Investigation

Amiante dans l’eau potable : découvrez si votre commune possède des conduites en amiante-ciment

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"Le Québec s’apprête à tester l’eau potable des conduites municipales faites en amiante-ciment". Cette phrase issue d’un article du Journal de Montréal, relayant les recherches des journalistes Anne-Caroline Desplanques et Annabelle Blais, a été le point de départ de notre enquête pour #Investigation qui sera diffusée ce mercredi soir 26 janvier. Car si le Québec recense au moins 1000 km de conduites de distribution d’eau en amiante-ciment, il était très probable que la Belgique en possède encore elle aussi. En effet, c’est dans notre pays qu’était basée la plus célèbre entreprise spécialisée dans la réalisation de produits composés d’amiante : la société belge Eternit. Plaques ondulées pour les toitures, conduites de chauffages ou de cheminées, dalles de carrelage,… Dans les années 60 et 70, Eternit deviendra progressivement, le plus grand producteur d’amiante-ciment au monde et la Belgique, le plus grand consommateur par habitant.

En 1998, la fabrication de l’amiante est interdite en Belgique. Il aura fallu des années pour que l’inhalation des fibres soit reconnue comme la cause de diverses maladies : mésothéliomes, asbestoses, cancers du poumon, insuffisance respiratoire,… Rien que dans notre pays, les décès se comptent par milliers selon l’Association belge des victimes de l’amiante. Et "le pic est à venir d’ici 2030", nous explique son président Eric Jonckheere, précisant que l’amiante est encore omniprésent aujourd’hui dans les habitations, les écoles, les industries et que de nombreux travaux de désamiantage sont encore à réaliser.

Source : Abeva - Des tuyaux en amiante-ciment produits en Belgique par la société Eternit
Source : Abeva - Des tuyaux en amiante-ciment produits en Belgique par la société Eternit © Tous droits réservés

Mais ce qui est moins resté dans les mémoires, c’est qu’Eternit a également produit des tuyaux destinés à l’égouttage et à la distribution d’eau potable. Ces tuyaux ont participé à la reconstruction des réseaux d’eau après la Seconde Guerre mondiale. Et aujourd’hui, ils sont encore utilisés dans de nombreux pays, y compris en Belgique.

Pour cette enquête, nous nous sommes donc demandé combien de conduites en amiante-ciment compte encore notre pays. Et nous avons découvert que ce nombre est bien supérieur à celui du Québec. Nous avons également reçu des résultats d’analyses qui révèlent que des fibres d’amiante se libèrent de ces conduites d’eau et se retrouvent ensuite dans l’eau potable.

Et nous nous sommes donc posé cette question : ingérer des fibres peut-il être dangereux pour notre santé ? Est-ce aussi néfaste que de les inhaler ?

Plus de 3000 km de canalisations en amiante-ciment en Wallonie

Pourcentage de conduites en amiante-ciment sur le réseau de la SWDE
Pourcentage de conduites en amiante-ciment sur le réseau de la SWDE © Tous droits réservés

En Wallonie, nous avons comptabilisé plus de 3000 km de conduites en amiante-ciment. Ces canalisations sont encore présentes dans toutes les provinces wallonnes et se retrouvent dans une série de communes. Pour les identifier, nous avons contacté les principales sociétés de distribution d’eau potable.

C’est la Société wallonne des eaux, qui couvre environ 70% du réseau wallon de distribution en Wallonie, qui possède le plus grand nombre de kilomètres en amiante-ciment : environ 2900 km. Cela représente 11% de son réseau, soit plus d’une conduite sur 10.

Toutes les provinces wallonnes sont concernées par la présence de ces conduites. Sur le réseau de la SWDE, c’est Frasnes-lez-Anvaing, dans le Hainaut, qui en détient le plus : le réseau communal est constitué de 81% des canalisations en amiante-ciment. Mais on peut aussi citer Ecaussinnes, Namur, Mons, Waremme, Wanze, Aubange,… et bien d’autres.

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Par ailleurs, la SWDE n’est pas la seule société de distribution à posséder encore des kilomètres de canalisations en amiante-ciment. L’in BW, dans le Brabant Wallon, nous apprend que 8% de ses conduites sont concernées. On les retrouve principalement à Lasnes (26% du réseau communal), Ottignies-Louvain-la-Neuve (14%), Wavre (11%), Genappe (5%) et La Hulpe (5%).

