Le rap français est né de la contestation et de la volonté de montrer une réalité : celle des inégalités sociales, du racisme, des violences policières dans les banlieues françaises, celle des plus démunis et de celles et ceux à qui on ne donne pas l’espace pour s’exprimer.

Ce n’est pas vraiment pas un hasard si l’histoire du rap français est jalonnée par des titres iconiques qui ont marqué la société française.

Non sans créer la polémique d’ailleurs. Rappelons que Jean-Marie Le Pen avait déclaré que le rap était "une attaque barbare" et que c’était "le grand remplacement du chant". Ou encore que, dans les années 1990, des groupes comme Ministère A.M.E.R. ou NTM ont fait l’objet de plaintes déposées par le ministère de l’intérieur de l’époque. Contre Sniper, c’est Nicolas Sarkozy qui n’avait pas apprécié certaines paroles et s’en était pris au groupe.

Un bras de fer continu, historique et loin d’être achevé : entre le rap et l’Etat français l’histoire s’écrit de décennies en décennies.

A quelques jours de l’élection présidentielle, en France, voici tour d’horizon des classiques du rap français qui ont marqué par leurs messages politiques.

1. NTM – "Le monde de demain"

Loading...

NTM c’est le groupe historique du rap français. Dans les années 1990, il bouscule la scène française avec leurs sons tout droit sortis de ces banlieues qu’on ne voulait pas écouter et encore moins voir. Originaires de Seine Saint-Denis dans le 93, avec leur flow inimitable, ils disent le monde et ses inégalités.

"Le monde de demain", sorti en 1990 et dont l’EP porte le même nom, est un raz-de-marée, vendu à plus de 90.000 exemplaires, pose les bases de cette contestation. Le son est à remettre dans son contexte. On est en plein climat de tension dans les banlieues, notamment à Vaulx en Velin près de Lyon où plusieurs affrontements avec la police ont eu lieu après la mort d’un jeune. Comme l’écrit Sud Ouest, "ces émeutes sont encore associées à la prise de conscience du "malaise dans les banlieues"".

Dans "Le monde de demain", Joey Star et Kool Shen rappent : "Quelle chance d’habiter la France. Dommage que tant de gens fassent preuve d’incompétences. Dans l’insouciance générale, les fléaux s’installent normal ! Dans mon quartier, la violence devient un acte trop banal. Alors, va faire un tour dans nos banlieues et regarde ta jeunesse dans les yeux". Le message est on ne peut plus clair.

2. Minister A.M.E.R : "Sacrifice de poulets"

Loading...

En 1995, c’est un extrait de la BO du film culte La Haine qui défraye la chronique.

C’est avec ce son que le ministère A.M.E.R se fait connaître du grand public. Premier couplet, Stomy Bugsy : "Cette fois encore, le poulet est l’ennemi. Je z’ieute la meute, personne ne pieute. Ça sent l’émeute, ça commence, la foule crie vengeance. Par tous les moyens pour réparer l’offense".

"Sacrifice de poulets" du ministère A.M.E.R. fera même l’objet de plaintes déposées par le ministère de l’intérieur et par des syndicats de police qui jugent que ce son est une provocation aux meurtres de policiers comme le rappelle France Inter. Le groupe aura à payer une amende record de 30.000 F à l’époque.

Du côté de ce groupe mythique, on citera également "L’Etat assassine".

3- 11’30 contre les lois racistes

Loading...

Comment passer à côté de ce classique de l’histoire du rap français. 11 minutes et 30 secondes d’un manifeste contre, comme son nom l’indique, les lois racistes en France, sorti en 1997. A la manœuvre, une vingtaine d’artistes de la scène rap d’Akhenaton et Freeman à Assassin en passant par Passi et Stomy Bugsy (du ministère A.M.E.R.) ou encore Jean-François Richet et White & Spirit.

Là encore, comme l’écrit l’abcdr du son, cette "grenade" s’inscrit dans un contexte particulier. C’est une réponse à plusieurs événements ayant visé les sans-papiers et à une multiplication de "lois qui criminalisent l’immigration en France". Les coupables ? Ils sont désignés dès l’intro : "Loi Defferre, loi Joxe, loi Pasqua ou Debré".

