Environnement

Accord à l’ONU pour protéger la haute mer, après 15 ans de négociations : pourquoi ce traité est capital

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Par Victor de Thier avec Miguel Allo et agences

Après des années de discussions, les États membres de l’Organisation des Nations unies (ONU) se sont enfin mis d’accord samedi sur le premier traité international de protection de la haute mer, destiné à contrecarrer les menaces qui pèsent sur des écosystèmes vitaux pour l’humanité. "Le navire a atteint le rivage", a annoncé la présidente de la conférence Rena Lee, au siège de l’ONU à New York sous les applaudissements nourris et prolongés des délégués.

Après plus de 15 ans de discussions, dont quatre années de négociations formelles, la troisième "dernière" session à New York a finalement été la bonne, ou presque. Les délégués ont finalisé le texte au contenu désormais gelé sur le fond, mais il sera formellement adopté à une date ultérieure après avoir été passé au crible par les services juridiques et traduit pour être disponible dans les six langues officielles de l’ONU.

C’est un jour historique

Le contenu exact du texte n’a pas été publié dans l’immédiat mais les militants l’ont salué comme étant un tournant décisif pour la protection de la biodiversité. "C’est un jour historique pour la conservation et le signe que dans un monde divisé la protection de la nature et des personnes peut triompher sur la géopolitique", a déclaré Laura Meller, de Greenpeace.

Réunis à New-York depuis le 20 février, les négociateurs ont poussé les discussions jusqu’au bout de la nuit de vendredi à samedi, puis encore une journée au forceps. Il faut dire que l’enjeu était de taille. Pour l’environnement d’abord, mais aussi pour les intérêts économiques de chaque pays.

"Il n’y aura pas de réouverture ni de discussions de fond" sur ce dossier, a affirmé Rena Lee aux négociateurs.

Une zone de moins en moins inaccessible

La haute mer commence là où s’arrêtent les zones économiques exclusives (ZEE) des États, à maximum 200 milles nautiques (370 km) des côtes, et elle n’est donc sous la juridiction d’aucun pays. Même si elle représente plus de 60% des océans et près de la moitié de la surface de la planète, elle a longtemps été ignorée dans le combat environnemental, au profit des zones côtières et d’espèces emblématiques.

"Avant cette zone était considérée comme inaccessible, car trop coûteuse et trop complexe à exploiter", explique Joachim Claudet, directeur de recherche et conseiller Océan du CNRS, "Mais aujourd’hui, la technologie permet d’aller de plus en plus loin, et de plus en plus d’usages vont en être faits de cette zone encore peu exploitée (pêche en haute mer, exploitation des fonds marins…). Il était donc capital d’avoir un outil pour réguler tous ces usages."

Par ailleurs, la protection de cette zone devenait particulièrement urgente lorsque l’on sait que 196 États se sont engagés à protéger 30% de l’ensemble des terres et des océans d’ici 2030, lors de la COP15 pour la biodiversité de Montréal. Un défi quasi insurmontable sans inclure la haute mer, dont environ 1% seulement est protégé aujourd’hui.

Une biodiversité essentielle

Ce que contient la haute mer, c’est avant tout une biodiversité exceptionnelle. Des millions d’espèces – dont la plupart sont encore inconnues – y vivent. Parmi elles, les micro-organismes marins jouent un rôle capital pour la vie sur terre. À eux seuls, ils fabriquent 50% de l’oxygène de la planète.

En réalité, c’est l’ensemble de la chaîne marine qui assure un rôle indispensable contre le réchauffement climatique. "Toutes les espèces, du phytoplancton aux poissons, représentent une pompe à carbone importante. Les micro-organismes vont capter le carbone en surface, puis vont être eux-mêmes absorbés par un prédateur et ainsi de suite. À la fin, si ces espèces ne sont pas pêchées, elles vont s’échouer dans les fonds marins et produire des sédiments. Elles jouent donc un rôle très important dans la séquestration de carbone qui se trouve dans notre atmosphère", détaille Joachim Claudet.

Des ressources marines aux multiples bénéfices

Mais comme souvent lors de telles discussions, les enjeux économiques ne sont jamais très loin. Le principal blocage des négociations portait sur l’utilisation des ressources génétiques marines… et des bénéfices qui en découlent. Car au-delà de leur rôle capital pour le vivant, les molécules et organismes présents en haute mer sont aussi potentiellement intéressants pour les industries pharmaceutiques, agroalimentaires ou cosmétiques.

Or, l’échantillonnage de ces ressources n’est accessible qu’à certains pays assez riches, vu les investissements technologiques qu’il demande. C’est pourquoi les pays en voie de développement demandent un pourcentage des bénéfices issus des brevets qui reposent sur ces ressources qui "n’appartiennent normalement à personne".

Ce dernier point était toujours en discussion ce samedi.

Un poids contre le "deep sea mining" ?

Cet accord intervient aussi alors que des discussions sont en cours concernant l’exploitation minière des fonds marins, le "deep sea mining". Un mécanisme légal qui arrive à échéance devrait permettre l’exploitation de ces fonds dès juillet 2023. Plusieurs associations – dont le collectif "Look Down" – lancent un appel aux États afin qu’ils se positionnent dans l’urgence sur un moratoire, pour un arrêt des activités minières jusqu’à ce que les risques soient entièrement évalués.

Les données scientifiques actuelles ne permettent en effet pas de déterminer les conséquences qu’une telle exploitation engendrerait tant du point de vue de la destruction de la biodiversité que du mécanisme de séquestration de carbone des fonds marins.

Si l’accord de l’ONU concernant le traité sur la haute mer n’est pas contraignant en la matière, il peut en revanche donner le ton pour la suite des discussions. "Le traité sur la haute mer concerne la colonne d’eau entre la surface et les fonds marins. La question des grands fonds en tant que tels est traitée par l’autorité internationale des fonds marins (AIFM). Néanmoins étant donné que ce sont les mêmes pays qui prennent part aux négociations, cet accord pourrait peser sur les discussions", prévoit Joachim Claudet.

Extrait du JT du 05/03/2023

Un accord sur la protection de la haute mer à l ONU

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