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[A LIRE] Vanessa Springora : on s'est enfin penché sur les abus sexuels

© J.G Paga

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Par Myriam Leroy

En attendant le 10 novembre 21h et le coup d’envoi de la 5ième Nuit des écrivains, Myriam Leroy nous brosse le portrait des 6 invité.e.s qui partageront avec nous et avec vous 4 heures en public au 140 et en direct sur La Première. Aujourd'hui : Vanessa Springora.

Il y a des livres qui changent la vie, celle de leurs auteurs, celle de leurs lecteurs, et la vie tout court, la société telle qu'on la connaît. Il y a des livres qui dessillent les yeux, qui forcent à voir ce qu'on refusait de regarder.

Ils sont peu nombreux ces livres-là, et souvent ils sont mal reçus. Christine Angot abordait ainsi ses rentrées littéraires en anticipant les camions de tomates qu'on allait lui jeter dessus.

Mais en janvier 2020, il y eut Le Consentement, de Vanessa Springora.

Evidemment, #Metoo était passé par là, et il devenait un peu moins violent pour une femme de faire entendre sa voix sur le thème des violences sexuelles.

Mais en France, la porte n'était pas encore tout à fait ouverte, on se dérobait encore tant qu'on pouvait à la prise à bras le corps de ces questions.

Et c'est Vanessa Springora qui a asséné le dernier coup, celui qui manquait pour qu'enfin, dans nos pays, on se penche sur les abus de pouvoir et les prédations sexuelles et sexistes.

Son récit, Le consentement, cette éditrice de profession le portrait en elle depuis l'adolescence, mais il lui manquait le dispositif narratif adéquat, la manière, l'angle. Et la petite tape dans le dos pour lui donner confiance. Un jour de l'ère post-Weinstein, tout s'est aligné et elle a écrit, comme vomi d'un trait un livre autobiographique sur une adolescence dominée par un homme de 35 ans son aîné, l'écrivain Gabriel Matzneff.

Ils étaient amants, du moins c'était ce qu'elle croyait, car à quatorze ans, même quand on consent, on ne consent pas, ou en tout cas on ne sait pas à quoi on consent, c'est l'évidence qui se dégage de ce livre éprouvant dont la teneur scandaleuse vient de la tolérance de la société française pour la pédocriminalité, pour autant qu'elle soit l'oeuvre d'un intellectuel ou d'un grand artiste.

Il y a des lignes terribles où l'écrivaine relate sa visite à Emil Cioran, ami de la famille, l'Emil Cioran saint patron des désabusés, où lorsqu'elle lui fait part de sa détresse face à la maltraitance psychologique que lui inflige Gabriel Matzneff (qu'elle appelle, dans le livre, G.), il lui répond :

Vous l’aimez, vous devez accepter sa personnalité. G. ne changera jamais. C’est un immense honneur qu’il vous a fait en vous choisissant. Votre rôle est de l’accompagner sur le chemin de la création, de vous plier à ses caprices aussi. Je sais qu’il vous adore.

Mais souvent les femmes ne comprennent pas ce dont un artiste a besoin. Savez-vous que l’épouse de Tolstoï passait ses journées à taper le manuscrit que son mari écrivait à la main, corrigeant sans répit la moindre de ses petites fautes, avec une abnégation complète !

Sacrificiel et oblatif, voilà le type d’amour qu’une femme d’artiste doit à celui qu’elle aime. — Mais Emil, il me ment en permanence. — Le mensonge est littérature, chère amie ! Vous ne le saviez pas ? 

Le mensonge est littérature : voilà le médaillon central d'une mise en abyme infinie.

Le consentement est le premier livre de Vanessa Springora. Il en a permis d'autres.

D'autres romans, d'autres histoires renvoyant au monde la violence infligée à leurs auteurs, en l'occurrence leurs autrices : comme La familia Grande de Camille Kouchner, par exemple, qui attirait l'attention sur les crimes sexuels du politologue Olivier Duhamel. Ou comme le dernier Christine Angot, Le voyage dans l'Est, subitement bien reçu par des médias et des prix qui l'avaient toujours conspuée, car le linge sale ne devait se laver qu'en famille.

Et puis le consentement a permis aussi à la désormais ex-directrice des éditions Julliard Vanessa Springora d'écrire encore, et de ne plus vouloir faire que ça.

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