Pendant 11’30, il s’agit pour les artistes de dénoncer les politiques menées à l’égard des étrangers : "Nous ne pardonnerons jamais la barbarie de leurs lois inhumaines". Le ton est donné.

"Régularisation immédiate de tous les immigrés sans papiers et de leurs familles. Abrogation de toutes les lois racistes régissant le séjour des immigrés en France. Nous revendiquons l’émancipation de toutes les personnes exploitées de ce pays. Qu’ils soient Français ou immigrés…". Demandez le programme.

4- Hip hop citoyens – Princess Aniès

Loading...

"Hip-Hop citoyens" de Princess Aniès c’est une réaction. Une réaction du rap game de l’époque à un événement historique. On est le 21 avril 2002 et à la stupeur générale, Jean-Marie Le Pen, celui qui a créé le parti le Front National, arrive au deuxième tour de l’élection présidentielle. Personne ne s’y attendait. Ce jour-là, l’abstention atteint un chiffre record de plus de 28%.

Alors, une fois la gifle encaissée, plusieurs artistes vont se réunir autour de Princess Aniès et répliquer. C’est comme ça que naît le morceau "Hip hop citoyens" qui dure 7 minutes et 50 secondes. "On a pris une baffe nationale. Quelle baffe nationale ! Ça fait plus d’un demi-siècle qu’existe et grossit le Front National. Va dire que c’est pas normal, eux, ils votent, nous, on ne vote pas. V’la au final, une page de l'histoire qui s’ouvre salement. Moi qui pensais que la démocratie ce n’était pas la peine, je ne pense plus, je suis sûre que la démocratie ce n’est pas Le Pen", lance Doudou Masta dans son couplet.

5 – Diams : "Marine"

Loading...

Certains classiques du rap français sont encore aujourd’hui on ne peut plus actuels. Comment passer à côté du titre "Marine" de Diams alors que se joue actuellement le second tour de l’élection présidentielle en France et que Marine Le Pen affronte l’actuel président, Emmanuel Macron, dans la course à l’Elysée.


►►► A lire aussi : Punchlines et procès : la longue bataille d’Eric Zemmour contre le rap


Ce son sorti en 2004 et issu de l’album phare de la rappeuse Diams Dans ma bulle, s’adresse directement à la fille de Jean-Marie Le Pen, dans un flow percutant et un beat dramatique, l’artiste interroge celle "au vrai prénom d’ange", Marine Le Pen. Dans cette véritable lettre ouverte, Diams demande : "Marine, pourquoi tu perpétues les traditions, sais-tu que nous serons des millions à payer l’addition".

"Marine, on ne sera jamais amies, parce que ma mère est Française mais que je ne suis pas née ici". C’est d’ailleurs ce passage que Thierry Ardisson fait écouter à la principale intéressée, en 2006 : "C’est faux, on pourrait parfaitement être amies", réplique Marine Le Pen, indiquant avoir proposé à Diams de débattre avec elle de l’exclusion.

6. Sniper, "Brûle"

Loading...

En 2006, c’est le groupe Sniper qui fait trembler la politique française avec son message sans équivoque dans "Brûle". On aurait pu en citer d’autres effectivement. Le groupe précisait à l’époque dans les colonnes du Parisien, avant de tourner le clip, que "l’idée c’est de faire croire à des scènes d’émeutes alors qu’il s’agit de tout autre chose. Il s’agit d’un appel au vote".

D’ailleurs, tout est dans le texte. Premier couplet, Tunisiano enchaîne avec son flow inimitable et tacle, le candidat de l’époque, Nicolas Sarkozy en référence à une phrase restée culte, le "nettoyage au karcher" : "Il parle de Karsher, divise la France en deux. Sarko t’offre un lavage à l’éléphant bleu. Mais ce qui est malheureux c’est que l’on brûle le peu qu’on a, alors qu’il suffirait de voter pour incendier ces connards".