L’INASEP, du côté namurois, comptabilise encore 5 km de conduites de ce type. Ils sont éparpillés entre Philippeville, Cerfontaine, et Hastière. La cartographie complète des réseaux doit être réalisée à l’horizon 2027-2028, nous précise sa porte-parole.

Enfin, la CILE, société de distribution qui couvre une partie de la région liégeoise, nous informe compter encore une poignée de conduites en amiante-ciment dans la Ville de Liège (0,6% du réseau communal), à Huy (0,03%) et dans la Ville de Trooz. Dans cette dernière, il restait 25 km de canalisations en amiante-ciment avant les inondations de juillet dernier. Depuis, des travaux ont été réalisés et la Cile nous précise que ce chiffre a diminué.

Pour savoir si votre commune est concernée par la présence de ces canalisations, nous avons rassemblé les chiffres recueillis lors de cette enquête et nous les avons inscrits dans le tableau en tête d'article. Si les compagnies de distribution d’eau acceptent de nous fournir la liste des communes concernées, elles nous indiquent ne pas pouvoir nous communiquer les noms des rues où se situent ces canalisations. Selon plusieurs sociétés belges de distribution contactées, diffuser ces données publiquement représenterait un risque de "s’exposer à des actes de malveillance"

Les données fournies n’étant pas toujours complètes, n’hésitez pas à nous faire part des précisions qui vous seraient apportées via le bouton Alertez-nous. Des précisions ont d'ailleurs déjà été apportées depuis la diffusion du reportage ce 26 janvier. 

 

Qu’en est-il à Bruxelles et en Flandre ?

En Région bruxelloise, Vivaqua ne comptabilise plus que 462m de conduites en amiante-ciment, soit à peine 0,018% de son réseau. Elles sont réparties entre Bruxelles-Ville (117m), Ixelles (255m) et Auderghem (90m).

Difficile d’expliquer pourquoi à Bruxelles, contrairement à la Wallonie, les conduites en amiante-ciment sont peu nombreuses. Vivaqua ne donne pas de raisons particulières. Selon certains spécialistes de l’amiante en Belgique, il est possible que la région bruxelloise ait privilégié des conduites dans d’autres matériaux que l’amiante-ciment, en acier par exemple.

En Flandre, un article signé Michel Robles et paru en 2015 dans le magazine Eos révélait qu’à cette époque, environ 30% des conduites de distribution d’eau étaient en amiante-ciment, soit environ 19.000 km. Ces chiffres n’ont pas été officiellement confirmés. Néanmoins, la Société flamande pour l’environnement (VMM) nous indique que depuis 2015, les compagnies des eaux mesurent tous les deux ans la quantité d’amiante dans l’eau en Flandre, aux endroits où ces fibres sont les plus susceptibles de se retrouver.

Ces tests visant les fibres d’amiante dans l’eau ne sont pas obligatoires en Belgique.

Jusqu’à trois millions de fibres dans l’eau

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Après avoir appris qu’il restait des milliers de kilomètres de canalisations en amiante-ciment, nous avons donc demandé aux différentes sociétés de distribution en Wallonie et en Région bruxelloise, s’ils avaient déjà effectué des tests dans l’eau potable, comme c’est le cas en Flandre. Seule la SWDE nous a répondu positivement.

La Société wallonne des eaux nous a expliqué avoir prélevé des échantillons dans des zones où l’eau est naturellement acide, tout en précisant que dans la majorité de son réseau, l’eau n’est pas agressive (comme c’est le cas à Frasnes-les-Anvaing par exemple). Les échantillons analysés en 2018 et que nous avons reçus, ne relèvent, pour la plupart, aucune fibre dans l’eau potable. Mais certains résultats ont attiré notre attention.

Dans la région namuroise par exemple, à Vaucelles, la SWDE a relevé plus de 800.000 fibres par litre. Plus 2 millions de fibres par litres ont également été retrouvées dans l’entité de Pesche, à Couvin et plus de 500.000 à Presgaux. Enfin, ce sont plus de trois millions de fibres par litre qui ont été comptabilisées à Hannêche, dans la commune de Burdinne, en province de Liège.

Contactés, ni les bourgmestres de Couvin, ni de Burdinne n’avaient été mis au courant de ces résultats.

