Monde Europe

Adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN, 5 questions à Julien Pomarède

Julien Pomarède, docteur en sciences politiques et sociales ULB – Oxford University.

© RTBF

Par Esmeralda Labye

En deux jours, deux pays européens ont envoyé une demande d’adhésion à l’OTAN. Stockholm et Helsinki s’inquiètent de leur proximité avec la Russie de Vladimir Poutine. L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord attire mais y entre-t-on facilement ? Le maître de Moscou est-il pour quelque chose dans cet attrait soudain pour l’OTAN ?

Nous avons posé 5 questions éclairs à Julien Pomarède, docteur en sciences politiques et sociales à l’ULB et à l’Université d’Oxford.

1. Comment rentre-t-on dans l’OTAN ? Est-ce le même style de procédure que pour adhérer à l’UE ?

C’est un processus très réglementé, ritualisé et qui se déroule en plusieurs étapes. Tout d’abord, il faut qu’un état tiers soit intéressé et formule une demande d’adhésion auprès de l’OTAN. C’est ce que viennent de faire la Suède et la Finlande. Ensuite, au niveau du conseil de sécurité de l’Atlantique, qui est l’organe de décision politique suprême de l’Alliance, on décide ou non de lancer des pourparlers d’adhésion et cela a travers d’un programme baptisé "Membership action program" ou MAP ou encore "plan d’action pour l’adhésion" en français. 

Une fois que les États membres se sont mis d’accord sur le fait qu’un pays pouvait devenir potentiellement membre, alors le plan d’action pour l’adhésion est lancé. C’est moins compliqué que d’adhérer à l’Union Européenne parce qu’il y a moins de secteurs à couvrir. Pour l’UE, il faut répondre à une série de standards qui sont très variés en économie, climat, droits humains… Dans le cadre de l’OTAN, il y a un cahier des charges effectivement mais il concerne très majoritairement les questions de défense. Donc, si vous avez vos institutions de défense qui fonctionnent selon les critères de l’OTAN, c'est-à-dire qu’elles sont à la fois soumises aux politiques, qu’il n’y a pas de risques de coups d’état des institutions militaires, pas de corruption, et interopérables avec les institutions de l’OTAN, alors c’est moins compliqué qu’un cahier des charges de l’UE où les agendas sont beaucoup plus complexes.

Une fois que les États membres se sont mis d’accord sur le fait qu’un pays pouvait devenir potentiellement membre, alors le plan d’action pour l’adhésion est lancé

Je prends par exemple le dernier venu de l’Alliance, la République de Macédoine du Nord. Elle a été incluse dans le MAP en 1999 mais ce n’est qu’en mars 2020 qu’elle est entrée. C’est aussi parce qu’il lui fallait toutes une série de réformes importantes. Le Monténégro, autre exemple, a rejoint le MAP en 2009 et est devenu membre en 2017. Ça peut donc varier en fonction des États. Et puis, une fois que l’Alliance estime qu’un État peut devenir membre, le plan d’action d’adhésion est lancé et des pourparlers commencent avec une équipe de l’OTAN qui est désignée pour gérer ses négociations. Le pays souhaitant adhérer doit donc s’engager à faire les réformes nécessaires pour adhérer à l’OTAN.

Et c’est la règle dans l’Alliance, toutes les décisions doivent être prises par consensus, c'est-à-dire par unanimité. Tous les États membres doivent être d’accord, il n’y a pas de vote à main levée, il y a une procédure de silence. Cela signifie qu’une proposition est faite et si les États membres au bout d’un certain temps n’ont pas objecté, alors c’est décidé.

 

2. Tout le monde peut postuler ?

Tous les pays européens sont libres de postuler. C’est ce qu’on appelle la politique de la porte ouverte de l’OTAN qui est contenue dans l’article 10 du traité de Washington, et qui explique que l’ensemble des pays de l’ère Euro-Atlantique (Atlantique nord, grosso modo) peuvent déposer une demande. Ensuite, c’est effectivement au conseil de sécurité de l’Alliance de statuer là-dessus.

Il y a un aspect politique à cela. La Finlande et la Suède sont déjà des partenaires de l’OTAN. Souvent les partenariats précèdent les adhésions. Quand on regarde l’ensemble des pays d’Europe de l’Est, après la guerre froide, ils ont intégré le plan d’action d’adhésion pour la paix de l’OTAN et cela a permis de jeter les bases d’une adhésion qui a été acceptée par la suite.