Il faut dire qu’entre le groupe du Val d’Oise et l’ancien président de la république, ça n’a jamais été vraiment l’amour fou. Déjà en 2003, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, avait porté plainte contre le groupe mettant en cause leur titre "La France" et un texte qu’il jugeait "antisémite et raciste", comme l’expliquait le quotidien Libération à l’époque.

7. Kery James : "Lettre à la république", 2012

Loading...

Il faut bien admettre que le rap conscient ou le rap engagé à connu une certaine période creuse. Difficile après les années 90 et début 2000 de trouver des titres qui revendiquent un engagement politique. Le rap game a évolué, les tendances aussi.

Pourtant, en 2012, c’est une véritable claque que Kery James pose sur la table et, il faut bien le dire, dans nos tronches, avec son son : "Lettre à la République".

Clairement, chaque lyric est un coup de poing. Tout dans le clip et dans les paroles est fait pour nous faire réagir. Un clip sombre pour dénoncer le passé colonial de la France et ses conséquences, notamment sur les populations des banlieues. Kery James, dès le début du son tire à boulet rouge : "Ce passé colonial c’est le vôtre. C’est vous qui avez choisi de lier votre histoire à la nôtre. Maintenant vous devez assumer".

Kery James, c’est l’un de ses rappeurs qui porte haut ses engagements, ça, on ne peut pas dire le contraire. En 2019, le rappeur a même réalisé un film diffusé sur Netflix intitulé "Banlieusard". Dans une interview accordée à France Inter, il déclarait à cette occasion, "j’ai beaucoup dénoncé les injustices mais j’ai toujours essayé d’être juste moi-même et d’appeler ceux que je prétends représenter à la responsabilité, à la prise en charge de nos vies, et la réalisation de nos projets. C’est difficile de dédouaner totalement la République sur l’état des banlieues, tout comme il est aberrant de l’accuser de tous les maux".

8. Orelsan : "L’odeur de l’essence", 2021

Loading...

Comment parler des sons rap iconiques qui ont secoué par le message politique qu’il porte, sans parler du dernier en date : "L’odeur de l’essence" d’Orelsan, sorti en novembre. C’est le premier son du nouvel album du Caennais que les fans ont pu découvrir. Et la claque a été retentissante.

C’est un miroir tendu sur notre société, la société française en l’occurrence qui traverse une crise d'"hystérie", une crise "systémique" et qui risque bien que de s’embarquer "droit vers le crash".

Le clip est soigné lui aussi, Orelsan rappe du fond des trips et jusqu’à l’essoufflement, avec des écrans derrière lui qui nous renvoient juste notre reflet.

Cherche-t-il à dénoncer ? Ou bien à parler de politique ? Peut-être pas. Mais il dit ce qu’il voit de la société qui l’entoure et c’est ce réalisme qui est magistral, et qui prouve, qu’une fois encore, le rap sait voir, donner à voir et dire le monde.

De l’album Civilisation, on aurait pu aussi citer "Manifeste", un son de plus de 7 minutes qui décrit simplement (enfin, on s’entend) un jour de manif dans les rues de Paris.

Ou encore, un duo un peu plus ancien (2018), avec nul autre Kery James. Dans "A qui la faute ?", les deux artistes offrent sur ce morceau deux points de vue complémentaires d’une France prise entre peur, racisme et préjugés. Deux faces d’une même médaille.

En réalité, les sons du rap français qui ont pointé le monde et les actions politiques sont multiples. Difficile de faire une sélection. C’est d’ailleurs l’histoire du rap français qui est jalonnée de ces lyrics en forme d’uppercut, avec des périodes plus percutantes que d’autres. Et ce n’est pas un hasard si les politiques ont souvent voulu approcher rap game français pour appuyer leur campagne politique, comme l’écrivent les Inrockuptibles qui expliquent, par exemple, comment en 2007, Ségolène Royal était parvenue à réunir de gros poids lourds du rap français – de Akhenaton d’IAM à Kery James ou Disiz la peste, en formant une sorte de front contre Sarkozy.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous