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AFTER DINNER WE TALK DREAMS : le retour poignant de MICHELLE

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Par Diane Theunissen

Il émane de certains groupes une cohésion instantanée, sans artifice, perceptible dès l’écoute des premiers morceaux. C’est le cas de MICHELLE, le collectif new-yorkais naviguant depuis quelques années entre le R&B, la pop, le jazz et la musique électronique. Après avoir sorti un premier album en 2018, MICHELLE revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec AFTER DINNER WE TALK DREAMS, un deuxième opus poignant, qui fait grandir et réfléchir. Pour l’occasion, Jam a pu discuter avec les six membres du groupe : Jamee Lockard, Sofia D’Angelo, Emma Lee, Layla Ku, Charlie Kilgore and Julian Kaufman.

Salut ! Votre album AFTER DINNER WE TALK DREAMS sortira le 04/03. Comment ce projet a-t-il vu le jour ?

Jamee : L’album s’est développé sur plusieurs années. Après la sortie de notre premier album HEATWAVE, on a voulu continuer à écrire, alors chaque hiver et chaque printemps, on organisait des sessions d’écriture très intenses : on bloquait un mois ou deux pour se retrouver quelque part, et on passait notre temps à écrire des chansons. Après des années de travail, nous sommes arrivés à environ 50 chansons inédites. Nous avons choisi nos 14 préférées – les plus cohérentes – et ce sont ces chansons-là qui se sont retrouvées sur l’album ! 

Quels sont les thèmes abordés sur cet album ?

Charlie : Sur notre premier album HEATWAVE, on a beaucoup abordé New York, notre vie ici et le passage de l'enfance à l'adolescence. Cet album-ci parle du fait de devenir un peu trop grand pour le monde dans lequel on a évolué en tant qu’enfants, qu'il s'agisse de la maison familiale ou du monde social dans lequel on a grandi. Il s'agit de la transition de l'adolescence à l'âge adulte, sans être tout à fait adulte. Nous sommes tous et toutes dans cette tranche de vie bizarre, celle qui vous rappelle que vous avez été dans une petite boîte toute votre vie et que vous essayez de fendre les bords pour en sortir.

Le clip de “Syncopate” traduit également cette notion de transition vers l’âge adulte. Que représente-t-il pour vous ?

Layla : Avec “Syncopate”, on a voulu reproduire autant que possible nos interactions sociales quotidiennes et faire en sorte que la vidéo soit assez authentique par rapport à la façon dont on appréhende la ville du haut de nos 20 ans. On a filmé des lieux qui nous sont très familiers afin d’illustrer les quartiers dans lesquels on a tous passé beaucoup de temps en grandissant. On a tourné une grande partie du film dans le Lower East Side, que nous connaissons tous très bien. Nous voulions simplement mettre en valeur la beauté de l'infrastructure et son côté grunge, authentique que nous aimons tant, et qui inspire une grande partie de nos compositions. Ces thèmes encouragent notre processus d'écriture et l'art que nous créons : les choix que nous avons faits en matière de lieux de tournage, nos vidéos de concerts, nos clips musicaux, même pendant la quarantaine, la façon dont nous avons organisé toutes ces choses marrantes que nous avons pu faire ensemble virtuellement – tout était basé sur la même idée.

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Quelle est la dynamique au sein du groupe ? Comment les rôles sont-ils répartis ?

Julian : Pour être honnête, on prend nos décisions assez rapidement. Quand vous commencez à travailler avec des personnes du monde de la musique, elles exigent une rapidité de prise de décision et une rapidité dans le processus créatif. Quand on a commencé à travailler avec des professionnels, cela nous a paru écrasant. Mais maintenant, c'est ce à quoi nous nous attendons, et nous avons appris à nous y adapter. Pendant la pandémie, notre processus créatif se résumait à se mettre en quarantaine, puis à passer du temps tous ensemble.

Chaque membre du groupe est-il impliqué dans le processus d'écriture ?

Julian : Tout le monde n'écrit pas sur toutes les chansons, mais tout le monde écrit sur différentes chansons. 

Sofia : Chaque membre du groupe est un auteur-compositeur. Les responsabilités de production sont entre les mains de Julian et Charlie, mais nous admirons tous beaucoup nos différentes approches d’écriture. C'est l'intérêt de faire partie de ce groupe : Julian et Charlie peuvent nous présenter, à moi et à une autre chanteuse, la même boucle, et nous aurons automatiquement des façons totalement différentes de l'aborder. Nous avons tous des idées différentes, et c’est ce qui rend le processus d'écriture vraiment excitant : grâce à cette différence, on perçoit les forces de chacun et on se pousse à devenir de meilleurs auteurs. C'est très sain pour la croissance. 

Emma : Depuis le début, c'est-à-dire depuis la conception de HEATWAVE, on travaille par petits groupes. Et c'est ce même sentiment qui nourrit notre processus d'écriture actuel : travailler en petits groupes de deux, trois ou quatre personnes avant de présenter ce qu’on a fait au reste du collectif. Maintenant qu’on connait l’approche de chacun, on peut anticiper les différentes combinaisons créatives possibles d'une manière que nous ne pouvions peut-être pas faire quand nous avons composé HEATWAVE.

Julian : Ce qui est assez drôle, c'est que sur HEATWAVE, Charlie et moi n'avions jamais prévu que les chanteuses viennent le même jour. On faisait plutôt en sorte d’attribuer l’un ou l’autre morceau à une chanteuse en particulier. La seule raison pour laquelle tout le monde a fait équipe, c'est parce que nous étions très mauvais en organisation. Elles ont donc fini par se sont croiser (rires).

Charlie : On se disait “telle chanteuse vient au studio mardi, une autre vient le 26". Nous étions loin de nous douter que le mardi et le 26 étaient en fait le même jour (rires). 

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Vous mentionnez HEATWAVE, votre premier album. En quoi AFTER DINNER WE TALK DREAMS diffère-t-il de la musique que vous avez sortie auparavant ?

Sofia : Nous avons clairement grandi en tant qu’auteurs-compositeurs. Sur cet album, vous pouvez entendre que nous avons passé plus de temps à développer nos compétences en tant que compositeurs, et sur l’écriture des chansons. Sur HEATWAVE, c'est beaucoup plus axé sur l'écriture : "je ressens ceci, j'écris cela et j'ajoute des modifications mineures ici et là". Mais après plus de deux ans passés à écrire de nouvelles chansons, on s'améliore dans le processus d'écriture et on comprend pourquoi les mélodies sont accrocheuses, quelles mélodies ne vont pas bien avec les chansons, ce qui sonne bien, ce qui se chante bien. Nous sommes devenus plus sensibles à tous ces éléments-là. Dans la production, vous pouvez également entendre une progression entre HEATWAVE et AFTER DINNER WE TALK DREAMS, Charlie et Julian ont grandi en tant que producteurs. L’évolution est un thème important dans cette interview aujourd'hui (rires) ! 

Le fait de travailler à deux ou trois renforce-t-il l’aspect éclectique de votre musique ?

Charlie : Tout à fait. Nous avons tous des influences très diverses et des goûts radicalement différents. Nous ne venons pas de la même scène musicale, nous n’avons pas le même parcours ni le même vocabulaire. À tous moments, je peux me retrouver au studio et dire "Je veux faire un truc R&B” ou "Faisons un morceau country", et si vous multipliez ça par quatre, vous avez quatre vibrations totalement différentes qui entrent dans le studio chaque matin. Chaque œuvre que MICHELLE produit est par nature extrêmement variée. Le son de MICHELLE, c'est nous six, nos voix et notre style de production à Julian et moi. Nous avons dû apprendre à être des caméléons, à être capables de travailler dans n'importe quel contexte que nous avons envie d'approcher. Nous suivons toujours nos envies. 

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Quels sont les éléments caractéristiques de la musique de MICHELLE ? 

Julian : En termes de signature sonore, il y a beaucoup de synthétiseurs. Le Juno 6, par exemple, qui est un synthé classique de MICHELLE. Dans le programme d’enregistrement que nous utilisons, l’enregistrement audio s’affiche en bleu, tandis que les instruments MIDI s'affichent en vert. Les jours où j'aime vraiment être dans le studio, je regarde dans le doc et je ne vois que du bleu. Je ne vois pas de vert.

Est-ce que ça donne un rendu plus organique ?

Julian : Je suppose, mais il s'agit aussi d'obtenir des sons de synthés qui ne proviennent pas d'un plug-in. Ce que nous voulons, c’est obtenir un son de synthé qui soit impossible à recréer. Si j'utilise mon synthé et que je joue la même chose demain, ce sera différent : le synthé aura un jour de plus. De la même manière, on tend à enregistrer des parties de guitare que personne ne pourra jamais utiliser : forcément, c’est notre guitare, elle est modulée sur notre propre pédalier et c’est Charlie qui y joue. Je pense que nous essayons toujours d'obtenir de l'audio avec des synthés qui soient uniques. On y parvient pas toujours, mais Charlie et moi détestons vraiment les synthés que tout le monde a déjà entendus. Ou alors vous allez exactement dans ce sens, vous allez vers quelque chose que vous avez entendu des millions de fois. Mais rien au milieu : soit totalement familier, soit totalement inconnu. 

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Votre titre "Expiration Date" est un clin d’œil au film "Chungking Express" de Wong Kar Wai. Y-a-t-il une dimension cinématographique attachée à votre projet ? Quelle est l’importance de l’esthétique au sein du groupe ?

Jamee : Je pense qu'en tant que groupe, c'est la musique d'abord et les visuels ensuite. Mais en termes de visuels, Wong Kai Wai a certainement été une très grande influence. Je suppose que nous avons juste une palette de couleurs que nous aimons, et le vert de "Chunking Express" nous a vraiment parlé, ainsi que le symbolisme littéral de la date d'expiration de ces fameuses boîtes d'ananas. 

Emma : Comme l'a expliqué Jamee, les visuels viennent en second plan, mais nous avons passé beaucoup de temps cet été à essayer de créer un univers visuel très cohérent et riche pour MICHELLE. Nous avons opté pour la peinture, les tons chaleureux et vibrants, le contraste, etc. On voit beaucoup de cela dans la ville aussi. Tout notre travail visuel est centré sur les lieux et les personnes. Nous avons beaucoup de portraits de personnes, mais aussi un sens de la ville.

Julian : Les visuels viennent en second lieu, c’est vrai, mais quand on fait de la musique, surtout au niveau de la production, on essaye vraiment de créer une image dans l’esprit des gens. Ça se résume à ce genre de choses : que peut-on faire avec les paroles pour provoquer une image dans votre esprit, que peut-on faire avec ce pad de synthés pour donner de la couleur, que peut-on faire avec cette batterie pour qu'elle résonne dans votre tête ? Quand j'écris des trucs, j'essaie de créer des sentiments visuels tout le temps. 

 Y a-t-il des artistes qui vous ont particulièrement influencés pendant l'enregistrement de cet album ?

James : Stevie Wonder a toujours été une grande influence, ainsi qu’Amy Winehouse et Frank Ocean.

Sofia : Personnellement, j'ai toujours été une grande fan de The 1975, et en grandissant, je me retrouve maintenant à réécouter des albums comme Pet Sounds des Beach Boys. Leurs mélodies sont incroyables. J’écoute aussi beaucoup de Stevie Wonder, qui est un artiste avec lequel nous résonnons tous, je pense.

Layla : Jessica Prat, pour toujours et à jamais ! 

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