Standard de Liège

Affaire "Standard-Waterschei": 40 ans plus tard, les témoignages des acteurs interpellent

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© 2004 AFP

Il y a 40 ans, le 8 mai 1982, le Standard battait Waterschei et fêtait le 7e titre de son histoire. Un peu moins de deux ans plus tard, en février 1984, les aveux de Roger Petit (Secrétaire général du Matricule 16), Raymond Goethals (Entraîneur) et Eric Gerets (Capitaine) révèlent que ce match était entaché d’irrégularités. Une somme de 420.000 francs belges avait été remise par le Capitaine liégeois à son homologue limbourgeois Roland Janssen. Le but de la démarche (dans la version officielle (et quasi unanime) des standardmen): veiller à ce que lors de cette dernière rencontre de la saison les joueurs de Waterschei "lèvent le pied". Pas nécessairement pour perdre le match, mais pour ne pas blesser les "Rouches" qui disputaient 3 jours plus tard la finale de la Coupe des Coupes contre Barcelone au Camp Nou. Par ailleurs, les hommes de Goethals, en tête du championnat devant le Sporting d’Anderlecht, avaient encore besoin d’un point pour s’assurer du titre.

Aux termes d’une enquête du Juge Bellemans, le Pot-aux-roses est découvert, Président, Entraîneur et Capitaine avouent la fraude, suivis par les joueurs concernés : Michel Preud’homme, Jos Daerden, Walter Meeuws, Théo Poel, Simon Tahamata, Gérard Plessers et Guy Vandersmissen, qui avaient accepté de verser leur prime de match (30.000 francs belges) dans l’enveloppe du délit.

Les joueurs écopent d’un an de suspension, Raymond Goethals de deux ans, Eric Gerets de trois. Roger Petit est radié, le Standard évite de justesse la relégation mais est décapité,  ne se relèvera que bien plus tard.

 

Quatre joueurs se souviennent, 40 ans plus tard, toujours marqués par les évènements

Eric Gerets est probablement le plus meurtri de tous les acteurs de ce très mauvais feuilleton de l’histoire de "son" Standard. Il a reconnu son erreur, payé lourdement sa faute, et toujours regretté que certains n’aient pas assumé leur responsabilité, bien plus grande que la sienne. Nous l’avons sollicité mais il a poliment refusé : "J’ai laissé cette triste histoire derrière moi, j’espère que tu comprendras ?". Bien sûr, Eric !

Les quatre qui ont accepté de revenir sur ces douloureux souvenirs nous ont demandé de ne pas (ré) associer leur nom à cette sale affaire. D’accord aussi ! Ils faisaient tous quatre partie de l’effectif de la saison 1981-1982, deux ont été condamnés.

Voici leurs témoignages, répartis en trois "moments": le dérapage de 1982, la déflagration en 1984, les remous et conséquences.

Payer Waterschei, mais pourquoi donc ?

-"A un moment, en fin de saison, Raymond Goethals a dit aux cadres du vestiaire (en Neerlandais) "Maintenant il va falloir préparer la valise". Nous étions en tête de classement, Anderlecht nous talonnait. Il était littéralement obsédé par cette idée. Il disait qu’il savait comment ça allait, qu’il avait déjà vécu cela, et que si ce n’était pas nous qui le faisions, les Mauves eux le feraient, en encourageant financièrement nos adversaires".

-"Lorsqu’il a concrètement demandé que notre capitaine (Eric Gerets) contacte le capitaine de Waterschei Roland Janssen et lui propose de l’argent pour ne pas mettre le pied lors de la dernière rencontre de championnat, Eric a répondu qu’il n’y avait aucune raison de faire cela puisqu’il ne nous manquait qu’un point (et seulement en cas de victoire d’Anderlecht) pour nous assurer du titre, que Waterschei était déjà en roue libre et que, surtout, la plupart de ces joueurs étaient limbourgeois eux aussi et ne commettraient pas de fautes sur leurs "Amis de Sclessin". Mille fois, Eric a répété cela mais Goethals ne voulait rien entendre, il revenait sans cesse à la charge et mettait une pression énorme sur Eric".

-"Pour Goethals, décrocher le titre au détriment du Sporting était une idée fixe". A côté de cela, quatre jours plus tard, nous disputions une finale de coupe d’Europe face au grand Barça. Notre effectif était étroit et il craignait une blessure ou un excès de fatigue".

-"L’idée n’est pas venue de Roger Petit (Secrétaire général). Je crois que c’est le coach qui l’a convaincu. Mais comme Petit ne voulait rien débourser, le coach a suggéré que nous constituions l’enveloppe avec nos primes de victoire, soit 30.000 francs belges chacun. C’est vrai que par rapport à la prime du titre, ce n’était pas grand-chose".

-"On n’était pas d’accord mais on ne s’y est pas opposé non plus. La pression était forte, et on craignait qu’en s’opposant à sa décision il nous relègue sur le banc pour ce dernier match à Sclessin, devant un stade comble, avec le titre à la clé. Puis peut-être au Camp Nou de Barcelone".

