Décrypte

9375€ par mois, fonctions spéciales et plafond de 120%… quel est le montant de la pension des députés de la Chambre ?

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Par Guillaume Woelfle

C’est un nouveau scandale dont les députés et le monde politique en général se seraient bien passés : 49 anciens élus de la Chambre touchent une pension supérieure à 9375€ brut par mois. Une trentaine de députés bruxellois et une quinzaine de députés flamands sont concernés également. Les comptes ne sont pas encore faits au parlement régional wallon et au parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. L’opulence de ce montant est telle que la décision n’a pas traîné, la Chambre a directement décidé de rogner ces pensions pour les ramener à un montant maximum de 7813€ brut par mois. Mais tout n’est pas encore clair : d’où viennent ces montants ? Pourquoi certains députés y ont droit et pas les autres ? Que valent-ils par rapport à la pension des Belges ? Tentative de décryptage.

Tentons de repartir des bases. Le fait d’être député offre, comme n’importe quel travail, un droit à la pension. Et comme pour n’importe quel travail, plus longtemps on travaille, plus longtemps on cotise, plus la pension est élevée. D’autant que la Chambre se révélait être très généreuse par le passé.

Ainsi, selon un document émis début 2023 par la Chambre, le montant de la pension d’un député se calcule comme ceci :

salaire brut mensuel du député x 75% le nombre de mois passés au parlement/le nombre de mois qu’il faut pour avoir une carrière "complète"

Jusqu’en 2014, on considérait que pour avoir une carrière complète, un député devait travailler 20 ans. Autrement dit, après 20 ans, un député obtenait une pension complète : 75% de son salaire de député. Après 2014, on a considéré qu’il fallait 36 ans pour voir sa carrière de député considérée comme complète, puis à partir de 2019, 45 ans.

A partir de deux exemples, nous allons comprendre que cette distinction a son importance. Pour cet exemple, nous estimons un salaire brut mensuel de député identique pour toute la carrière du député, inférieur au montant actuel (8472,16€ brut/mois), à 7500€ brut/mois.

  • Cas 1 : Un député qui a passé 20 ans au parlement entre 1994 et 2014.

Le député a passé 20 ans au parlement avant 2014 et a donc une carrière "complète". Sa pension de député est de 7500€ x 0,75% = 5625€ brut par mois de pension

  • Cas 2 : Un député qui a passé 20 ans au parlement entre 2000 et 2020.

Entre le 1er janvier 2000 et le 31 mai 2014, il aura presté 153 mois au parlement. C’est moins que la carrière complète de 20 ans (240 mois).

- 7500€ x 75% x 153 mois / 240 = 3585€

Entre le 1er juin 2014 et le 31 mai 2019, il aura presté 60 mois au parlement. C’est moins que la carrière complète de 36 ans (432 mois).

- 7500€ x 75% x 60 mois / 432 = 781€

Entre le 1er juin 2019 et le 31 décembre 2020, il aura presté 19 mois au parlement. C’est moins que la carrière complète de 45 ans (540 mois).

- 7500€ x 75% x 19 mois / 540 = 198€

Dans ce deuxième exemple, en additionnant les trois montants, le député aura 4534€ euros brut par mois de pension en tant que député.

On remarque donc que les montants de la pension, pour une même période prestée en tant que député, sont en baisse suite aux réformes de durée de cotisation pour obtenir une pension complète. Par ailleurs, on constate aussi que même avec une carrière complète (premier exemple), le montant de la pension n’atteint pas les montants de 7800€ ou 9300€ évoqués ces derniers jours.

Comment arrive-t-on à 7813€ voire 9375€ brut de pension ?

Le montant maximal de 5625€ brut de pension est élevé, bien au-delà du montant moyen touché par un pensionné en Belgique (70% des Belges ont une pension inférieure à 2000€ brut indique le Vif, sur base de chiffres Service Fédéral Pensions), mais il est encore loin des montants évoqués dans la presse ces derniers jours de 7813€ brut ou de 9375€ brut.

