En 2021, la Belgique et l’Italie ont commémoré les 75 ans des accords "bras contre charbon". Les médias, les associations, les maisons d’édition ont fait la part belle à cette main-d’œuvre venue pallier le manque de forces vives à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, notamment dans la région du Borinage.
On nous a raconté le parcours de ces hommes venus par milliers de leurs villages italiens, eux nous ont raconté le travail à la mine, les discriminations, parfois, le racisme, souvent (ce fameux "macaroni" dont ils se voyaient affublés).
Mais, outre Les Grenades, qui a parlé de leurs femmes, de leurs mères, de leurs filles ? Qui a donné la parole à toutes celles qui les ont suivis ou rejoints, parfois à contrecœur ? Pas grand monde. C’est face à ce constat que Maco Meo et l’équipe du PAC Mons Borinage ont décidé de mener un atelier d’écriture pour permettre à des femmes ayant connu ou issues de l’immigration de raconter, de se raconter et de prendre place dans l’espace public.
C’est par le petit bout de la lorgnette (en l’occurrence d’un objet choisi par chacune d’elle) que l’on fait connaissance avec les quinze femmes qui ont participé à cet atelier. Une bobine de fil rouge, une valise, un passe-vite, mais aussi une photo de la petite Mawda ou une statue "Femme immigrée" nous font entrer dans l’intimité de Caterina, de Lara ou de Laurence. Maco Meo, qui a animé les ateliers d’écriture et coordonné la mise en livre des textes qui en sont issus, nous raconte.
Ce livre est le produit d’ateliers d’écriture… Pourriez-vous nous expliquer la démarche du PAC ainsi que les objectifs ? Aviez-vous d’emblée l’idée d’en faire un livre ?
PAC a choisi d’agir par la culture pour offrir un espace d’expression, de création et de diffusion en vue d’accompagner les citoyen·nes dans l’analyse critique de la société contemporaine, notamment à travers les inégalités qu’elle renforce, pour tendre vers l’émancipation collective. Les accords "bras contre charbon" fêtaient leur 75e anniversaire en 2021. La Ville de Mons, où l’immigration italienne fut très forte, avait prévu de célébrer l’événement et le centre culturel, "MARS", avait programmé le spectacle "Les fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune". En accord avec le centre culturel "MARS", nous avons proposé d’intituler le projet en réponse au titre du spectacle "Les filles de la Destinée".
Le déracinement laisse des traces sur plusieurs générations
En effet, il nous a semblé qu’aborder la question de l’immigration italienne à travers un regard féminin était un angle inédit. Nous ne nous sommes pas trompées : le mercredi 29 septembre, nous avons lancé un appel à participation en vue de constituer un groupe pour mener notre atelier et le jeudi 30 septembre, le groupe des participantes était au complet ! Comme s’il y avait une urgence à libérer sa parole, comme si les participantes avaient hâte de fabriquer les traces de leur rôle en Belgique, comme si se regrouper entre "femmes de l’ombre" revêtait un caractère impérieux pour donner des couleurs à ces existences effacées !
En l’occurrence, l’urgence était réelle puisque ces femmes ne sont pas éternelles et que parmi les participantes – dont certaines ont plus de 80 ans – beaucoup ont vu nombre de leurs amies primo-arrivantes disparaître sans que leur parole ne soit recueillie et transmise. Ce projet, qui a rassemblé 15 femmes, toutes générations confondues, a ambitionné de réhabiliter l’oubli dont elles ont été victimes et de mettre l’accent sur le rôle de ces femmes, quel que soit leur statut, travailleuse ou femme au foyer. Il était également important de valoriser leur place dans la société contemporaine. La forme fut choisie par les participantes : la publication d’un recueil de témoignages.