Le temps d'une histoire

1945, les enfants du chaos et les peuples du chaos avant

Les enfants du chaos.

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" 1945, les enfants du chaos ", c’est le titre du très intéressant documentaire que Patrick Weber vous propose ce 25 novembre dans " Le temps d’une histoire ". À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, douze millions d’enfants sans foyer errent dans les décombres de l’Europe… Beaucoup d’entre eux perdront leur identité au nom de la démographie ou par crainte d’un endoctrinement aux idées communistes…

Mais avant même cette errance, combien d’enfants ont perdu la vie pendant la guerre, à cause de leur appartenance à une religion ou une ethnie ? L’encyclopédie de la Shoah signale que " les Allemands et leurs collaborateurs tuèrent au moins 1,5 million d’enfants, y compris plus d’un million d’enfants juifs, des dizaines de milliers d’enfants tziganes, des enfants allemands handicapés physiques et mentaux, des enfants polonais ainsi que des enfants d’Union soviétique occupée. "

Des enfants prisonniers à Auschwitz, dont, au centre en haut, Mamet Merenstein, un Juif portant le numéro 62473.
Des enfants prisonniers à Auschwitz, dont, au centre en haut, Mamet Merenstein, un Juif portant le numéro 62473. © Tous droits réservés

Si ce sont clairement les enfants juifs qui ont payé le plus lourd tribut à la folie exterminatrice du IIIe Reich allemand, avec eux, c’est tout un peuple qui a failli disparaître. Et les Juifs ne sont pas les seuls. D’autres ethnies, d’autres peuples, d’autres groupes ont été la cible d’Hitler et de ses sbires à des degrés divers. En termes de nombre de disparus, la deuxième population européenne à avoir fait les frais de la barbarie nazie, ce sont les Tziganes, un génocide parfois oublié…

Le Parojamos ou Samudaripen

Parojamos et Samudaripen, deux termes qui, à l’instar d’Holocauste ou Shoah, désignent le génocide des Tziganes par l’Allemagne d’Hitler. Ce sont au moins 200.000 d’entre eux qui ont été exterminés du fait que, bien que considérés comme de race aryenne par leur origine indo-européenne, les Roms étaient " impurs " car regardés comme corrompus par le métissage.

Une jeune tzigane lors de son arrivée à Auschwitz-Birkenau, le 10 octobre 1943.
Une jeune tzigane lors de son arrivée à Auschwitz-Birkenau, le 10 octobre 1943. © Auschwitz-Birkenau State Museum Archives

Dès 1933, les Tziganes, qu’ils soient sédentaires ou itinérants, sont envoyés en camps de concentration, principalement à Buchenwald et Dachau. Trois ans plus tard, c’est Arthur Nebe, un haut gradé de la SS qui engage une campagne d’arrestations : tout rom – homme, femme ou enfant – vivant en Allemagne et ayant au moins un grand-parent tzigane, est passible de perdre sa liberté !

Lors de l’annexion de certaines régions ou de pays comme l’Autriche, les sinistres " Einsatzkommandos ", commandos d’intervention dépendant des unités de la police politique militaire du Reich, cibleront les Tziganes : pour cette catégorie ethnique, c’est la mort assurée.

En 1942, Heinrich Himmler décide de déporter tous les Roms vivant dans le Reich. Malgré les rares exceptions prévues, tels les soldats intégrés à l’armée allemande, peu y échappent. Leur destination : Dachau, Buchenwald, Ravensbrück… mais aussi Auschwitz-Birkenau, Chelmno, Sobibor et Treblinka, camps d’extermination de sinistre mémoire…

Richard Baer, commandant d’Auschwitz (1944-1945), le docteur Josef Mengele et Rudolph Höss, commandant d’Auschwitz (1940-1943).

À Auschwitz, Josef Mengele débute ses recherches et expérimentations sur les Tziganes. Une fois éliminés, il continuera sur d’autres " races ". C’est dans ce même camp que beaucoup d’enfants roms sont " étudiés " par certains spécialistes, telle Eva Justin qui défendra sa thèse en anthropologie sur les caractéristiques raciales des Tziganes en 1944.

