Guerre en Ukraine

Animaux de compagnie, handicap : pour accueillir ces réfugiés ukrainiens, il n’y a pas de solution, et pour certains, il y a urgence

Par Eric Boever avec Céline Biourge

On en parle moins mais des réfugiés ukrainiens continuent d’arriver dans notre pays. Ils sont 50.000 depuis le mois de mars et on pourrait arriver à 80.000 en fin d’année.

Le souci, c’est qu’avec l’approche des vacances, les candidats hébergeurs sont moins nombreux, surtout pour accueillir des réfugiés handicapés, des familles nombreuses ou des personnes avec des animaux de compagnie.

Résultat, ça bouchonne au centre d’accueil provisoire de Fédasil à Woluwe-St-Lambert. Et la solution ne sera pas facile à trouver, les différents niveaux de pouvoir se renvoient la balle, à tel point que le bourgmestre local menace de limiter la capacité du centre par ordre de police. En attendant, des habitants se mobilisent pour venir en aide aux réfugiés.

A Woluwe, un Ukrainien handicapé vit dans sa camionnette avec ses 16 chats

Le cas de Roman illustre bien les difficultés rencontrées par certains réfugiés ukrainiens qui arrivent chez nous, mais aussi par les autorités censées leur apporter aide et hébergement : Roman est arrivé de la région en guerre du Dombas avec sa famille mais aussi avec 16 chats de race. Il en fait l’élevage et il ne désire pas s’en séparer ni les mettre dans le chenil aménagé près du centre par peur de les traumatiser. Pour compliquer encore les choses, Roman est handicapé, il ne se déplace qu’en chaise roulante. Depuis son arrivée en Belgique il y a quelques semaines, il vit dans sa camionnette sur le parking du centre d’accueil provisoire Ariane, à Woluwe-St-Lambert, en attente d’un hypothétique hébergement.

Ce centre est le principal lieu d’accueil de crise de Fedasil en région bruxelloise, il héberge provisoirement les réfugiés ukrainiens en attendant que des communes leur trouvent un hébergement ou une famille d’accueil mais sur les 820 occupants, nombreux sont ceux qui dépassent les 2 ou 3 jours d’attente habituels, on trouve même des réfugiés qui sont là depuis des semaines, voire plus d’un mois.

Une situation qui commence à poser des problèmes d’hygiène, l’ancien siège d’Engie offrant une multitude de bureaux mais on y dort sur des lits de camp et les sanitaires sont insuffisants pour y vivre 24 heures sur 24. On a bien installé des containers extérieurs proposant des douches mais c’est du bricolage.

La question est donc : comment accueillir Roman et les centaines d’autres réfugiés qui ont des profils particuliers ou qui ont des besoins spécifiques comme les personnes âgées, sans autonomie, handicapées physiques ou mentales, les familles nombreuses ou les autres détenteurs d’animaux de compagnie. Leur trouver des familles d’accueil s’avère extrêmement compliqué, pour ne pas dire impossible, il va donc falloir trouver d’autres solutions.

Qui est responsable ? Les autorités jouent à "c’est pas moi, c’est l’autre"

Le souci, c’est que les autorités se rejettent allègrement la balle. Pour Pierre Verbeeren, coordinateur de l’accueil des Ukbrainiens en Région Bruxelloise, les choses sont claires, c’est le fédéral, et donc Fedasil, l’administration chargée de l’asile, qui est à la manœuvre : " Lors du début de la crise ukrainienne, la procédure d’accueil a été divisée en trois phases et les rôles ont été bien répartis. L’accueil de crise est assuré par Fedasil qui enregistre les réfugiés au Heysel et qui les héberge avant de les dispatcher vers les communes. C’est la deuxième phase, celle de l’accueil d’urgence, les communes sont chargées de trouver un hébergement, notamment en sollicitant les citoyens. C’est à ce stade que les réfugiés pourront obtenir auprès de l’administration communale l’annexe 15, le fameux document qui leur permettra d’avoir accès à l’aide sociale ou au marché de l’emploi. Vient ensuite la troisième phase, celle de l’hébergement durable et celui-là est confié aux entités fédérées, à savoir les régions et communautés qui doivent prendre le relais des hébergeurs privés. "

 

 

" Dans la situation qui nous occupe, le souci se situe clairement à l’étape 1, celle du fédéral. Le problème est double, les communes ont du mal à accueillir de nouveaux réfugiés car elles commencent à saturer et à manquer de candidats hébergeurs et, deuzio, Fedasil n’a pas anticipé et n’a rien prévu pour ces réfugiés qui ont des besoins spécifiques. Aucun espoir de leur trouver une famille volontaire, il faut donc mobiliser des maisons de repos, des structures d’accueil pour handicapés, des institutions psychiatriques, des associations de protection animale, des centres sociaux, mais on sait que tous ces intervenants sont souvent déjà débordés. C’est donc un casse-tête mais il relève du fédéral. "

Fedasil botte en touche, le bourgmestre montre les dents

La Belgique étant ce qu’elle est, on se doute un peu de la réponse de Fédasil : " nous ne souhaitons pas réagir, cela concerne la gestion des places d’accueil par les communes et les régions. C’est à eux de prévoir les places adaptées. La question s’adresse à eux. "

