Le parquet fédéral a requis mercredi matin, devant le tribunal correctionnel de Bruges, une peine de 15 ans d'emprisonnement à l'encontre de Vo Van Hong, suspecté de diriger une organisation criminelle de trafic d'êtres humains. Le Vietnamien âgé de 45 ans comparaît à la suite de l'enquête menée sur la mort de 39 migrants vietnamiens, dont les corps avaient été retrouvés dans un camion réfrigéré en 2019 à Grays, dans le comté de l'Essex au sud de l'Angleterre.
Vingt-deux autres personnes sont prévenues dans cette affaire. Le parquet a requis à leur encontre entre un et 10 ans de prison.
La procureure fédérale Ann Lukowiak considère que Vo Van Hong est bien le dirigeant d'une organisation criminelle et a donc demandé au tribunal de lui infliger une peine de 15 ans de prison ainsi qu'une amende de 920.000 euros. Elle a également requis la saisie de près de 2,3 millions d'euros. Le quadragénaire pourrait être relié au trafic de 115 victimes. Il aurait été à la tête de la cellule belge d'une organisation de passeurs et aurait été en contact avec des coordinateurs à Berlin et à Paris. Il s'occupait également de s'assurer que les personnes migrantes arrivent à temps au lieu de leur chargement et décidait qui pouvait partir. Personnage-clé de l'organisation, il donnait aussi les instructions de paiement.
N. Long, 46 ans, a également joué un rôle important dans le réseau de trafiquants d'êtres humains, selon le ministère public. La procureure a requis à son encontre 10 ans de prison, 480.000 euros d'amende et la saisie de 380.000 euros. Le prévenu était, selon le réquisitoire du parquet, impliqué dans les décisions de l'organisation et aurait gagné en importance après le charnier dans l'Essex. Après un temps de pause, les activités de trafic d'êtres humains avaient simplement repris.
Propriétaires de caches et chauffeurs de taxi
La plupart des autres prévenus sont vus comme des membres de l'organisation criminelle. Il s'agit notamment de propriétaires de caches à Anderlecht ou de chauffeurs de taxi qui transportaient les migrants. Ceux dont le rôle est considéré comme important encourent entre trois et huit ans de prison tandis que ceux dont le rôle est considéré comme mineur risquent des peines de prison entre un et deux ans et des amendes de 8.000 euros.
Le 23 octobre 2019, les corps sans vie de 39 Vietnamiens, dont trois mineurs d'âge, avaient été découverts dans un camion réfrigéré à Grays, dans le comté de l'Essex au sud de l'Angleterre. Il était rapidement apparu que le conteneur était arrivé la veille, à 14h49, au port de Zeebrugge. Il avait ensuite quitté le port belge dans le courant de l'après-midi pour arriver dans la nuit à Purfleet.
Durant son réquisitoire, Ann Lukowiak a également retracé la manière dont elle avait été informée de l'affaire, le 23 octobre 2019. La procureure fédérale s'était rendue avec deux enquêteurs en Angleterre. "L'empreinte ensanglantée sur la porte du conteneur réfrigéré était un témoin silencieux de ce qu'il s'était passé", a-t-elle confié. Une collaboration judiciaire internationale s'était d'ailleurs rapidement mise en place, qui a mené au Royaume-Uni et au Vietnam à des condamnations. Un procès doit également encore être organisé en France.
Les victimes avaient déboursé en moyenne plus de 12.000 euros pour leur voyage clandestin depuis la Russie vers l'Europe. Ensuite, un même montant a encore dû être dépensé pour rejoindre le Royaume-Uni. La plupart des migrants ont été hébergés à Berlin avant d'être envoyés vers Bruxelles ou Paris. La traversée de la Manche était sous-traitée par l'organisation criminelle à une entreprise de transport irlandaise, qui transportait des biscuits la plupart du temps. Le 22 octobre 2019, le camion transportait d'ailleurs officiellement des biscuits.
Au total, l'enquête a pu retracer 130 transports de migrants. Deux entrepôts à Anderlecht jouaient un rôle crucial en Belgique. Un précédent dossier bruxellois avait démontré que déjà pendant l'été 2018, des personnes sans papier y étaient emmenées. Des valises avec des documents, notamment de personnes mineures d'âge interceptées en décembre 2018 lors d'un transport clandestin, avaient été retrouvées dans le grenier d'un de ces entrepôts. Lorsque les hébergements étaient pleins, les migrants étaient placés chez des complices.
Ann Lukowiak a également décrit comment l'organisation avait tout mis en place pour rester hors des radars. La procureure a aussi souligné la gravité des faits. "Ils se nourrissent de l'espoir et du désespoir de personnes à la recherche d'un avenir meilleur. Les faits sont honteux, moralement répréhensibles et particulièrement dégoûtants. Cela témoigne d'une attitude socialement répréhensible et d'un manque de sens des normes très inquiétant."
Les proches des victimes réclament un dédommagement moral de 50.000 euros
Des proches des 39 Vietnamiens, retrouvés morts en 2019 dans un camion réfrigéré en Angleterre, ont réclamé mercredi au tribunal correctionnel de Bruges un dédommagement moral de 50.000 euros.
Me Raphael Fleischer, qui représente certains proches des victimes, a pointé des "faits d'une nature terrible, qui ne peuvent être décrits autrement. C'est dégoûtant de voir comment ces personnes ont été gardées dans des caches".
Le conseil a poursuivi en évoquant des violences délibérées. "Ces personnes sont mortes étouffées. Ce sont des actes de violence intentionnels ayant entraîné la mort." Dans sa plaidoirie, il a également souligné que les proches avaient subi des dommages mentaux, physiques, émotionnels et financiers, mettant en exergue qu'ils avaient dépensé beaucoup d'argent pour permettre à leurs enfants d'accéder une vie potentiellement meilleure en Europe. Des dommages et intérêts pour tort moral de 50.000 euros ont été réclamés.
Le centre fédéral migration Myria et PAG-ASA, une ASBL qui s'occupe de victimes de trafic d'êtres humains, se sont aussi portés civiles dans cette affaire et ont réclamé des dédommagements à hauteur de 5.000 euros chacune. Leurs avocats ont insisté sur le voyage épuisant et interminable des victimes, traitées comme de la volaille, ce qui démontre à quel point, selon eux, les prévenus ont déshumanisé les migrants.
Les conseils ont également affirmé que le coût estimé pour passer en Europe (aux alentours de 12.000 euros pour arriver sur le continent et la même somme pour traverser la Manche) était en dessous de la réalité. L'enquête a montré en outre que certaines victimes ont non seulement payé plus cher mais ont aussi dû piocher dans leur bourse pour payer leur taxi vers leur refuge par exemple. Des packages VIP, plus chers, étaient également proposés pour voyager dans la cabine du chauffeur du poids-lourd.
Le rôle des chauffeurs de taxis, qui amenaient les victimes vers les caches, a aussi été pointé du doigt. "Ils ne pouvaient pas ne pas savoir ce qu'il se passait", a déclaré Me Arnou.