Cinéma

40 ans après sa sortie, le documentaire "Koyaanisqatsi" fascine toujours

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Il n’est pas si fréquent qu’un documentaire expérimental sans narration et sans dialogue fasse irruption en salle, et encore moins qu’il marque durablement l’imaginaire collectif. Célébré, imité, parodié, récompensé et régulièrement projeté dans des cinémathèques à travers le monde depuis son achèvement en 1982, "Koyaanisqatsi" est un improbable film culte, une œuvre singulière dans l’histoire du cinéma, dont la forme semble, de prime abord, ne pas aller de pair avec son succès.

Si le film a rencontré une telle popularité, c’est peut-être justement par la radicalité de son dispositif. Le film se concentre sur les Etats-Unis, mais son absence de dialogue le rend universel : c’est un film qui peut être vu et projeté dans n’importe quel pays du monde, et dans n’importe quelle langue. Les seuls éléments à traduire sont en hopi, une langue uto-aztèque qu’on peut entendre dans les " prophéties " chantées à travers le film. Le reste du film repose sur la puissance de ses images, de ses sons et de sa musique, qui dépassent les frontières.

Le principe de "Koyaanisqatsi" est d’ailleurs relativement simple : il s’agit, ni plus ni moins, d’un montage d’images récoltées à travers les Etats-Unis, ralenties ou accélérées. Dans la grandiose vision du cinéaste Godfrey Reggio se mélange le Grand Canyon, un quartier pauvre de Brooklyn, une centrale nucléaire en Californie, des nuages qui circulent dans le ciel, des portraits de personnes anonymes, des fresques ancestrales et bien d’autres fragments de constructions humaines grandissantes et de paysages naturels gigantesques et immémoriaux. Brèves ou contemplatives, ces images forment un flux hypnotique et vertigineux – en particulier celles qui se focalisent sur le milieu urbain. Envahi de routes, de voitures, de gratte-ciel et de gens, le monde moderne capté par Godfrey Reggio et le directeur de la photographie Ron Fricke est une source incessante de fascination. Ses larges plans accélérés font de nous de minuscules fourmis dans un monde gigantesque, des jets de lumières qui n’ont de cesse de se mouvoir et de ricocher les uns contre les autres. Le spectacle est magnifique, son sens multiple : on peut voir ces faisceaux brillant comme une indication de notre propre insignifiance, ou comme un témoignage de l’ingéniosité humaine.

De son propre aveu, Godfrey Reggio a voulu montrer par ce poème audiovisuel "la beauté de la bête", ce qui explique pourquoi le film semble à la fois épris du monde moderne et en rejet de celui-ci. Mais le titre du film clarifie sans doute son propos : comme nous l’apprenons dans ces derniers instants, le mot Koyaanisqatsi signifie en hopi "vie folle", "vie tumultueuse", "vie en déséquilibre", "vie se désagrégeant" ou "un mode de vie qui demande une autre philosophie d’existence". Depuis la sortie du film, la fourmilière humaine captée par le documentaire n’a eu de cesse de grandir, de gagner en démesure, et la posture environnementaliste du film fait désormais écho à des enjeux écologiques bien contemporains.

Au-delà de sa pertinence thématique, "Koyaanisqatsi" s’est aussi inscrit dans la culture populaire au travers de l’extraordinaire musique de Philip Glass, qui accompagne tout le film. Le documentaire est inextricable de cette composition grandiose, qui mêle cuivres et synthétiseur pour nous emporter dans les tréfonds de la Terre et au plus haut des cieux. Elle donne une urgence et une amplitude gigantesque à ce qui se passe à l’écran. Prétentieux "Koyaanisqatsi" ? Peut-être. Mais ses images et ses sons réclament notre attention avec une telle force qu’il semble impossible de résister à l’envoûtement du film, même 40 ans après sa production.

 

"Koyaanisqatsi" est disponible en VOD et SVOD.

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