berlin : la ville se trouve sur le territoire de la RDA. La zone de RFA à Berlin fait donc figure d’enclave dans le paysage.

Berlin, de fait, est le lieu de l’affrontement entre deux visions du monde relativement opposées, comme le souligne Nicolas Badalassi, maître de conférences en histoire à Sciences Po Aix, spécialiste de la guerre froide et des relations internationales :

Les Soviétiques ne supportent plus de côtoyer Berlin-Ouest, qui est une vitrine du capitalisme en plein bloc de l’Est. Cela discrédite leur modèle communiste parce que les gens peuvent aller au cinéma, peuvent sortir, alors qu’en RDA, ce n’est pas permis.

Ce voisinage forcé dérange d’autant plus que le régime soviétique constate, impuissant, la fuite de beaucoup d’Allemands de l’Est vers l’ouest. Ce passage se fait sans trop de difficulté puisqu’avant 1961, il n’existe pas de réelle frontière : il est possible de passer de Berlin-Ouest à Berlin-Est, et inversement, en prenant simplement le métro ou le train. Cet exode de population est un véritable problème pour le régime : trois millions de personnes quittent la RDA entre 1949 et 1961. L’hémorragie est en court et le bloc soviétique doit absolument trouver un moyen de la contenir.

Berlin 89 : Ils y étaient !

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1958, l’année du virage

La solution est toute trouvée pour Nikita Khrouchtchev, le premier secrétaire du parti communiste. En 1958, il pose un ultimatum aux Occidentaux : il leur propose de quitter l’Allemagne dans les six mois pour que Berlin retrouve un visage démilitarisé. Evidemment, la France, le Royaume-Unis et les Etats-Unis refusent. Berlin est le symbole de la victoire de 1945, ils ne comptent pas y renoncer. C’est le début de la crise.

"Pendant trois ans, on va avoir une succession de rencontres, d’annulation d’évènements, de sommets, d’accrochage entre l’est et l’ouest. Pour les Occidentaux, il s’agit d’éviter de partir tandis que du côté soviétique, il faut faire en sorte que les Occidentaux s’en aillent. Les Occidentaux résistent : les Américains, les Français et les Anglais ne veulent pas partir", explique Nicolas Badalassi.

Les Soviétiques pensent de plus en plus à isoler Berlin-Ouest pour compenser ce refus. Ils n’ont pas les moyens d’entrer en guerre. Ils ont cependant une autre idée en tête, moins coûteuse mais redoutable : en août 1961, l’ordre est donné de construire un mur.

Aujourd’hui encore, le Mur est présent à certains endroits de la ville.
Aujourd’hui encore, le Mur est présent à certains endroits de la ville.

Aujourd’hui encore, un mur dans les esprits

Aujourd’hui, malgré que le mur de Berlin ait été aboli depuis longtemps, la ville et ses habitants en portent encore des stigmates. Le paysage et les mentalités sont encore parfois peinturlurés de restes de RFA et RDA. Des morceaux du Mur garnissent le paysage pour que la mémoire perdure. Ils sont d’ailleurs pour la plupart recouvert d’œuvres de street art, comme pour symboliser la nouvelle vie du mur.

Le reste de la ville est également un témoin direct de son histoire : "On voit très bien en se baladant dans Berlin que l’Est s’est développé beaucoup plus lentement que l’ouest. En matière de loisir par exemple : les cinémas, salles de spectacle, centres commerciaux sont principalement concentrés à l’ouest de Berlin, héritages direct du capitalisme anglo-saxon qui s’y est développé après 1945. De plus, à l’Est, on a plus de friches industrielles et d’espaces laissés vacants, même si depuis quelques années, toute cette zone est en train d’être réhabilitée", constate Nicolas Badalassi.

Saskia Hellmund, qui a d’ailleurs décrit son enfance en RDA dans le livre La fille qui venait d’un pays disparu. La chute du Mur vu de l’Est, remarque elle aussi cet héritage. Il est encore bien prégnant dans les esprits : "Il existe une nostalgie dans l’est du pays. Dès que l’on tombe sur un vestige de la RDA, une Trabant [la voiture emblématique en RDA, ndlr] par exemple, c’est l’occasion de se rappeler cette époque. Certaines personnes regrettent la RDA. Elles ont malheureusement oublié que c’était une dictature et que ce n’était pas marrant tous les jours. Mais d’une certaine manière, je les comprends : à cette époque, le chômage, les fins de mois difficiles, la pauvreté n’existaient pas, et tout le monde avait accès au soin sans problème. En 1989, on a gagné en liberté, mais on a perdu en sécurité sociale."

60 ans après sa construction et 31 ans après sa chute, le mur de Berlin n’a pas fini de marquer les esprits.

 

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