À l’issue de ces recherches, les enfants seront gazés… Entre 5.000 et 7000 enfants tziganes disparaîtront ainsi. Les spécialistes estiment que c’est environ un quart de la population tzigane européenne qui a été exterminée sous le IIIe Reich.

La répression contre les homosexuels

La déportation des homosexuels sous le régime hitlérien trouve ses origines dans le mouvement homophobe plus large, né vers la fin du XIXe siècle en Europe. Depuis 1871, l’article 175 du Code pénal allemand (en vigueur, avec des variations, jusqu’en 1968 pour la RDA et 1969 pour la RFA) prévoyait la prison et la perte des droits civiques pour actes sexuels entre hommes… Ce qui n’empêchera pas Berlin d’être considérée comme " capitale homosexuelle " sous la République de Weimar, tant les établissements de divertissement du genre y étaient nombreux et reconnus.

« Prometheus », par Arno Brecker, 1934. territoire-mémoires.be

La volonté de retour à l’ordre prôné par le national-socialisme, va engendrer une définition et une délimitation de la " normalité " : les " invertis ", loin de l’idéal viril du Reich, en seront exclus car ce type de sexualité ne pouvait contribuer à la perpétuation de la race aryenne. Pourtant, l’art nazi ou encore les relations de camaraderie des SA, des SS et des Jeunesses hitlériennes, filmées entre autres par Leni Riefenstahl, seront bien souvent… homoérotiques. Mais il ne fallait voir là que l’exaltation du corps de l’Aryen ou la solidarité masculine à des fins politiques…

Egon Wüst.

Le célèbre danseur Egon Wüst est envoyé à Dachau, dès l’ouverture de ce camp en 1933, année même où débute la répression contre les homosexuels désormais considérés comme " anormaux ".

Vers 1934, Ernst Röhm à son bureau, avec son chef d’état-major, Graf Spreti.

Pourtant, les élites nazies comptaient bien des homosexuels dans leurs rangs, des rumeurs courront même sur Hitler en personne… Homosexuel avéré, Ernst Röhm, l’un des chefs de la SA, était membre du BfM, groupement homo prônant les droits de l’homme. Il sera arrêté lors de la " Nuit des Longs couteaux ", appelée en allemand, " Röhm-Putsh ", du 30 juin au 2 juillet 1934 : Himmler et Heydrich avaient monté de toutes pièces un dossier prouvant sa participation à un pseudo-complot contre le gouvernement. Arrêté par Hitler en personne, le 30 juin à Bad Wiessee, Röhm est emprisonné. Le 1er juillet, il lui est demandé de se suicider, il refuse :

Si je dois être tué, laissez Adolf le faire lui-même

Dix minutes plus tard, il sera froidement abattu.

John Walter, homosexuel déporté à Auschwitz en 1941.
John Walter, homosexuel déporté à Auschwitz en 1941. © Mémorial de la Shoah/Collections du Musée d’Auschwitz

L’article 175 est renforcé en 1935, mais c’est à la fin de l’année suivante que la répression prend sa vitesse de croisière. Les homosexuels sont alors fichés, certains d’entre eux sont choisis par Goering pour faire l’objet de recherches médicales. Si le nombre de procès pour délit homosexuel ne cesse d’augmenter jusqu’en 1939, à partir du début de la guerre, la répression envers les " invertis " n’entre plus dans les priorités.

Affiche en langue allemande représentant la classification des insignes portés par les détenus dans les camps de concentration.

Le Reich n’a jamais envisagé l’extermination des homosexuels, elle devait se faire naturellement. Ceux qui étaient condamnés au titre de l’article 175 échouaient en camp de concentration où ils devaient porter le signe distinctif du triangle rose. Entre 1935 et 1945, sur les 50.000 hommes poursuivis pour acte homosexuel, entre 5.000 et 15.000 seront internés. Leur grande majorité y trouvera la mort.

" 1945, les enfants du chaos ", à voir dans " Le temps d’une histoire ", ce vendredi 25 novembre à 22h40, sur La Une.

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