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Anvers, première ville sur le podium européen de la consommation de cocaïne

Anvers, centre névralgique du trafic de drogue européen, est également devenue un haut lieu de la consommation de la cocaïne.

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Les 110 tonnes de cocaïne saisies l’année dernière dans le port d’Anvers ne laissent que peu de doute. Anvers est bien la principale porte d’entrée de cette drogue en Europe. Les nombreux incidents de tirs, les explosions de grenades et le décès par balle d’une fille de onze ans, début janvier 2023, ont également rappelé douloureusement qu’Anvers est bien devenue la capitale européenne du trafic de cocaïne.

Si Anvers est désormais le centre névralgique du trafic européen, différents éléments semblent indiquer qu’elle est également devenue un haut lieu de la consommation de la cocaïne. C’est en tout cas ce que révèle une large étude menée dans 79 villes, avec une méthode étonnante.

Cette étude réalisée depuis dix ans s’appuie sur l’analyse des eaux usées qui peut révéler de façon fiable la présence de résidus de cocaïne consommée par les habitants d’une zone donnée.

Les échantillons sont prélevés de façon régulière à la station d’épuration d’Anvers-Sud
Les échantillons sont prélevés de façon régulière à la station d’épuration d’Anvers-Sud © Baptiste Hupin

"Nous participons tous à cette étude sans le savoir"

Nous avons pu suivre des chercheurs de l’université d’Anvers qui participent à cette étude européenne coordonnée par l’OEDT, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies en collaboration avec le Groupe central d’analyse des eaux usées en Europe (SCORE).

Leur travail commence à la station d’épuration d’Anvers-Sud. Les eaux usées de près de 200.000 anversois arrivent ici pour être traitées avant d’être relâchées dans l’Escaut. Les bassins de décantation s’étendent sur plusieurs hectares. Mais ce qui intéresse les chercheurs venus ce matin avec leurs chasubles fluorescentes et un flacon de 50 millilitres, ce sont bien les eaux sales, avant leur traitement. En mêlant les urines de milliers de consommateurs potentiels de cocaïnes, ces eaux sont un précieux matériel d’analyse car elles peuvent contenir des résidus de drogue. " Il s’agit d’une étude à laquelle tout le monde participe, sans le savoir ", explique Natan Van Wichelen, chercheur au Centre toxicologique de l’Université d’Anvers. " Cela nous permet de récolter des données sur énormément de personnes, ce qui nous donne une image très représentative de la société ".

Le flacon est rempli à la louche. L’échantillon est prélevé dans des bidons remplis automatiquement à intervalles réguliers pour obtenir un mélange représentatif des eaux usées sur une journée complète. " Nous pouvons maintenant analyser ces eaux à l’odeur si caractéristique au laboratoire. "

Les plus hautes concentrations d’Europe dans les eaux usées d’Anvers

Au laboratoire de toxicologie d’Anvers, ces 50 millilitres d’eaux troubles vont devenir d’une étonnante transparence en matière de détection de traces de drogue. Centrifuger, purifier, concentrer : les traitements auxquelles Natan Van Wichelen les soumet les rendent particulièrement bavardes. " Cela va nous donner une indication de la quantité de benzoylecgonine présente dans notre échantillon. Il s’agit de la substance qu’on retrouve dans les urines après avoir consommé de la cocaïne. "

L’étude porte sur les restes de cette cocaïne métabolisée par l’être humain et non sur des traces de cocaïne pure dans l’eau. Les concentrations mesurées dans l’échantillon rapportées au nombre de personnes raccordées à la station d’épuration et à la quantité d’eau qui y circule donnent alors une indication assez précise de la consommation de cette drogue dans cette zone sur une période déterminée. Des mesures réalisées au même moment selon le même protocole dans d’autres villes offrent une cartographie précise de la cocaïne consommée à travers l’Europe.

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Et les résultats de l’analyse sont clairs : en 2021 (dernière année de mesures complète), les concentrations quotidiennes de benzoylecgonine mesurées à la station d’épuration d’Anvers-Sud dépassent très largement les concentrations observées dans les autres villes. " Quand on regarde les résultats sur les dix dernières années, parmi les villes participantes, c’est à Anvers qu’on retrouve les concentrations les plus élevées les jours ou les semaines durant lesquelles nous avons fait des mesures ", analyse Natan Van Wichelen.

Sur ce graphique reprenant l’ensemble des données du Centre européen du contrôle des drogues et des addictions, Anvers apparaît effectivement en tête de classement. La ville portuaire dépasse des grandes villes comme Amsterdam, Barcelone ou Paris.

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Les eaux usées prélevées à Anvers affichent une concentration en benzoylecgonine de 1581 Mg pour 1000 personnes par jour, soit près de 2 fois le taux enregistré dans la deuxième ville du classement, la petite ville de Saint-Gall en Suisse. Bruxelles est la cinquième ville du classement, avec la moitié du taux mesuré dans l’échantillon anversois (768 mg/1000p/jour).

