Abattu après avoir crié "gloire à l'Ukraine", ce que l’on sait à propos de ce soldat ukrainien

Mercredi 8 mars, 21h08 heure locale : l’agence de presse ukrainienne UNIAN (УНІАН en ukrainien) confirme que le soldat qui figure sur la vidéo porte le nom d’Oleksandre Matsievskiï. Ce dernier aurait été "officiellement identifié".

Pour identifier "officiellement" ce soldat, l’agence se base d’abord sur le témoignage de la supposée mère d’Oleksandre Matsievskiï, Darya Yanushkevich.

Dans une vidéo publiée mercredi à 20h30 heure locale par le média ukrainien СУСПІЛЬНЕ ЧЕРНІГІВ ("Société de Chernigi"), on peut y voir une femme d’un certain âge, les cheveux courts probablement décolorés, un gilet noir par-dessus un col roulé rouge, la voix tremblante et les yeux humides, qui se présente comme étant sa mère. Elle fait état de sa sidération lorsqu’elle découvre les images de la vidéo de la fusillade : "C’est mon Sasha ! Mon Sasha ! Les mains, la voix, cette silhouette et ses épaules. C’est mon fils unique", s’est-elle exclamée selon ce média.

Elle avance que sa première impression s’est confirmée lorsqu’elle se trouve face au corps de son fils à la morgue. Il aurait été rapatrié avant son enterrement le 14 février dernier à Nijine, dans la région de Tcherniguiv. Son certificat de cause de décès indiquerait qu’il serait mort des suites de blessures par balle. Sa mère s’est rendue à Kiev pour identifier le corps. Elle raconte avoir fait le lien entre les blessures sur le visage de son fils et les impacts de balles que l’on voit dans la vidéo :

"Quand j’étais sur l’identification du corps, deux trous ont été percés dans le cœur depuis l’épaule, deux ont été percés de l’autre épaule, il y avait un trou sur le côté droit, et la tête était effondrée. Il n’avait plus visage, seulement un sourcil."

Avant ce 6 mars 2023 et la sortie de cette vidéo, la mère d’Oleksandre Matsievskiï n’avait pas d’information sur les circonstances de la mort de son fils et a donc découvert comment il était mort avec ces images.

Toujours dans l’article de СУСПІЛЬНЕ ЧЕРНІГІВ, cette femme précise que son fils avait 42 ans, qu’il était électricien à Kiev avant l’invasion russe. Dès le 24 février 2022, il s’était porté volontaire pour la défense territoriale de Nizhyn et il avait défendu la région de Tchernihiv dans le cadre de la 119e brigade des troupes de défense territoriale de la région de Tchernihiv (nord de Kiev) à partir du printemps 2022.

Outre le témoignage de Darya Yanushkevich, c’est également celui des compagnons d’armes d’Oleksandre Matsievskiï qui permet à l’agence de presse ukrainienne UNIAN d’affirmer pouvoir "officialiser" l’identification de ce soldat.

C’est en effet le département régional de la section "Nord" des forces armées ukrainiennes ainsi que la 119e brigade sur leurs comptes Facebook respectifs (ici et là), qui, quelques heures plus tôt, avaient confirmé qu’il s’agissait bien d’Oleksandre Matsievskiï.

"Le 6 mars 2023, une autre preuve de crimes de guerre russes a été publiée sur le réseau. Toute l’Ukraine a vu l’exécution du guerrier ukrainien, le combattant du 163e bataillon 119 de la brigade de défense territoriale. La vidéo de la mort héroïque d’Oleksandre est devenue virale et ne laisse personne indifférent", peut-on notamment lire en description de la photo du soldat sur ces deux publications.

Toujours selon le département régional de la section "Nord" des forces armées ukrainiennes, les faits auraient eu lieu le 30 décembre 2022 près de Soledar, un petit village au nord-est de Bakhmout, épicentre des combats depuis plusieurs mois dans le Donbass. Oleksandre Matsievskiï, aurait été fait prisonnier par les Russes alors qu’il se trouvait avec quatre autres soldats ukrainiens – dont le sort est inconnu -, précise cette source.

Selon l’Institute for the Study of War (ISW) d’après une publication Facebook de l’État-major général des forces armées ukrainiennes, il y a effectivement eu des combats près de Soledar le 30 décembre dernier. "Les forces russes ont poursuivi leurs opérations offensives autour de Bakhmout le 30 décembre, bien qu’à un rythme plus lent que ces derniers jours. L’état-major ukrainien a indiqué que les troupes ukrainiennes avaient repoussé les attaques russes près de Soledar (10 km au nord-est de Bakhmout), Ivanivske (5 km à l’ouest de Bakhmout) et Klishchiivka (7 km au sud-ouest de Bakhmout)", peut-on lire dans le compte rendu de l’ISW.

Cette information est également corroborée par d’autres médias ukrainiens, tels que le site "Censor", via son rédacteur en chef Yuri Butusov, le média Novynarnya via son rédacteur en chef Dmytro Lykhoviy, ou la radio ukrainienne Svoboda ce jeudi matin.

Selon l’AFP, un média local avait également publié mi-février des photos de l’enterrement de M. Matsievskiï, sans faire état des circonstances précises de sa mort.

