Misia est une enfant prodige. Elle n’a que huit ans quand elle a l’occasion de jouer pour Franz Liszt, qui vient parfois chez sa grand-mère quand il est de passage en Belgique. Elle confie : "Je revois très nettement le visage de Liszt, encadré de longs cheveux". À cette époque, Liszt était un vieil homme. Et Misia était si jeune que ses pieds n’atteignaient naturellement pas les pédales. Liszt la prenait sur ses genoux pour lui faire jouer du piano. En la reposant à terre, il disait : "Ah ! Si je pouvais encore jouer comme cela". Quant à Misia, elle dit que ce vieil homme lui faisait peur.
Quand Misia était petite, elle adorait quand un joueur d’orgue de barbarie passait dans la rue. Elle guettait fiévreusement sa venue parce que sa musique l’enivrait. Elle confie : "Je voulais absolument lui manifester ma gratitude mais je ne possédais pour toute fortune qu’un petit cochon en or tellement adoré que l’idée de m’en séparer était un crève-cœur. Après bien des soupirs, j’ai cependant décidé d’en faire cadeau à mon ami de l’orgue et un jour je le lui ai lancé du balcon. Son regard m’a prouvé qu’il mesurait bien toute l’étendue de mon sacrifice."
Le père de Misia se remarie et en 1880, il s’installe à Paris et y fait venir ses enfants. Misia découvre sa belle-mère avec laquelle elle ne s’entend pas. Misia se réfugie dans la musique. Elle fait preuve de tels dons musicaux que son père décide de lui faire prendre des leçons du piano. Elle aura comme professeur, Gabriel Fauré, qui fréquente le salon parisien de la famille à Paris. Les leçons de piano chez Gabriel Fauré sont pour Misia le seul jour heureux de la semaine.
Elle confie que le merveilleux enseignement de Fauré lui a donné du piano une connaissance si profonde qu’elle en a tiré de très grandes joies pendant sa vie entière. Misia raconte : "Fauré m’avait connue à Valvins, où mon père avait acheté une maison à côté de celle de Mallarmé. Fauré m’a entendu quand je n’avais que six ou sept ans. Il a été tellement étonné qu’il a prié mes parents de lui confier mes études musicales." Misia ajoute : "Telle a été une des chances de mon existence. Son enseignement a consisté en grande partie à jouer pour moi. Il a vite compris que je saisissais et que je retenais les nuances de son art : une seule phrase d’une sonate de Beethoven qu’il avait choisie avec amour m’apprenait une fois pour toutes la respiration".
Les relations entre Misia et sa belle-mère sont très difficiles. En 1882, sa belle-mère se débarrasse de la petite fille, âgée de 10 ans, en la confiant aux Sœurs du Sacré-Cœur de Jésus, dans l’actuel musée Rodin. Misia écrit : "De mes sept années de Sacré-Cœur, qui m’apparaissent comme un triste tunnel, Fauré, avec sa gentillesse, la joie que je lisais dans ces yeux au fur et à mesure de mes progrès, est le seul point lumineux." Le père de Misia perd sa nouvelle femme. Il se marie rapidement avec une autre, la marquise de Gauville et tous deux se fixent à Bruxelles. Quand Misia retourne en Belgique, vivre chez eux, les choses dégénèrent avec sa belle-mère, au point que Misia quitte la maison à 14 ans, une nuit. Elle demande à un ami de son père de lui donner de l’argent, et elle va jusqu’en Angleterre. Elle vit dans une pension de famille et se procure très vite un piano droit qui entre dans sa petite chambre. Ensuite, elle rejoint Paris, où elle gagne sa vie en donnant des leçons de piano à des élèves que lui procure Gabriel Fauré.