Le 5 janvier 2023 a marqué le centenaire de la disparition d’une certaine Dame Prieure Marie-Rose Carouy. Qui était cette Belge qui laisse un souvenir indélébile à Lessines ?
C’est à Brugelette, en province de Hainaut, que Zélie Carouy voit le jour, le 23 septembre 1851, issue d’un couple de condition modeste, uni et pieux, Jean-Ghislain et Julie-Louise, née Paliez. Alors qu’elle a 20 ans, Zélie entre en qualité de domestique au château de Brugelette, chez le baron Adrien Goffinet, homme de confiance du roi Léopold II…
Auparavant, Zélie s’est déjà montrée attentionnée pour celles et ceux qui souffrent, n’hésitant pas à prodiguer des soins aux malades du village qui lui en font la demande, jouant la garde-malade si c’est nécessaire, même au sein de la famille Goffinet. Elle écrira dans ses carnets :
Si on m’eût laissé faire, je serais partie pour des missions lointaines où le champ d’action est si vaste et je n’eus pas reculé non plus devant le champ de bataille pour y soigner les blessés.
Zélie est particulièrement attachée à la dévotion envers le Sacré-Cœur de Jésus, grande mode jusqu’aux années 1950. Cette ferveur va naturellement la mener à entrer à l’hôpital Notre-Dame à la Rose, à Lessines, non loin de Brugelette. Là, depuis 1247, une communauté de sœurs Augustines soigne les malades !
Le 16 juillet 1880, Zélie fait son entrée à l’hôpital. Après son temps de Postulat, c’est le temps de la Vêture : le 17 janvier 1881, elle devient sœur Marie-Rose. La religieuse reste en contact avec " son Divin époux ", comme elle l’explique dans ses notes, tout en connaissant des passes difficiles : " Je sentais dans mon cœur un grand vide que rien ne pouvait remplir "…
Des expériences mystiques, Marie-Rose va en connaître beaucoup. Ainsi, le 24 juin 1881, jour de la fête du Sacré-Cœur, sœur Marie-Rose est dans sa cellule et est transportée " en esprit " au " Jardin du Bon Dieu ", jardin surélevé où elle aura une conversation mystique avec Jésus… en présence " fantastique " de son directeur spirituel, l’abbé Bataille, futur cofondateur de l’hôpital de Jolimont.
Le 1er juin 1882, sœur Marie-Rose fait sa Profession, prononçant ses vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Ses expériences mystiques continuent. Sœur Adrienne constatera même des taches de sang en forme de couronne sur la " huvette " – pièce de tissu que portent les religieuses sur la tête – de Marie-Rose : elle a reçu les stigmates et la couronne d’épines !
En 1888, sœur Thérèse, la Mère Prieure décède et, le 24 décembre, c’est à la demande de l’évêque de Tournai, Isidore du Rousseaux, que sœur Marie-Rose est nommée Dame Prieure. Elle mènera avec douceur l’institution, veillant aux bons soins auprès des malades et pratiquant la charité, parfois de façon exagérée.
Bien que depuis la Révolution française, l’hôpital de Lessines dépend de la Commission d’assistance publique, actuellement le CPAS, c’est encore elle qui dirige les religieuses et les soins durant la tragique épreuve de la Première Guerre mondiale. L’hôpital accueillera de nombreux blessés, sœur Marie-Rose commandera aux femmes de l’ouvroir Saint-Roch, un exceptionnel ensemble de broderies anglaises destiné à la chambre épiscopale de l’hôpital…
Mais bien avant le conflit, la Dame Prieure avait eu une nouvelle révélation… En 1897, elle est appelée au bureau du Directeur de l’hôpital, l’abbé Devroede. L’ecclésiastique lui explique que les caisses destinées aux actes charitables sont vides. Sœur Marie-Rose s’exclame alors
Ah ! Si j’étais riche
Quittant le bureau, Marie-Rose voit apparaître le Sacré-Cœur près du piano : le Christ va lui révéler la composition d’un remède…
C’est ainsi que naîtra l’" Helkiaze ", nom issu d’un mot grec signifiant blessure Ce puissant antiseptique sera reconnu internationalement, étant même exporté jusqu’aux États-Unis et en Inde ! La commercialisation de ce remède souverain contre les maladies de peau et les ulcères cessera dans les années 1930. En attendant, ses revenus renfloueront largement les caisses vouées à la bienfaisance exercée par la Prieure.
Sœur Marie-Rose vivra, juste avant-guerre, un douloureux épisode. Parmi les membres de sa famille, Édouard Carouy est son petit-cousin sous germain. L’homme fera partie de la fameuse " Bande à Bonnot " où il portera le surnom de " Leblanc ". En 1911, tandis que la bande se désagrège, Édouard vient frapper à la porte de l’hôpital de Lessines, implorant la Dame Prieure de l’accueillir ! Elle accepte de le cacher une nuit, lui donnant le lendemain un mot de recommandation pour aller se dissimuler chez les fils de ses anciens maîtres au château de Brugelette, les barons Constant et Auguste Goffinet, anciens conseillers de Léopold II !
Édouard se rendra bien à Brugelette, puis, arrêté en Lozère le 4 janvier 1912, il sera condamné aux travaux forcés à perpétuité avant de se suicider au cyanure. De son côté la Dame Prieure Marie-Rose Carouy souffrait déjà d’un mal inexplicable – probablement un cancer dû à une trop grande exposition à l’Helkiaze, contenant une forte dose de mercure.
Sœur Marie-Rose sera plusieurs fois opérée. Mais en 1922, le mal devient plus qu’inquiétant. Malgré la souffrance, la religieuse demeure calme et joyeuse, montrant l’exemple à sa communauté. Toutefois, le 8 décembre, elle recevra les derniers sacrements…
Le 4 janvier 1923, pour la prolonger, on lui perça le côté, ce qui fit exprimer au médecin la comparaison avec le Christ. Marie-Rose, résistera jusqu’au lendemain, premier vendredi de l’année, le jour de la semaine consacré au Sacré-Cœur. Le vendredi 5 janvier 1923, à 12h40, sœur Marie-Rose s’éteignait entourée de sa chère communauté.
Ses funérailles en l’église de l’hôpital furent grandioses, présidées par Mgr Amédée Crooy, évêque de Tournai. Elle est inhumée dans l’enclos des sœurs Augustines du Vieux cimetière de Lessines. En 1925, un monument lui a été élevé dans le préau de l’hôpital, sur le socle duquel est ciselée l’inscription :
En mémoire de sœur Marie-Rose Carouy, Prieure de l’hôpital de Lessines. Elle y fit refleurir le culte de Notre-Dame à la Rose