La confusion vient probablement d’une publication Facebook postée ce mardi 7 mars par l’armée de terre ukrainienne. Elle affirme avoir identifié "selon des données préliminaires", le soldat comme étant Tymofiï Mykolaïovytch Chadoura, "un militaire de la 30e brigade mécanisée", porté disparu depuis le 3 février dernier dans la région de Bakhmout. Ils ne précisent pas de quelles "données préliminaires" ils disposent pour affirmer cette identité.

Selon le porte-parole de la 30e brigade, Anatoli Iavorsky, relayé par l’AFP, ce soldat, âgé de 41 ans et mobilisé en décembre, était originaire de la région de Jytomyr (centre ouest).

Cette information a été relayée par plusieurs médias ukrainiens dont Euromaidan Press.

Lorsque l’on regarde les opérations militaires dans la zone de Bakhmout début février 2023, il y a effectivement eu des combats dans cette zone selon les informations de l’état-major des armées ukrainiennes partagées dans un post Facebook. Les vidéos de ces combats ont également été filmées comme dans cette vidéo, même si on ne connaît pas le numéro de la brigade impliquée.

L’identité du soldat, comme étant Tymofiï Mykolaïovytch Chadoura, est corroborée par une interview de la supposée sœur de ce soldat publiée par le média ukrainien FACTS (ФАКТЫ) dans un article de la journaliste Victoria Mikityuk.

Selon sa sœur, prénommée Olga Kovalchuk, "Nous avons grandi ensemble, pendant longtemps, Tymofiï a vécu avec sa femme et ses quatre enfants dans une autre région. Il est revenu dans la région il y a sept ans. Il y vivait avec sa mère et ses deux frères. Je vis séparément avec ma famille, mais nous nous sommes souvent vus. Dans cette vidéo, on voit clairement que l’œil droit est plus expressif, et que le gauche est fuyant. Il a toujours eu ce regard." (voir photos ci-dessous)

"Quand Tymofiï s’était laissé pousser la barbe, il y avait des mèches grises, et les mêmes sur ses sourcils. Comme on peut le voir sur cette vidéo, la voix est la même que celle de Tymofiï. Il tenait également une cigarette", a également indiqué sa sœur à ce média.

Pourtant, malgré ces éléments concordants, la sœur reste prudente dans la suite de son témoignage : "C’est difficile à comparer, car mon frère n’a jamais porté de longue barbe et il n’a pas envoyé de photo de la ligne de front."

Un doute semble donc planer sur le nom de Tymofiï Mykolaïovytch Chadoura, initialement avancé comme étant le soldat fusillé.

Ce doute se retrouve notamment dans les commentaires Facebook d’une publication de la journaliste de la BBC, Sofia Kochmar-Tymoshenko sur son compte Facebook (reprise par le média ukrainien ІА 'Конкурент'), qui annonce avoir "vérifié" le témoignage de la supposée sœur de ce soldat. Dans sa publication "likée" plus d’un millier de fois, on peut lire : "Sa sœur m’a dit : '100% sûre que c’est mon frère. Ce sont ses yeux, sa voix et sa façon de fumer une cigarette."

Sauf que dans les commentaires, on s’interroge. "C’est Oleksandr Matsievskyi à 99%", écrit un internaute. "Ceux qui l’ont connu ne peuvent pas le confondre. J’ai croisé la route de Sashko il y a 10 ans, je reconnais la voix sur la vidéo, malgré le fait que le visage est très similaire".

Le mystère reste donc entier tant que des investigations approfondies et impartiales sur l’identité de ce soldat ne seront pas finalisées. Selon Euromaidan Press, le médiateur ukrainien Dmytro Lubinets le service de sécurité ukrainien aurait ouvert un dossier et "envoyé cette vidéo à des partenaires internationaux et à des collègues médiateurs de différents pays du monde comme un autre crime de guerre présumé de la Russie".

En tout état de cause, la vidéo serait bien "authentique" comme l’a affirmé le porte-parole du Haut-Commissariat l’Organisation des Nations-Unies à l’AFP. "Nous avons connaissance de cette vidéo publiée sur les réseaux sociaux qui montre un soldat ukrainien hors de combat apparemment exécuté par les forces armées russes. Sur la base d’un examen préliminaire, nous pensons que la vidéo semble authentique."

Depuis lundi, les réactions politiques ne manquent pas, à commencer par celle du président ukrainien Volodymyr Zelensky qui a promis de "trouver les assassins" lundi dans son discours vidéo du soir.

Son chef de la diplomatie Dmytro Kouleba a également réclamé une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur cette affaire. "Horrible vidéo d’un prisonnier de guerre ukrainien désarmé exécuté par les forces russes pour avoir simplement dit 'Gloire à l’Ukraine'. Une autre preuve que cette guerre est génocidaire", a commenté Dmytro Kouleba sur Twitter.

Enfin, le chef du bureau présidentiel ukrainien Andriy Yermak a également réagi sur Telegram en affirmant : "Tuer une personne capturée en est un exemple de la faiblesse nationale russe. Il y aura des représailles pour chacun de ces crimes de guerre".

Pour l’heure, la Russie n’a pas commenté ce crime.