Justice

Acheter de la drogue en quelques clics, nous avons fait le test

Le focus

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Par Aurélie Fogli via

Cela se présente comme un site de vente classique, mais à la place de naviguer dans les photos de vêtements ou bibelots, vous voyez sur votre écran des photos de petits sachets de drogue synthétique. Le marché de la drogue s’adapte visiblement aux modes de consommation et il est désormais possible d’acheter de la drogue en ligne.

Pas question ici de fouiller dans le "darknet", les sites sont accessibles à tous, sur le web "classique". Et tous les codes d’un site normal s’y retrouvent : payement en ligne possible via un QR code, livraison gratuite et en moins de 24 heures si la commande est passée avant 17 heures, possibilité de suivi du colis. Bref, c’est interpellant.

Nous avons décidé de faire le test, seul moyen de vérifier si ces sites fonctionnent réellement. Le site que nous trouvons se présente comme "le spécialiste dans le domaine de la recherche chimique". Une affirmation que rien n’atteste. Il n’est d’ailleurs jamais demandé à l’acheteur de prouver qu’il fait de la recherche.

© RTBF

Trois minutes pour acheter 10 grammes

La page propose principalement de la 3-MMC, une drogue de synthèse. Stimulante, elle est déjà connue dans le milieu du chemsex (le sexe sous l’influence de stupéfiants). Mais depuis peu, elle commence à faire son entrée dans les milieux festifs et rencontre de plus en plus de succès parmi les jeunes. Elle est parfois présentée comme une alternative moins chère à la cocaïne et, selon les utilisateurs, ses effets sont proches de la cocaïne, la MDMA et les amphétamines.

Nous créons un profil et commandons 10 grammes de 3-MMC en cristaux, pour un montant de 80 euros. Première surprise, le site nous propose de payer en scannant un QR code, plutôt facile donc. Nous choisissons de faire livrer notre commande à la RTBF, adresse que nous mentionnons dans le formulaire. En 3 minutes, la commande est passée. Elle est immédiatement confirmée.

La promesse de la livraison en 24 heures ne sera pas tenue. Mais moins de deux jours après notre commande, le colis est dans notre boîte aux lettres à la RTBF. Une simple petite enveloppe à bulles, avec à l’intérieur un sachet fermé de la taille de la paume de la main.

Le site de vente ressemble à un site classique
Le site de vente ressemble à un site classique © RTBF

C’est dans une association de prévention des risques pour les usagers de drogues que ce sachet sera ouvert. Il contient bien 10 grammes de cristaux et après analyse par le responsable du testing, il s’agit bien de 3-MMC.

Bérénice Libois est chargée de projet testing à Modus Fiesta, elle nous explique que "la 3-MMC est un stimulant dérivé du khat. Comme la plupart des stimulants, ça va augmenter les risques de tachycardie, d’hyperthermie. Il y a aussi la question du craving, l’envie de reconsommer, qui est assez présente au niveau des cathinones et de cette molécule-là".

Des petits colis compliqués à intercepter

Nous poursuivons notre enquête en nous intéressant au colis envoyé. Il est arrivé par la poste, comme une enveloppe classique.

Ce genre de courrier pourrait être intercepté par les douanes, cela arrive d’ailleurs régulièrement. Généralement, il s’agit de colis envoyés de l’étranger et qui transitent par la Belgique pour repartir dans un autre pays. Mais les douanes se concentrent sur le gros trafic, les envois de grandes quantités de drogues cachées par des moyens ingénieux.

Pour les envois aux particuliers, c’est plus compliqué admet le patron des douanes, Kristian Vanderwaeren : "Pour nous, la priorité, ce sont les réseaux criminels. C’est là où on gagne beaucoup d’argent. Je n’ai pas les capacités techniques ou en hommes pour concentrer l’attention sur des envois très très limités. Les saisies qu’on fait, ce sont 10.000 ou 5.000 pilules d’ecstasy, mais pas 2, 3 ou 5."

La drogue arrive dans une simple enveloppe postale
La drogue arrive dans une simple enveloppe postale © RTBF

L’importation et la détention de stupéfiants sont illégales, quel que soit le moyen utilisé

Depuis 2017, la législation belge sur les stupéfiants est plus large. Elle interdit toute une série de drogues, mais aussi tous les dérivés de certaines structures chimiques. Cela permet d’englober la plupart des drogues synthétiques, même si leur "recette" évolue légèrement. Cette extension a été faite après que la Belgique a connu 6 décès en 6 mois à cause de drogues synthétiques.

Les drogues synthétiques sont donc bien considérées comme des stupéfiants et interdites. Tout comme l’achat en ligne, comme l’explique très clairement Martin François, substitut et porte-parole au parquet de Bruxelles : "La loi et la réglementation en général interdisent toute une série d’opérations avec ces substances interdites. Les vendre, les détenir, les importer, exporter, fabriquer. Concrètement, pour une personne qui commande sur un site internet des substances illégales, il y a deux cas de figure. Soit le site est hébergé en Belgique et cette personne est dans l’illégalité dès qu’elle entre en possession de ces substances, c’est considéré comme de la détention de substances illicites. Si site est à l’étranger, la personne est dans l’illégalité à partir du moment où les produits entrent sur le territoire, parce que c’est de l’importation de substances illégales."

Pour toutes les drogues illégales (synthétiques ou non), les peines vont de 3 mois à 5 ans de prison et une amende de 8.000 à 800.000 euros.

Quand au site internet lui-même, s’il est hébergé en Belgique et qu’il vend des substances illégales, il est lui-même dans l’illégalité. A l’étranger, tout dépend de la législation du pays. Mais on l’a dit plus haut, cela ne change pas grand-chose pour l’acheteur belge, qui commet une infraction peu importe où se situe le site.

Quant à cette mention laissant croire que le site est spécialisé en recherches chimiques ? Pour le parquet, "cette affirmation est fallacieuse et ne vise qu’à tromper les clients potentiels en leur donnant l’illusion qu’ils sont dans la légalité".

Le sachet contenait bien 10 grammes de 3-MMC
Le sachet contenait bien 10 grammes de 3-MMC © RTBF

La drogue a été remise à la police

Notre enquête terminée, nous nous sommes rendus dans un commissariat de police afin de remettre l’intégralité de la drogue commandée en ligne. Après quelques explications sur notre démarche journalistique, la police a donc enregistré et conservé le sachet et son contenu.

Loading...

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous