" Allo Maman Bobo " est une chanson d’Alain Souchon de 1978.
La chanson est tellement connue que son titre " Allo Maman Bobo " est presque devenue une expression du langage courant. Véritable cadeau pour stagiaires sociologues et petit exercice de psychanalyse appliquée, le texte d’ " Allo Maman Bobo " est la longue plainte d’un homme qui rêve d’un retour à la mère et qui utilise le langage pour retomber en enfance. Tout le texte d’ " Allo Maman Bobo " est construit sur des tournures de phrases enfantines (il parle comme un petit garçon) et fait apparaître à la surface du désir les plaisirs de l’enfance – on parle de " mon quatre heures ", de " chapeau d’clown ", de western avec " l’revolver " et " la belle Peggy du saloon "…
C’est l’histoire d’un artiste (il affiche sa profession en disant " Maintenant que j’fais du music-hall "), qui s’interroge sur son identité et ses aspirations :
" Moi, j’voulais les sorties d’port à la voile. La nuit barrer les étoiles " : il rêvait de mer, il rêvait d’être à la barre d’un bateau, il rêvait d’horizon, il rêvait de vent…
" J'marche tout seul le long d'la ligne de ch'min d'fer. Dans ma tête y a pas d'affaire.
J'donne des coups d'pied dans un' ptite boîte en fer. Dans ma tête y a rien à faire. J'suis mal en campagne et mal en ville. Peut-être un p'tit peu trop fragile. Allô Maman bobo. Maman comment tu m'as fait j'suis pas beau "
Avec sans doute l’anacoluthe (une faute de syntaxe qui devient effet de style) la plus célèbre de la chanson française : " Maman comment tu m’as fait " : c’est pas du beau français. C’est pas du Français d'en France, c’est du Français d’enfance. " Maman comment tu m’as fait, j’suis pas beau ". Ce " j’suis pas beau " ne se réfère pas spécialement à la beauté physique, mais à la santé psychologique. Ce " j’suis pas beau " veut aussi dire " je ne suis pas beau à voir. Regarde dans quel état je suis ".
Il y a deux dimensions qui se déploient dans ce texte : une dimension psychanalytique et une dimension sociologique…
D’abord la dimension psychanalytique. Elle renvoie au propre roman familial d’Alain Souchon, auteur du texte. Le bobo dont il parle dans cette chanson – qui est un appel à la mère (" Allo, maman ") – le bobo, c’est peut-être la douleur d’avoir perdu le père… Et de l’avoir perdu deux fois… Jusqu’à 7 ans, Souchon est élevé par un homme qui n’est pas son père mais dont il porte le nom… À 7 ans, sa mère se remarie avec son vrai père… Il quitte un homme – et un nom – pour un autre… À 15 ans, il perd ce père dans un accident de voiture… Il y a de quoi alimenter un flou sur sa propre histoire, des inquiétudes et un certain vague à l’âme qu’on retrouve dans " Allo Maman Bobo " - chanson initiatique sur la peur de la perte. Sans compter l’anecdote qui relie le texte à la biographie de Souchon et qui est à l’origine de la chanson : un jour que Souchon fait du ski avec son frère – qui est guide en montagne – il se casse la figure, il se fait mal et il crie " Maman "… Une espèce de carambolage – le frère, le guide, la mère – qui donne du sel, qui pimente l’apparition du texte… Le big-bang d’ " Allo Maman Bobo".
Ensuite, la dimension sociologique : elle est stupéfiante… Sans le faire exprès, certaines strophes de cet texte écrit en 1977 peuvent se traduire aujourd’hui à livre ouvert.
" J’suis mal en campagne et mal en ville. Peut-être un p’tit trop fragile ", " J'suis mal en homme dur. Et mal en p'tit cœur. Peut-être un p'tit peu trop rêveur " : Souchon interroge le spleen de l’homme moderne qui ne se reconnaît pas dans la norme virile de l’époque… "
Allo Maman Bobo " annonce ceux qu’on a appelé les " nouveaux hommes ", les " nouveaux pères ", les " papas poules ", les hommes qui revendiquent leur sensibilité, voire leur part de féminité… Et ça, en 1977, c’est fortiche sinon visionnaire…
Écoutez " Allo Maman Bobo " d’Alain Souchon :