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"Afghanistan, le choix des femmes" : Hadja Lahbib se confie

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Par Cécile Joulia

Face à la situation actuelle en Afghanistan et le sombre avenir que réserve la prise de pouvoir des talibans aux femmes, Hadja Lahbib revient sur son documentaire Afghanistan, le choix des femmes, les nouvelles qui lui sont parvenues et nous partage son point de vue.

Afghanistan : un élan de démocratie ?

Hadja Lahbib, journaliste, a réalisé de nombreux reportages et documentaires en Afghanistan. L’un d’entre eux, Afghanistan, le choix des femmes, coproduit par la RTBF, raconte l’histoire de deux femmes afghanes se battant pour leurs convictions. Deux dirigeantes, deux femmes de pouvoir, qui gouvernent d’une main de fer. L’une d’entre elles, une gouverneure, pourrait bien poser les premiers jalons d’un élan démocratique. Intriguée, Hadja Lahbib est partie à leur rencontre, en 2007, remplie de questionnements. Quatorze ans plus tard, elle revient sur son périple :

Comment une femme allait-elle pouvoir asseoir son autorité dans une ville d’homme, défendre les valeurs démocratiques auprès d’une population à plus de 80% analphabète et où les seules règles connues sont celles qui régissent les relations tribales depuis la nuit des temps ? C’est ce qui me motiva à partir une nouvelle fois en Afghanistan. J’en étais à mon huitième ou neuvième voyage.

Un changement qui se faisait ainsi percevoir au loin, qui s’engouffrait peu à peu dans la mentalité et les mœurs afghanes. Ce changement pourrait-il toutefois mener à une démocratie dans un pays dominé par les hommes, dominé par le passé, façonné par la guerre et les puissances étrangères ?

J’avais suivi la guerre, la reconstruction du pays, les premières élections, l’érection du parlement, l’arrivée de femmes députées et ministres… Mais cette fois-ci était différente, les reportages que j’allais y tourner pour suivre l’évolution de la reconstruction du pays pour la RTBF étaient surtout le moyen d’approcher la gouverneure de Bamyan dans l’idée de réaliser un documentaire autour de la démocratie, ses limites, la possibilité d’en poser les bases dans un pays comme l’Afghanistan. Projet réaliste ou projection arrogante de l’Occident ?

" Projet réaliste ou projection arrogante de l’Occident ? "

Démocratie contre autocratie

Pour y voir donc plus clair dans ces rêves de démocratie : deux femmes. Une gouverneure et une combattante. Deux systèmes de pouvoir différents, deux façons de l’utiliser pour arriver à leurs fins et faire changer les choses :

Il me fallait trouver la figure inverse de la démocrate gouverneure, une femme si possible, une cheffe de guerre… Mission impossible ? Pas totalement, la rumeur parlait d’une commandante "Kaftar", pigeon en persan (mais cet oiseau n’est pas connoté négativement en Afghanistan que du contraire). Mais, comme la plupart des Afghans, j’ignorais si cette femme, qui aurait résisté dans sa vallée à toutes les invasions (russes et talibans), existait vraiment ou si ce n’était qu’une légende. Après un séjour à Bamyan où je suivais le quotidien émaillé de difficultés de la gouverneure, je pris la direction de la vallée de Sajjan où la commandante Kaftar m’accueillit, mon caméraman, Louis-Philippe Capelle, et moi, et nous laissa la suivre à son tour dans ses assemblées tribales… Il nous fallut deux voyages (un mois et demi de tournage) qui se terminèrent par une visite du parlement de Kaboul et une rencontre entre les deux femmes pour tourner "Afghanistan, le choix des femmes", portrait croisé entre deux femmes de pouvoir dans un pays d’hommes, entre deux projets opposés : la démocratie et l’autocratie.

Face à ces deux réalités, ces deux combats que tout oppose et pourtant si similaires, Hadja se veut en retrait, laissant libre cours au jugement du public. Ce qui est mis en avant ce sont ces femmes, chacune régnant sur son monde :

Lequel de ces deux projets de société était-il le plus réaliste pour l’Afghanistan ? Je laissais le public juge, le film s’attache surtout à ces deux femmes, sans poser de jugement, à leur quotidien et à la façon dont elles essayent de pacifier leur région, d’apporter un sentiment de paix et de justice.

Aujourd‘hui la réponse pourrait sembler plus évidente, mais pour ma part je préfère poser des questions, tendre mon micro, montrer et éclairer en remontant dans l’histoire de ce pays qui fut tout au long du siècle dernier manipulé selon les intérêts géostratégiques des grandes puissances. Principalement des Etats-Unis qui n’hésitaient pas à soutenir les extrémistes religieux via le Pakistan pour affaiblir les Russes communistes.