La Finlande souhaite rejoindre l’OTAN.
La Finlande souhaite rejoindre l’OTAN. © Belga Image

3. La Finlande demande une adhésion accélérée, qu’est-ce que ça veut dire ? Est-ce prévu dans le règlement de l’OTAN et cela prend-il du temps ?

Les spécialistes et j’en fais partie, ne voient pas à quoi cette formule pourrait se référer. C’est comme lorsque le président Zelensky demande une procédure accélérée pour l’Ukraine. Il faut plus voir ça comme un "statement politique" en fait. Il faut accélérer les choses parce que la Russie fait peser un danger sur la sécurité européenne, donc il faut aller plus vite que prévu. Sauf que quand on rentre dans le détail des sujets, il y a une durée des négociations qui est incompressible. On ne peut pas passer au-dessus de certaines choses.

On parle quand même de sécurité et de défense. Donc une procédure accélérée, quand le secrétaire général de l’OTAN dit ça, il est plus dans une position politique de dire que l’Alliance doit agir, doit accepter l’adhésion de ces états-là. Mais il n’y a pas de procédure accélérée à l’OTAN ! C’est comme pour l’UE. Il y a des règles, des étapes qui doivent être respectées ! Par exemple, la Macédoine ou l’Albanie ont pris beaucoup de temps parce que leurs structures de défense n’avaient pas grand-chose à voir avec les armées qui étaient déjà dans l’OTAN, elles n’étaient pas assez standardisées, l’encadrement politique posait question. Donc dans certains cas c’est lourd, mais une structure internationale est lourde !

4. Peut-on dire que c’est quasi acquis pour la Suède et la Finlande, qu’il s’agit d’une formalité alors ?

Si les quelques réticences turques réussissent à être dépassées et ce sera très probablement le cas car la Turquie a adouci sa rhétorique ses derniers jours, il y a de très fortes chances oui. L’abstention n’est pas possible. Si vous n’objectez pas, alors c’est que vous adhérez. Il n’y a pas de vote à main levée donc si vous ne dites rien, c’est que vous êtes d’accord. En plus, ce sont des pays qui sont complètement démocratisés, avec une armée soumise aux politiques, économiquement très développés, déjà dans une certaine mesure interopérable avec l’OTAN car ils ont effectué des exercices communs.

Je ne vois pas de difficultés majeures à ce que ces pays deviennent membres. Mais dans quel délai ? C’est impossible à dire ! Différents facteurs peuvent intervenir par exemple des réunions qui n’arrivent pas à se tenir parce que les dates ne conviennent pas à tout le monde, ça peut dépendre de plein de choses ! Je pense que cela va se compter en années plutôt qu’en mois, un an, deux ans, trois ans mais pas 10 ans comme pour les pays de l’ancien bloc soviétique.

Magdalena Andersson, première ministre suédoise.
Magdalena Andersson, première ministre suédoise. © Belgaimage

5. Deux demandes d’adhésion en deux jours, l’OTAN séduit ou c’est Vladimir Poutine qui lui fait une publicité sans le vouloir ?

Disons que là on voit la politique contre-productive de Vladimir Poutine. C’est une politique extérieure très agressive, qui a pris la forme d’une réelle agression en Ukraine. Depuis l’annexion de la Crimée et le soutien aux activités séparatistes dans le Donbass depuis les années 2010, Vladimir Poutine a poussé l’Ukraine dans le camp occidental, très clairement. C’est inscrit dans la constitution que l’Ukraine rejoigne l’OTAN quand même ! Et c’est pareil en Géorgie. L’opinion publique géorgienne vire pro Occident de façon très importante.

C’est une politique contre-productive. Il a poussé deux États vers l’OTAN. Il paye les mauvais calculs de sa stratégie qui consistait à dire que le continent européen allait se fragmenter devant le conflit en Ukraine, que les réactions seraient molles. En fait, pas du tout ! Il y a une revitalisation de l’Alliance qui est claire et d’autant plus claire que deux états veulent la rejoindre. Et pas des moindres ! Certes, ce ne sont pas des puissances militaires colossales mais ce sont deux grands pays européens dont un, la Finlande à une frontière avec la Russie.

Vladimir Poutine, le maître du Kremlin, digère mal les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande.
Vladimir Poutine, le maître du Kremlin, digère mal les demandes d’adhésion de la Suède et de la Finlande. © Belga Image

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