Comme la Région bruxelloise, la commune de Woluwé-St-Lambert n’est pas d’accord, son bourgmestre Olivier Maingain agite même une menace : " Je suis conscient des difficultés, la Croix-Rouge qui gère ce centre Fédasil situé sur notre commune fait tout son possible mais il y a des limites. Le bâtiment accueille actuellement 820 réfugiés, son directeur en prévoit 1000 d’ici quelques semaines et peut-être 1500 en fin d’année. Or, il y a un manque de sanitaires et rien n’est aménagé pour les personnes handicapées ou ayant de lourds problèmes de santé. Même chose pour les animaux de compagnie qui ne sont pas vaccinés contre la rage et qui doivent donc rester en cage en permanence. J’ai d’ailleurs écrit aux ministres compétents, y compris le Premier ministre, pour les prévenir que si les conditions de dignité et d’hygiène ne sont pas améliorées, je pourrais prendre un arrêté de police pour limiter la capacité du centre. Il faut être réaliste, on ne peut pas demander à des hébergeurs, et ma commune en compte déjà 580, d’accueillir des personnes ayant un handicap sévère, il faut un hébergement spécifique. C’est la faute de Fedasil de ne pas avoir anticipé cette situation mais il est encore temps de réagir, le bâtiment est vaste, il y a de l’espace en suffisance pour procéder à des aménagements mais il faut des investissements. Or, et là c’est la faute du gouvernement fédéral, aucun budget supplémentaire n’a été débloqué pour aider Fédasil à assurer la prise en charge des réfugiés ukrainiens qui arrivent dans notre pays. Ce qui est sûr, c’est que la responsabilité ne revient pas aux communes même si nous avons proposé l’aide de notre CPAS aux personnes âgées, l’accueil des enfants dans nos plaines de jeux et la vaccination des animaux de compagnie. "

En attendant une solution, les habitants se mobilisent

On l’a compris, la problématique va nécessiter de multiples réunions et sans doute de longues négociations entre les différents niveaux de pouvoir impliqués dans l’accueil des réfugiés ukrainiens. En attendant, des citoyens bruxellois se sont émus de la situation, comme Brice qui héberge lui-même des familles ukrainiennes depuis le début de la crise : " depuis 3 semaines, je vois sur Facebook de nombreux messages d’appel à l’aide de la part d’Ukrainiens présents dans ce centre. J’ai aussi vu qu’il y avait un appel aux dons et je suis donc venu avec des vêtements d’été car ils ont souvent des tenues d’hiver qui ne conviennent pas à la météo des prochains mois. "

Carine, elle, est militante de la cause animale : " au départ, je suis venue pour voir comment étaient hébergés les animaux de compagnie. Ils ne sont pas bien accueillis, on obligeait les propriétaires de chiens à les maintenir enfermés dans les voitures, nous avons donc collecté et amené des cages pour qu’ils puissent au moins prendre l’air. Et puis, en discutant avec les propriétaires d’animaux, on s’est rendu compte que les conditions d’accueil des personnes n’étaient pas mieux. Il y a quelques jours, j’ai reçu un appel à l’aide d’une Ukrainienne du centre dont la fille était malade. Le personnel du centre n’arrivait même pas à lui trouver du paracétamol, c’est un autre réfugié qui a dû lui en donner. Je me demande ce que fait Fedasil dont la mission est quand même d’aider les gens ?"

"On leur donne un kit d’hygiène pour 3 jours, mais ils restent parfois 3 semaines."

Isabelle avoue ne plus beaucoup dormir depuis plusieurs jours : " Ce qui m’attriste le plus, c’est le sort des enfants. Ils sont nombreux dans le centre et rien n’est prévu pour eux, il n’y a ni jeux, ni animation, ni activité scolaire. Comme les réfugiés sont censés ne rester que 2 ou 3 jours, l’accueil se limite au strict minimum mais quand ils restent 2 ou 3 semaines, la situation devient intenable, notamment au niveau hygiène. En arrivant, ils reçoivent un petit kit avec du savon et du shampoing mais ils sont vite à court. Voilà pourquoi on leur apporte des produits d’hygiène, mais ce n’est pas à nous de faire ça. Et les animaux, on ne peut même pas les promener, ils doivent rester en cage. Bref, il faut trouver des logements à ces gens. Nous recueillons des témoignages de femmes en pleurs, ils n’en peuvent plus, l’endroit n’est pas adapté aux longs séjours, il faut trouver des alternatives. Or, les vacances approchent, les décideurs vont partir, il y a urgence. J’ai frappé à de nombreuses portes, j’ai eu très peu de réponses."

Devant l’ampleur et l’urgence de la situation, une réunion mettait les principaux intervenants autour de la table ce mardi matin. Chacun a plaidé sa bonne foi, appelant à des solutions mais il faudra sans doute de nombreuses autres réunions et de longues négociations entre les différents niveaux de pouvoir pour que les réfugiés ukrainiens les plus fragiles voient leurs conditions d’accueil s’améliorer.

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