Ingérer des fibres : un danger pour la santé ?

Face à cette question, les avis sont contradictoires. D’un côté, les sociétés de distribution d’eau s’appuient sur différentes études internationales pour souligner que l’ingestion de fibres d’amiante n’a jamais été considérée comme un danger pour la santé. "Cette teneur maximale et non représentative de la qualité de l’eau de la SWDE n’est pas alarmante", indique par e-mail le Comité de Direction de la SWDE. L’OMS a en effet réalisé plusieurs rapports au sujet de ces conduites et a toujours conclu qu’il n’y avait aucune preuve cohérente et convaincante d’effets néfastes pour la santé.

Récemment, l’Anses, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire a également souligné qu’il n’y avait pas de lien établi entre l’ingestion des fibres et l’apparition de certains cancers. Néanmoins, elle précise l’existence de signaux suggérant la possibilité d’une association entre l’ingestion d’amiante et trois cancers digestifs spécifiques (œsophage, estomac et côlon). Considérant qu’un "risque pour la santé ne pouvant être écarté", l’Anses recommande de mener des campagnes de prélèvements ciblés dans l’eau potable.

De l’autre côté, des voix plus alarmantes s’élèvent. Plusieurs scientifiques tirent la sonnette d’alarme et pointent des études datant déjà des années 70 et 80. Elles évoquent d’abord la détérioration des conduites en amiante-ciment et la libération des fibres depuis ces tuyaux. Ils ne seraient donc pas aussi robustes qu’attendu. Et il est vrai qu’il nous a fallu moins de dix jours d’enquête pour constater que ces conduites occasionnent des fuites. A Wanze notamment, ouvriers et habitants nous ont confirmé que les ruptures de canalisations de ce type sont fréquentes.

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Plusieurs scientifiques sont également convaincus des risques sanitaires des fibres d’amiante dans l’eau. Parmi eux : le professeur et médecin américain Arthur Frank, reconnu pour ses travaux sur l’amiante, et le médecin italien et président du Comité scientifique de la Société internationale des médecins pour l’environnement, Agostino Di Ciaula. Tous deux invoquent le respect du principe de précaution.

Et ils ne sont pas les seuls puisque dans un récent rapport publié en 2021, le Parlement européen dit s’inquiéter de la présence de ces canalisations en amiante-ciment dans les Etats membres : "Les conduites en amiante-ciment ne devraient plus être utilisées ni homologuées pour l’acheminement de l’eau potable", est-il indiqué. Le Parlement appelle la Commission européenne à élaborer un plan global de rénovation des réseaux de distribution d’eau des Etats membres.

Enfin, en Italie, nous avons également rencontré le maire de Carpi, une ville au nord de Bologne, qui a décidé de remplacer les canalisations en amiante-ciment acheminant l’eau potable dans sa ville. Alberto Bellelli (Parti démocrate), dit préférer opter pour la prudence : "Ce qui est sûr, c’est que ce sont des choses que l’on découvre après des années. Nous n’avons pas de preuves scientifiques aujourd’hui mais je ne voudrais pas de preuves demain", nous explique-t-il. "Il est évident que là où on peut éliminer un inconvénient comme celui de la libération de fibres d’amiante, suivant le principe de précaution, pourquoi ne pas le faire ?"

Si pour certains les études sont manquantes et mériteraient d’être approfondies ; pour d’autres, il est donc préférable d’agir dès maintenant.

Si de nouveaux éléments devaient arriver, on prendra les mesures qui s’imposent

La SWDE refusant toute interview, nous nous sommes donc adressés au cabinet de la ministre de tutelle du secteur de l’eau, la ministre wallonne de l’Environnement. Céline Tellier a découvert devant nous les résultats des tests réalisés par la SWDE : "Je ne sais pas si l’administration a été informée mais au niveau du cabinet, nous n’avons pas été informés de ces résultats". La SWDE considérant qu’il ne s’agit pas de résultats alarmants, il n’est pas étonnant que la ministre n’en ait pas reçu de copie. Mais Céline Tellier tient à nuancer : "Si de nouveaux éléments devaient arriver, on prendra les mesures qui s’imposent. S’il devait y avoir un risque pour la santé, évidemment, il serait indispensable que la ministre en soit informée".

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