-"On n’avait pas l’impression de commettre un crime. Ni même de fausser la compétition, parce qu’on était sûrs de gagner ce dernier match et que les liens (parfois familiaux) entre nous et les Limbourgeois nous épargnaient toute mauvaise surprise".

-"Je trouve que la Direction a tout de même pris un gros risque en nous proposant cette combine parce que plusieurs joueurs arrivaient en fin de contrat et, en cas de litige, auraient pu agiter la menace de tout révéler".

A noter, seuls 9 joueurs étaient dans le secret: les 8 qui ont été suspendus plus Arie Haan, qui lui a déclaré qu’il avait refusé de laisser sa prime et a été blanchi. Aucun jeune n’avait été mis dans le secret.

Quand l’Affaire explose, les dégâts sont immédiats, et divers

Le 22 février 84, des perquisitions au Standard révèlent le Pot-aux-roses. Comptabilité saisie, caisse noire découverte, aveux du Président et de l’Entraîneur, le séisme secoue la région liégeoise et tout le football belge.

"Je me souviens, je prenais ma voiture pour aller manger avec le groupe entre deux entraînements. J’ai mis la radio et entendu "Scandale au Standard de liège, une affaire de corruption…". On était tous stupéfaits, même les 8 qui savaient, parce qu’ils n’avaient pas imaginé un seul instant que la Direction aurait laissé la moindre trace de cette magouille. Dans les jours qui ont suivi, on devait être auditionné par les enquêteurs. On se demandait ce qui pouvait nous arriver ? La pression des médias et de l’opinion publique était énorme. Découvrir ta photo en première page de la presse à scandale, c’est très lourd. Et on écrivait l'histoire, parce que les gens découvraient l’argent noir du football".

"La Direction du Standard a exercé une forte pression sur nous, pour qu’on avoue. Elle était convaincue que les choses allaient se tasser facilement si on donnait tous la même version : on avait versé nos primes de victoire pour qu’il n’y ait pas de blessé au terme de la rencontre. Il avait même été question de dire que l’idée n’était venue qu’après le match, en guise de remerciements pour l'absence de blessure".

-"Durant les interrogatoires puis les semaines qui ont suivi, il y a eu beaucoup de solidarité entre nous, on s’est serré les coudes pour tenir le coup. J’y repense parfois".

-"Avec les condamnations et les suspensions, on a perdu de l’argent, des contrats, et des sélections avec nos équipes nationales". Par exemple, chez les Diables rouges, Gerets, Vandersmissen, Plessers, Daerden, Meeuws et Preud’homme ont été privés de l’Euro 84 en France".

-"Le Standard a de suite payé très cher sa faute. Il a joué (et perdu) la finale de la Coupe de Belgique contre Gand avec une équipe décimée. Et les années suivantes, ceux qui comme moi n’avaient pas pu quitter le club se sont retrouvés dans une équipe décapitée, et dans un club montré du doigt, humilié, et dont l’avenir était compromis. Ces 2-3 années-là ont été très dures pour nous".

-"Moi je fais partie de ceux qui ont dû partir. Et je l’ai regretté, parce que j'étais très attaché au Standard, je m’y plaisais beaucoup : le public fantastique, le niveau de jeu, la proximité avec mon domicile, la renommée du club… J’ai perdu tout cela, alors que je m’y voyais encore 4 ou 5 ans".

 

Les plaies sont refermées mais certaines cicatrices tiraillent encore parfois

40 ans plus tard, quelles traces cette enveloppe de 420.000 francs belges a-t-elle laissé sur les doigts ou dans les poches de ceux qui l’ont manipulée ?

"J’ai perdu des gens que je croyais être des amis. Aujourd’hui je ne le regrette pas, mais ça a été difficile parfois".

"Personnellement, après ma suspension, cette affaire ne m’a privé ni d’un transfert ni d’un emploi dans le football. Mais elle me laisse un goût amer en bouche, parce qu’elle n’aurait jamais dû exister. Quand je pense à ma carrière, j’ai devant les yeux une tache noire, qui assombrit l’ensemble. Aucun d’entre nous n’est fier de ce qui s’est passé. Surtout, il y a de l’amertume, parce que le principal "coupable" n’a pas assumé, et s’en est plutôt bien sorti"

-"Après les quelques mois ou années difficiles, la plupart des bons joueurs ont repris le cours de leur carrière. Mais des joueurs moins talentueux, par exemple certains de Waterschei comme Rolland Janssen ou Willy Vliegen, ne s’en sont pas remis et ont dû changer de métier".

-"Alors que c’est lui qui a payé le plus cher notre erreur, je suis vraiment heureux que le "Lion de Rekem" (Eric Gerets) ait pu rebondir et connaître la belle carrière qu’il a eue tant comme joueur que comme entraîneur. L’inverse aurait été trop injuste".

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