La raison est simple : généralement, les députés n’ont pas été députés toute leur vie. Certains ont occupé des fonctions spéciales telles que président de la Chambre, président de commission, vice-président ou chef de groupe, etc. Ces fonctions étant mieux rémunérées, cela augmente leur pension calculée sur base de leur rémunération. Selon Het Laatste Nieuws cité par 7sur7 en mars dernier, un député sur cinq perçoit ces montants supplémentaires. Par exemple, la présidente de la Chambre gagne 18.750 euros brut par mois, soit 10.000 euros brut de plus que le simple député. Les vice-présidents touchent eux 14.250 euros brut par mois. Un montant comparable à celui de chef de groupe ou de membre du bureau de la chambre.

Ainsi, un député qui aurait occupé pendant 5 ans l’une de ces fonctions spéciales et pendant 15 ans, avant 2014, un poste de député peut voir sa pension dépasser les 6500€ brut.

Concernant les ministres, nous n’avons pas pu vérifier si les salaires de ministre (autour de 20.000 euros brut par mois) sont pris en compte pour le calcul de la pension de député. Nous n’avons pas non plus pu vérifier si les indemnités de sortie qu’un député touche à la fin de son mandat généraient des droits à la pension.

Une autre vie en tant que salarié, indépendant ou fonctionnaire

Par ailleurs, la plupart des personnalités politiques n’ont pas travaillé en politique toute leur carrière. Certains sont députés pendant un mandat (5 ans) ou deux mandats (10 ans). Certains parvenaient à prester 4 mandats de 5 ans pour obtenir leur pension complète lorsque celle-ci s’établissait à 20 ans. Mais davantage d’années au parlement relèvent de l’exception.

Et c’est ainsi que certains ont eu, avant ou après leur mandat, une vie en tant que salarié, indépendant ou fonctionnaire… pour le plus grand bonheur de leur pension. Car ces droits à la pension cotisés pendant leur vie dans une autre fonction viennent s’ajouter à leur pension de député. Si leur carrière de député est complète après 20 ans, des droits créés en tant que salarié du privé ou de fonctionnaire viennent s’ajouter au montant de 5500 euros brut déjà constitué via la politique.

Ces femmes et hommes politiques ont d’ailleurs, généralement, occupé des postes très rémunérateurs, soit en tant que salarié dans le privé, soit dans des professions libérales en tant qu’indépendant, soit en tant que hauts fonctionnaires. Et si leur rémunération de l’époque était élevée, leur pension l’est aussi.

On peut citer une troisième source de revenu de pension qu’on appelle en Belgique le deuxième pilier : les pensions complémentaires. Il s’agit d’un fonds alimenté pendant la carrière à des salariés du privé mais aussi dans les hauts rangs de la fonction publique et libéré à la pension.

Toutes ces sommes, pension de député, pension dans d’autres fonctions, pensions complémentaires, s’additionnent pour donner un montant global de pension. Et c’est ici que les montants peuvent prendre de grosses proportions. Prenons ici le cas théorique d’un député qui aurait constitué :

- une pension de député de 6500 euros brut grâce à une carrière complète et une fonction spéciale occupée pendant 5 ans ;

- une pension due à une autre activité professionnelle de 2500 euros brut obtenue en tant que hauts fonctionnaires ou salarié bien rémunéré ;

- une pension complémentaire de 1000 euros brut.

Ce député atteint un un total de 10.000 euros brut mensuels de pension.

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Or, il existe en Belgique un plafond de revenus de pension que les fonctionnaires, auquel sont rattachés les députés, ou que les travailleurs qui ont eu une carrière mixte publique/privé ne peuvent pas dépasser. Pour 2023, le montant de ce plafond est de 93.760,79 euros brut par an, soit 7813,40€ brut par mois. C’est ce qu’on appelle le "plafond Wijninckx" dont on parle beaucoup ces derniers jours.

D’après Le Soir, 5178 Belges atteignent ce plafond. Autrement dit, dans notre exemple, le député qui génère 10.000 euros brut de pension par mois devrait voir sa pension limitée à 7813,40€ brut par mois.

