L’EI au Khorasan s’est heurté à la répression menée par les talibans et s’est révélé incapable d’étendre son territoire, contrairement à ce qu’il avait fait en Irak et en Syrie. En 2019, l’armée gouvernementale afghane, après des opérations conjointes avec les États-Unis, avait annoncé qu’il avait été vaincu dans la province de Nangahrar.
L’Etat islamique, ce sont des "jusqu’au boutistes", explique Didier Leroy. Il ne cherche pas d’alliés, y compris chez les autres islamistes, les Frères musulmans ou les salafistes non politisés. Il fustige les talibans avec qui ils ont des divergences en termes de théologie et qu’ils traitent d’apostats, mais aussi Al-Qaida… Groupe sunnite extrémiste, férocement anti-chiite, il cible dans des attentats sanglants les chiites considérés comme hérétiques.
Cet antagonisme se voit aussi dans un événement récent, note Nicolas Gosset, également chercheur à l’Institut royal supérieur de défense : "L’une des premières choses que les talibans ont faite en rentrant dans Kaboul dimanche, ils ont ouvert et libéré lundi la prison où il y avait une masse de taliban, de jihadistes, de membres de l’EI placés là par les Etats-Unis et le gouvernement de Kaboul. Ils ont libéré les leurs, les jihadistes internationaux. Et le numéro deux de l’EI au Khorasan, ils l’ont tué. Et les autres membres de l’EI sont gardés vivant comme monnaie d’échange probablement pour plus tard".
Des attentats retentissants
Ces combattants du groupe l’Etat islamique revendiquent des attentats, des massacres de civils dans des mosquées, des hôpitaux ou des lieux publics. Une attaque en mai 2020 contre une maternité d’un quartier à majorité chiite de Kaboul avait coûté la vie à 25 personnes, dont 16 mères et des nouveau-nés.
Objectif : "créer un maximum de retentissement, frapper dans la capitale, pour humilier un gouvernement, pour générer de l’engouement médiatique", analyse Didier Leroy.
L’Etat islamique dans le Khorasan a des liens historiques avec les talibans. Des transfuges qui sont peut-être des canaux de communication. Mais les terroristes de l’EI se heurtent aux talibans, même s’ils ont réussi à former des cellules dormantes ailleurs en Afghanistan, notamment dans la capitale, et au Pakistan, selon les Nations unies.
Les dernières estimations de ses effectifs sont modestes de 1000 à 2000 membres concentrés dans l’extrême nord-est avec quelques petites cellules ailleurs mais cachées. Mais à la faveur d’une nouvelle guerre civile, l’organisation pourrait se regonfler en termes de recrues.
L’EI s’est montré critique à l’égard de l’accord de retrait des troupes américaines et étrangères d’Afghanistan conclu en février 2020 à Doha entre Washington et les talibans, accusant ceux-ci d’avoir renié la cause jihadiste. Après leur entrée dans Kaboul et leur prise du pouvoir le 15 août, les talibans ont reçu les félicitations de plusieurs groupes jihadistes, mais pas de l’EI.
L'aéroport de Kaboul, gigantesque cible molle
Entre talibans et Etat islamique, "la confrontation est nette, les talibans sont quelque part une sorte de bouclier contre l’EI à l’échelle afghane", conclut Didier Leroy qui rappelle que "les talibans inscrivent leur projet dans une logique nationale, et l’Etat islamique dans sa dimension de jihad global ne tient pas compte des frontières nationales, d’où son nom d’ailleurs". Et à l’aéroport de Kaboul "gigantesque cible molle que l’on peut frapper facilement avec une foule de journalistes prêts à relayer", les talibans redoutent une action d’éclat de la part d’une ou l’autre cellule dormante de l’Etat islamique.
Les talibans, rempart contre l’EI ?
La question se pose à présent du rôle des talibans comme agents de protection, comme barrage contre l’EI après l’effondrement de l’Etat afghan.
Pour la Chine et surtout la Russie, c’est clair et très pragmatique, analyse Nicolas Gosset, chercheur Asie centrale à l’ISRD. "Ils n’ont pas un océan qui les sépare d’un Afghanistan contrôlé par les talibans". La Russie peut craindre une influence des islamistes dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, la Chine redoute tout embrigadement islamiste, EI, taliban ou Al-Qaida chez les Ouïgours.
Mais pour les Etats-Unis aussi, la venue des talibans au pouvoir a son utilité, le sujet a été discuté au Qatar, de même pour le Pakistan pour qui l’EI pourrait être une menace, quelques attentats récents en sont témoins. "De là à dire que l’EI en Afghanistan représente une menace de premier ordre pour la communauté internationale, on n’est pas dans cet ordre de choses. Mais il y a un potentiel de reconstitution et de développement", explique Nicolas Gosset qui juge que la communication surtout américaine autour de la menace d’attentats à l’aéroport de Kaboul aide à légitimer la fin du pont aérien, même si la menace est plausible.