Il faut éviter une catastrophe humanitaire en Afghanistan. Les Nations Unies ont obtenu lundi 1,2 milliard de dollars de promesses d’aide de la part des pays donateurs. Ce ballon d’oxygène devrait permettre de sauver 14 millions d’Afghans menacés par la famine d’ici la fin du mois. Cette aide servira aussi de levier politique dans le dialogue qui s’ébauche entre la communauté internationale et le nouveau pouvoir taliban.
Depuis son arrivée au pouvoir à la mi-août, tous les financements internationaux ont été suspendus. Or, 40% des revenus du pays venaient de ces fonds étrangers. Quelque 10 milliards de dollars du Trésor afghan sont bloqués à l’étranger. Déjà fragilisée par des décennies de guerre, par la crise du Covid et par de récentes sécheresses, l’économie afghane est au bord de l’effondrement.
Pas d’aide directe
Même les Nations Unies n’étaient plus en mesure de verser les salaires de ses employés afghans encore au travail. Sans intervention extérieure, la quasi-totalité de la population afghane basculera sous le seuil de pauvreté l’an prochain.
Les pays donateurs n’ont pas tous précisé si les sommes promises seraient versées au fonds d’urgence des Nations Unies ou à d’autres interventions humanitaires. La plupart d’entre eux refusent de fournir de l’aide directement au nouveau régime islamiste.
"Tirer avantage de cette aide"
"Nous sommes bien sûr très soucieux de faire en sorte que l’aide humanitaire serve de levier pour obtenir un réel engagement des talibans dans tous les autres aspects qui préoccupent la communauté internationale", a expliqué le secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres. "Si nous voulons faire progresser les droits de l’Homme pour le peuple afghan, le meilleur moyen est d’aller de l’avant avec l’aide humanitaire, de dialoguer avec les talibans et de tirer avantage de cette aide humanitaire pour pousser à la mise en œuvre de ces droits."
L’ONU avait demandé 600 millions de dollars pour permettre à ses agences, comme le Programme alimentaire mondial, de répondre aux urgences du moment. La France a annoncé débloquer 100 millions d’euros et les États-Unis 64 millions de dollars. La Belgique versera 2 millions d’euros au Fond humanitaire des Nations Unies.
Eviter un écroulement et un exode
Le succès de cet appel de fonds montre que de nombreux pays partagent l’analyse du patron des Nations Unies : personne n’a intérêt à provoquer un écroulement complet de l’Afghanistan, "qui pourrait déclencher un exode massif", a prévenu Antonio Guterres.
L’aide à l’Afghanistan et un certain niveau de dialogue avec les talibans paraissent incontournables. Ce levier devrait permettre de tenter de préserver certains acquis de ces 20 dernières années, en particulier en ce qui concerne les droits des femmes. Mais "il ne fait pas faire d’illusion", a prévenu Antonio Guterres : "Nous n’essayons pas de transformer l’Afghanistan en Suède ou même en Suisse, mais nous savons qu’il y a un certain nombre de droits élémentaires qui doivent absolument être respectés."
Canaux de communication
Les talibans ont promis de gouverner de façon moins brutale et rigoriste que lorsqu’ils ont dirigé le pays dans les années 90. Les femmes ne pouvaient alors ni étudier, ni travailler. Ils ont annoncé que les Afghanes pourraient étudier à l’université, mais dans des classes non mixtes et en se couvrant entièrement à l’exception des yeux. Les femmes pourront travailler "dans le respect des principes de l’islam". Elles ont pu reprendre le travail dans le secteur de la santé.
Les États-Unis et l’Union européenne ont déjà ouvert des canaux de communication avec le nouveau pouvoir afghan. "Nous devons parler avec le nouveau gouvernement afghan, ce qui ne signifie pas une reconnaissance, c’est un dialogue opérationnel", avait expliqué début septembre le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell.
Il faut montrer clairement aux talibans le bénéfice qu’ils ont à discuter
Ces contacts passent entre autres par le Qatar, devenu ces dernières années la plaque tournante de la diplomatie sur l’Afghanistan. "Saisissons les opportunités qui se présentent et mettons nos émotions de côté", conseillait il y a quelques jours la porte-parole qatarie des Affaires étrangères dans une interview à l’AFP. Lolwah al-Khater préconise "une approche très rationnelle, et non émotionnelle, afin de montrer clairement aux talibans le bénéfice qu’ils ont à discuter et les conséquences" qu’ils subiraient s’ils refusaient de le faire.
Certains pays ne manifestent cependant pas les mêmes réticences à l’égard du nouveau régime afghan. La Chine, le Pakistan et les Emirats arabes Unis ont déjà commencé à livrer une aide au pays. Ces pays envoient par avions entiers des vivres et des fournitures médicales vers Kaboul. Ils entament parallèlement des discussions avec les talibans pour préparer des coopérations à venir. La Chine ne cache pas son intérêt pour les ressources minières afghanes.
Sécurité garantie
Un désinvestissement du reste du monde aurait pour effet de renforcer ce rapprochement entre Kaboul, Pékin et Islamabad. Les Nations Unies n’ont pas laissé le champ libre. Le responsable humanitaire des Nations Unis Martin Griffiths s’est rendu à Kaboul pour entamer des discussions avec le nouveau gouvernement sur la poursuite de l’aide à la population.
Lors de ces rencontres, les responsables talibans se sont engagés à garantir la sécurité des travailleurs humanitaires, hommes et femmes. Les talibans promettent aussi de leur faciliter l’accès aux populations. Les vols humanitaires de l’Onu ont déjà pu reprendre dans le pays.
Les ONG parlent aux talibans
A côté des agences onusiennes, de grandes ONG ont poursuivi ou repris leurs activités dans le pays. Certaines entretenaient déjà des contacts discrets avec les talibans bien avant leur arrivée à Kaboul, entre autres pour apporter de l’aide dans les zones sous leur contrôle de longue date. Elles ont reçu des garanties de sécurité pour poursuivre leurs activités.
"Nos équipes sur le terrain ont déjà engagé des discussions avec les talibans dans de nombreuses provinces", indique Michelle Delaney, porte-parole du Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC). "On nous a demandé à chaque fois de continuer à faire notre travail".
"Les changements en Afghanistan n’ont pas modifié notre relation avec les talibans et la situation actuelle ne change pas notre façon d’agir", confirme le porte-parole du CICR, Florian Seriex.
Neutralité, impartialité et indépendance
Après une pause, Handicap International a repris ses activités dans le pays, "considérant que les principes humanitaires de neutralité, d’impartialité et d’indépendance sont pour le moment respectés". L’organisation avertit néanmoins qu’elle "serait amenée à reconsidérer la poursuite de ses programmes si l’accès à l’aide pour les femmes ou d’autres parties de la population était entravé".
Dans certaines zones, des talibans ont déjà tenté de mettre fin aux projets visant à aider les femmes à gagner en autonomie. Ils auraient aussi entravé le travail de certaines travailleuses d’ONG. L’Afghanistan reste l’un des pays considéré comme les plus dangereux pour le personnel humanitaire.