Sauf que ce plafond ne plafonnait pas tout. En effet, les pensions complémentaires étaient exclues de ce plafond. Et depuis 1983, les députés touchent 80% de leur pension via la pension légale et les 20% restant sous forme d'une "rente", qui s'assimile à une pension complémentaire du deuxième pilier. Autrement dit, seuls les 80% de base étaient plafonnés. 

Changement de règle via une loi du 4 mars 2004. Les ministres de la Justice, Laurette Onkelinx et des Pensions, Franck Vandenbroucke, décident d'inclure les pensions complémentaires dans le plafond Wijninckx mais... en relevant le plafond de 20%. 

On parle donc désormais des "120% du plafond Wijninckx", soit 9375€ brut. Cette disposition ne s’appliquait à la base qu’aux fonctionnaires, pas au monde politique.

C’est ici qu’intervient l’ASBL "Caisses des pensions", une asbl située officiellement 1, place de la Nation à Bruxelles, soit à la Chambre. C’est cette asbl qui reçoit de la Chambre les montants destinés à payer les pensions des députés, puis qui verse ces pensions aux députés. Les anciens membres de l’Assemblée ne reçoivent donc pas leur pension de la part du Service Fédéral Pension comme tous les Belges, mais de cette asbl.

 

Des députés qui décident du montant… de leur propre pension

Et ce sont les administrateurs de cette asbl qui, en 2013, ont décidé d’octroyer au monde politique le même avantage qu’aux hauts fonctionnaires : le dépassement de 20% du plafond Wijninckx. C’est ainsi que le document "statut du membre de la Chambre" présent sur le site de l’institution indique que "le plafond du cumul en matière de pension (dit plafond Wijninckx), tel que fixé par la loi du 5 août 1978 est applicable aux pensions parlementaires. Depuis 2014, conformément à la loi du 4 mars 2004, la partie de la pension qui ne participe pas aux règles de cumul est fixée à 20% de ce plafond."

Mais qui sont les administrateurs de cette asbl ? Et bien des députés eux-mêmes. Le monde politique a donc décidé lui-même du montant maximal de sa propre pension : 9375€ brut par mois de pension. Cela ne veut pas que toutes les pensions de tous les députés ont augmenté. Mais ceux qui atteignaient le plafond de 100% ont vu leur pension augmenté grâce au relèvement du plafond.

Aucun des administrateurs actuels de cet asbl n’était administrateur en 2013 et n’a participé à cette décision. En revanche, d’après le PTB, de nombreux administrateurs de l’époque qui ont pris la décision d’augmenter leur propre pension sont encore présents en politique aujourd’hui : André Flahaut (PS), Georges Gilkinet (Ecolo), Daniel Bacquelaine (MR) ou Patrick Dewaele (Open Vld).

Mais cela ne s’arrête pas là. En introduction, nous citions le nombre de 49 députés du fédéral, 15 députés flamands et 30 députés bruxellois qui… dépassaient ce plafond de 120%. Ce qui veut dire que cette petite centaine de personnalités ne s’arrêtait pas au plafond de 120% mais le dépassait, parfois de peu, parfois involontairement. Cela est dû au fait que, comme l’explique Le Soir, les députés perçoivent leur pension politique par l’ASBL liée à la Chambre et leurs autres sources de pension (dans le privé ou en tant que fonctionnaire) par le Service Fédéral Pension.

Et lorsque la somme des deux dépasse le plafond de 120%, l’ASBL "Caisses de pensions" de la Chambre doit soustraire ce qui dépasse du plafond. Mais cette opération n’est pas automatique, loin de là. Les contrôles se font sur base d’un formulaire envoyé tous les deux ans à tous les parlementaires à la retraite dans lequel ils indiquent sur l’honneur les montants de pension qu’ils touchent de part et d’autre. Une vérification est faite ensuite.

