Monde

Antarctique : découverte stupéfiante d’une "pouponnière géante", abritant des millions de nids de "poissons des glaces"

Nids de poissons des glaces de Jonah découverts dans la mer de Weddell, en Antarctique

© PS124, AWI OFOBS team – Alfred Wegener Institute

Surprise sous les glaces. Ils ne s’attendaient pas à ça, les chercheurs de l’institut Alfred Wegener de Bremerhaven, en Allemagne. Partis explorer la mer de Weddell, un vaste espace dont la surface est quasi glacée en permanence, aux confins de l’Océan Atlantique et de l’Antarctique, en février 2021, ils n’ont pas été déçus…

Tout d’abord, il y a ces phoques. On en rencontre beaucoup dans cette zone. Le poisson doit y être abondant… Et bien ce n’est pas peu dire, car quand on met le nez sous la surface, la découverte a de quoi décontenancer…

La mer de Weddell couverte par les glaces
La mer de Weddell couverte par les glaces © Getty

Cailloux et aménagements

Les scientifiques allemands pensaient trouver quelques "nids" de poissons bien spécifiques. Appelée "poisson des glaces de Jonah" -"Neopagetopsis ionah", pour les adeptes des noms scientifiques —, cette espèce, mesurant une cinquantaine de centimètres et vivant dans un environnement extrême, affiche des caractéristiques étonnantes. Le poisson est pourvu d’un énorme cœur, car son sang ne contient pas d’hémoglobine, comme l’explique le journal Le Monde. Transparent, le sang est bourré de facteurs antigels.

Dessin d'un nid de poisson des glaces de Jonah, parue dans la revue Current biology

Ce poisson des glaces de jonah a aussi une autre particularité. Il aménage et garde un "nid". D’une profondeur de 15 cm pour un diamètre d’une septantaine de centimètres, l’emplacement est de forme circulaire. Il s’agirait d’une arme de séduction massive pour les femelles. Le poisson le construit en nageant en rond, faisant bouger des petits cailloux formant le réceptacle. Comme les courants sont peu intenses dans cette zone, la structure tient le coup, et ce nid d’amour peut accueillir alors entre 1500 et 2500 œufs. Et le poisson, lui, de monter vaillamment la garde sur sa – on l’espère pour lui – future progéniture…

Des recherches doivent encore être menées sur les habitudes de ces créatures marines. Ainsi, on ne sait pas bien qui du mâle ou de la femelle garde les œufs, ni combien de temps exactement. Outre les "nids" dits "actifs" (les plus fréquents), il existe également des endroits accueillant un poisson solitaire, sans œuf, ou encore un cadavre.

Un poisson de glace ocellé, capturé dans l’océan Antarctique en 2011, nage dans un aquarium du Tokyo Sea Life Park, le 5 avril 2013. Le poisson n’a pas d’hémoglobine. Les chercheurs pensent que le poisson peut vivre sans hémoglobine car il possède un gran
Un poisson de glace ocellé, capturé dans l’océan Antarctique en 2011, nage dans un aquarium du Tokyo Sea Life Park, le 5 avril 2013. Le poisson n’a pas d’hémoglobine. Les chercheurs pensent que le poisson peut vivre sans hémoglobine car il possède un gran © Tous droits réservés

Constellation

Cette aire de la mer de Weddell était jusqu’ici seulement explorée depuis les années 80, comme le fait remarquer le magazine GEO. Et les chercheurs de n’avoir trouvé jusque-là que quelques spécimens et quelques nids de ces fameux poissons des glaces.

Totalement fascinant

C’est donc un peu par hasard que les chercheurs allemands – qui menaient alors des études sur les courants marins – ont découvert une gigantesque… Crèche. Des "nids" par dizaines de milliers. Disposés les uns à côté des autres, à raison d’un tous les 25 centimètres et ce dans toutes les directions. Les sonars en ont repéré un million. Quant aux extrapolations, elles vont jusqu’à… 60 millions. Car la zone serait immense : quelque 240 kilomètres carrés de cette mer de Weddell constitueraient cette frayère géante. C’est bien simple : il s’agirait de la plus importante zone de reproduction de poissons jamais découverte. Une gigantesque colonie. Rien que ça.

"Totalement fascinant" selon les chercheurs de Bremerhaven.

Loading...

Foisonnement de vie

Paru dans la revue Current Biology, l’article scientifique parle d’une biomasse possible de 60.000 tonnes de poissons. Pas étonnant que 90% des plongées des mammifères comme les phoques se feraient dans ces surfaces de reproduction ! (c’est le même rapport qui l’a constaté). Les phoques raffoleraient de ces œufs…

Loading...
Poisson des glaces

Mais pourquoi cette espèce de poisson en quête de pouponnage choisit cette zone en particulier ? Les scientifiques allemands pensent avoir trouvé une piste. En effet, cette zone de fonds marins, située entre 400 et 500 mètres de profondeur, serait baignée par de l’eau à 2 °C plus chaude que celle des zones avoisinantes (qui elle, est presque à 0 °C). Une température bien plus propice aux batifolages poissonniers. Et tout ça sur une superficie correspondant plus ou moins à celle de Malte.

Pépite à préserver

Un trésor de biodiversité a donc été trouvé. Dans une zone d’une importance déjà remarquable en termes de biodiversité. Car cette mer de Weddell accueille aussi la deuxième plus grande colonie de manchots empereurs du monde. Une colonie qui souffre terriblement. En effet, alors qu’on estime qu’elle pouvait contenir quelque 25.000 couples d’oiseaux venant s’accoupler chaque année, sur trois ans à savoir de 2016 à 2018-, la fonte des glaces aurait causé la mort de la quasi-totalité des nourrissons.


A lire aussi : Des super-colonies de manchots Adélie viennent d’être découvertes dans l’Antarctique

A lire aussi : Manchots royaux : "déclin massif" de la plus grande colonie au monde


Les scientifiques qui ont fait l’incroyable découverte de cette immense frayère -"Comment se fait-il que personne n’ait jamais vu ça auparavant ?" a ainsi déclaré un chercheur allemand au New York Times, cité par le Courrier International ont laissé des caméras sur place, pour observer la pouponnière. Un des objectifs à atteindre maintenant : protéger au mieux cette fameuse mer de Weddell.

Comment se fait-il que personne n’ait jamais vu ça auparavant ?

L’institut allemand propose depuis 2016 la création d’une aire marine protégée (AMP). "Jusqu’ici, l’isolement et les conditions difficiles dans cette région de la mer de Weddell ont protégé la zone, mais avec l’augmentation des pressions sur l’océan et les régions polaires, nous devrions être bien plus ambitieux en termes de conservation marine", dit ainsi la directrice de l’Alfred Wegener Institure dans un communiqué cité par Geo.


A lire aussi : Antarctique : la tentative de créer la plus grande réserve marine du monde échoue à nouveau


Interdire la pêche et les recherches invasives dans ces contrées lointaines, un objectif sûrement nécessaire pour protéger cet extraordinaire écosystème tout juste découvert. Un espace incroyable, loin d’être du menu fretin.

Manchots empereurs sur la banquise, dans la mer de Weddell
Manchots empereurs sur la banquise, dans la mer de Weddell © Tous droits réservés

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Articles recommandés pour vous