" […] portrait croisé entre deux femmes de pouvoir dans un pays d’hommes, entre deux projets opposés : la démocratie et l’autocratie. "

Les nouvelles du front

Quatorze ans plus tard, ces deux femmes fortes continuent à survivre et à diriger, chacune menant son combat à sa manière. Malgré les années, la gouverneure n’a pas faibli dans sa quête de changement politique, même si les attentes espérées ne sont pas toujours au rendez-vous :

La gouverneure Habiba Sorabi a participé à plusieurs gouvernements, elle a même été candidate à la présidence afghane. Depuis le mois de mars dernier, elle participe aux négociations à Doha pour former un gouvernement d’Union Nationale avec les Talibans. Je l’avais contactée par Skype en mars dernier, elle me disait que les négociations s’enlisaient car les Talibans ne venaient pas à la table des négociations, qu’il n’y avait même pas d’agenda. Aujourd’hui, elle est toujours à Doha, sa famille vient de la rejoindre à son grand soulagement. Sa fille s’est aussi engagée dans la vie politique, mais elle ne sait de quoi la vie sera faite demain à Kaboul.

La combattante, quant à elle, vogue au gré des vagues et fait le nécessaire pour survivre :

La commandante Kaftar a rallié le camp des Talibans, un entrefilet dans le New-York Times l’annonçait il y a plusieurs mois. "Elle a compris avant tout le monde" m’avait dit mon guide et traducteur qui lui s’est réfugié pour l’instant à Washington mais espère bien retourner au pays dès le premier septembre. Lui ne s’inquiète pas de la situation, que du contraire. Les attentats et explosions n’ont jamais cessé en Afghanistan, mais le retour des talibans va remettre un coup de projecteur sur le pays, la communauté internationale va devoir revenir sinon ce sera un sanctuaire de terroristes, il y aura de nouveaux attentats dirigés vers l’Occident et on recommencera à zéro, me prédit-il. L’histoire, quand on n’en tire pas les leçons, est un éternel recommencement.

Les femmes sous les talibans

Hadja Lahbib s’est également confiée au journal Le Vif sur la situation actuelle et l’avenir des femmes sous les talibans. Des propos recueillis par Charly Pohu.

Peu optimiste, Hadja craint que les femmes journalistes afghanes ne puissent plus exercer leur métier : "Non je ne pense pas qu’elles pourront continuer, ça va être très compliqué. Et en même temps, je dirais que la meilleure réponse c’est de continuer à travailler. Mais à quel prix ? Il y a toujours une balance, il n’y a pas de réponse simple." Tiraillée entre sa compréhension face à la fuite, la peur, et l’importance de continuer à se battre, Hadja demande qu’on les aide pour éviter le pire :

C’est capital de les aider à poursuivre leur travail. Il y a la nécessité de continuer à témoigner, de ne pas laisser ce pays formidable et cette population plongée dans le noir sans communication possible, sans témoin, sans relais, sans personne qui puisse alerter la communauté internationale de ce qui se passe. Ce serait dramatique.

Pourtant, ce pays était en proie à une belle évolution :

Il y avait un vrai mouvement de prise de conscience, de volonté de se faire entendre de la part des femmes afghanes. Le parlement afghan était un des plus féminins au monde avec 27% de représentation de femmes. Mais il y a eu des attentats ciblés qui visaient ces femmes après. Il y en a toujours eu, j’ai suivi les dépêches ces derniers temps. Ça n’a jamais cessé, et ça n’a fait qu’empirer.

Une évolution qui a pris du temps, qui fut difficile, mais qui était bel et bien présente : "L’Afghanistan reste un pays qui est en queue de peloton en matière d’égalité des genres, et des libertés et droits humains. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu un travail et une volonté politique."

Finalement, Hadja garde un doux souvenir des moments passés sur place, des personnes qui y vivent, qu’on oublie facilement derrière l’actualité et les enjeux politiques. L’Afghanistan, ce sont les Afghans avant tout, ce sont ces enfants, ces vieillards, ces femmes et ces hommes qui essayent tant bien que mal de vivre :

Personnellement je ne peux m’empêcher de penser à toutes ces femmes et ces hommes, de pensées et d’ethnies diverses, rencontrés au cours de mes périples à travers l’Afghanistan depuis 2001, avec dans leurs yeux, qu’ils avaient souvent beaux et lumineux, une envie de vivre, de rire, d’aimer, d’avoir des enfants et de les voir grandir. Une envie de vivre heureux sur terre, comme vous et moi.

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