Le système est décrit comme "laborieux" et présentant certaines 'lacunes' de l’aveu même du directeur du service Comptabilité dans une note que Le Soir a consultée. C’est sur ce travail de vérification, pas encore terminé pour sa phase commencée en mai 2022, où il est apparu qu’une cinquantaine de députés de la Chambre dépassaient les 120% du plafond Wijninckx.

Est-ce encore possible aujourd’hui ?

Les montants cités dans cet article dépassent de loin la pension que le commun des Belges touche. Le Service Fédéral Pension nous a transmis les montants moyens et médians brut que touchent les pensionnés en Belgique en 2021.

Pension brute Moyenne Médiane
Salarié 1588,77€ 1556,07
Indépendant 1048,48€ 1340,08
Fonctionnaire 3052,58 2997,07

Les montants évoqués ces derniers jours sont 5 à 6 fois ceux du salarié moyen.

Ceci a poussé les assemblées à prendre des mesures immédiates. La Chambre, le Parlement flamand et le Parlement bruxellois ont déjà annoncé qu’il ne serait plus possible de dépasser les 100% du plafond Wijninckx. Il ne sera donc plus possible pour un député à la retraite de dépasser un montant brut de pension de 7813,40€, éventuellement indexé.

Par ailleurs, il a aussi été décidé par la Chambre que les pensions ne seraient plus gérées par l’ASBL, mais par le Service Fédéral Pensions pour optimiser la gestion et la vérification du montant des pensions.

Mais dans les faits, de tels montants deviendront également plus difficiles à atteindre.

On l’a vu, des réformes ont été mises en place déjà avant la découverte des montants dont on parle. Ainsi, la pension complète de député ne s’obtient plus, depuis quasiment 10 ans déjà, après 20 ans passés au Parlement mais après 36 et désormais 45 ans (comme celle de tous les Belges). Voilà déjà de quoi rendre impossible l’addition d’une pension complète comme député avec celle d’une vie dans le privé ou dans la fonction publique.

Par ailleurs, la rotation des députés a augmenté au cours des dernières législatures. Il est désormais moins fréquent qu’une personne passe 15 ou 20 ans sur les bancs d’une assemblée. Beaucoup n’y restent qu’un ou deux mandats, ce qui forcément réduit leur pension de député.

Ce sont de vraies gifles pour notre démocratie

Gilles Vanden Burre, député et chef de groupe Ecolo à la Chambre

Mais les réformes pourraient ne pas s’arrêter là, de nombreux autres points liés à l’argent en politique sont remis en question par certains politiciens eux-mêmes. Invité sur Matin Première ce jeudi matin, Gilles Vanden Burre, chef de groupe Ecolo en a cité quelques-uns :

- Les députés ont un montant d’environ 2500€ mensuels de frais forfaitaires sans justificatif. "En fait, c’est du sursalaire et pour nous, il faut arrêter ce système. Ça fait déjà une diminution du salaire de 30%", indiquait l’écologiste.

- Certaines fonctions spéciales, on l’a dit, peuvent rapporter entre 11.000 et 18.750€ brut mensuels et concernent un député sur cinq. "Aujourd’hui, pour certaines fonctions qui ont deux, trois réunions en plus par mois, vous allez gagner 1500 euros net en plus. Pour nous, un président de la Chambre, c’est normal qu’il ait des indemnités en plus. Peut-être aussi le chef de groupe, mais toutes les autres fonctions doivent être simplement rémunérées comme un député, et c’est déjà très bien rémunéré."

- Les députés ne cotisent pas à la sécurité sociale comme tous les travailleurs. Etant donné que pendant ces années à la Chambre, ils ne cotisent pas pour le chômage ou pour la pension classique, leurs cotisations sociales sont inférieures à celles payées par un travailleur normal. "Il faut qu’on ait un système où nous cotisons."

Et Gilles Vanden Burre de conclure : "Ce système est incompréhensible pour nos concitoyens […] Ce sont de vraies gifles pour notre démocratie. Il y a trop d’argent aujourd’hui en politique. Il faut des limites plus strictes et il faut plus de sobriété."

Le Déclic Décrypte de Guillaume Woelfle

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