Natan Van Wichelen reste cependant prudent dans la comparaison des concentrations mesurées dans les villes en 2020 et en 2021. " Ces deux ou trois dernières années ont été particulières en raison de la pandémie de Covid19. L’interprétation de ces données est donc un peu plus compliquée. " Les restrictions sanitaires et les règles de confinement, différentes d’une ville à l’autre, ont effectivement pu avoir un impact important à la hausse ou à la baisse sur la consommation de cocaïne. " Mais on remarque bien une constante. Les concentrations mesurées à Anvers-Sud sont toujours dans le haut du classement des villes participantes depuis 2011. "

Sur le même sujet : Extrait du JT (09/02)

Doublement de la consommation de cocaïne

Cette étude offre aussi une vue précise de l’évolution de la consommation dans une ville. En dix ans, les traces de cocaïne détectées à Anvers ont plus que doublé, avec une accélération marquée après 2018.

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Mais l’accélération de la consommation est encore plus fulgurante à Bruxelles. En 2011, l’analyse des eaux usées des Bruxellois révélait la présence de 184 mg/1000p/jour. En 2021, les taux détectés sont quatre fois plus élevés. La consommation bruxelloise de cocaïne reste inférieure à celle d’Anvers mais augmente donc plus rapidement.

Banalisation de la "coke"

Ces résultats mesurés en laboratoire semblent se vérifier dans le quotidien anversois. L’après-midi est calme à la Free Clinic, une structure qui vient en aide aux consommateurs problématiques. Dans le hall d’entrée, un homme somnole assis à même le sol, un demi-litre de bière forte à la main. D’emblée, Tino Ruyters, le directeur de la Free Clinic nous prévient : " Ici, on accueille des consommateurs avec une addiction très lourde. "

Le public souvent précarisé et marginalisé qui se tourne vers cette association touche en général à plusieurs drogues, parfois depuis très longtemps. Tino Ruyters classe les consommateurs en deux grandes catégories. " Il existe un très grand groupe de consommateurs qu’on peut considérer comme des utilisateurs récréatifs. Ils prennent de la cocaïne lors de fêtes, ou pendant le week-end. Et il y a un plus petit groupe de consommateurs problématiques. On a le sentiment que le groupe d’utilisateurs occasionnels augmente. " Le nombre de consommateurs problématiques lui semble plutôt stable.

Robin Fernandez partage ce sentiment. Il est travailleur psychosocial à la Free Clinic et rencontre quotidiennement des consommateurs. " Je crois que c’est plutôt le nombre d’utilisateurs occasionnels qui est en augmentation ". Robin Fernandez n’hésite pas à parler d’une forme de banalisation de la consommation de cocaïne. " Quand quelqu’un dit qu’il va prendre une ligne de coke, avant, ça aurait suscité des réactions. Maintenant, beaucoup moins, je pense. Je peux difficilement m’exprimer au nom de toute la société, mais quand j’entends parler les gens de coke, c’est comme s’ils allaient fumer une cigarette, boire un café ou un cola. " Au fil du temps, la cocaïne a pris de plus en plus de place, d’après les observations du directeur, Tino Ruyters. " Il y a quelques années, la plupart des questions posées à notre point d’information concernaient le cannabis. Il y a eu un glissement. Aujourd’hui c’est la cocaïne qui a remplacé le cannabis comme premier produit de préoccupation. "

Quatre grammes plus un gratuit

Comment expliquer cette normalisation ? Quels sont les facteurs qui expliquent qu’Anvers arrive en tête des villes où l’on consomme le plus de cocaïne depuis une dizaine d’années ? Tino Ruyters ne se risque pas à des conclusions trop rapides ou simplistes. " Ce n’est pas une question évidente. Cela demanderait une étude sociologique très poussée pour le comprendre. "

Mais le lien avec l’énorme quantité de cocaïne qui circule à Anvers ne peut cependant pas être écarté. " Avec le port, il y a une arrivée massive de cocaïne ", évoque Tino Ruyters comme une des nombreuses hypothèses. " Il a toujours été très simple de trouver de la cocaïne à Anvers, c’était déjà comme ça il y a trente ans ", explique Robin Fernandez. " Aujourd’hui c’est encore plus facile avec tout ce qui entre par le port. Et les dealers peuvent faire des promotions. Ils proposent de plus en plus souvent des formules comme quatre grammes plus un gratuit. "

Alors l’offre énorme doperait-elle donc simplement la demande ? " C’est une combinaison d’offre et de demande. Il y a clairement un marché pour la consommation de cocaïne à Anvers. Mais plus on inonde ce marché, plus il grandit. L’offre renforce la demande et inversement. C’est un cercle vicieux. "

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