Des signaux qui ne sont "pas propres à la présence de drogue ou substance dans un verre"
"Ces conseils n’ont aucune base chimique ou scientifique. Ils sont dangereux car ils laissent penser que ces signes sont efficaces pour repérer un verre drogué, ce qui peut induire les potentielles victimes en erreur", indique à l’AFP Samira Djezzar, médecin praticien hospitalier à l’hôpital parisien Fernand Widal et membre du Centre d’addictovigilance (CEIP-A) de Paris.
Un avertissement également partagé par Jenny Becam, médecin au service de Pharmacocinétique et de toxicologie à l’hôpital de La Timone (Marseille) : "Ces conseils n’ont aucun sens et ne sont pas étayés par des réalités scientifiques. On ne peut pas dire ce qu’il y a dans une boisson sans l’analyser, ce n’est techniquement pas possible de déterminer visuellement s’il y a de la drogue dedans ou non. La flottaison des glaçons ou l’effervescence n’alertent pas sur la présence de la drogue ou de médicaments."
Leïla Chaouachi, pharmacienne au CEIP-A de Paris, confirme que "des recommandations aussi générales ne peuvent pas être précises compte tenu de la multiplicité des cas de soumission chimique" et souligne : "S’il y avait un moyen aussi facile et efficace pour se prémunir contre la soumission chimique, ce serait formidable. Malheureusement, la réalité est infiniment plus complexe."
"Les conseils donnés dans cette publication n’ont pas de base scientifique. […] Il convient d’être très prudent sur l’interprétation de ces signaux, seuls ou combinés, puisqu’ils ne sont pas propres à la présence de drogue ou substance dans un verre", abonde aussi la Mildeca.
Elle précise, à titre d’exemple, que le GHB, ou acide gammahydroxybutyrique – qui figure, comme le rappelle le ministère de l’Intérieur, parmi "les stupéfiants dont l’usage est interdit car à une certaine dose il devient un puissant somnifère et amnésiant" – "est incolore, inodore et sans goût".
"Dans les bars, les boîtes de nuit ou au cours de soirées, des personnes profitent du contexte festif pour mélanger du GHB à la boisson de leur victime à leur insu, à dessein d’altérer leur discernement ou le contrôle de leurs actes et ce, afin de commettre des vols, des agressions, des abus sexuels", rappelle le ministère.
"Avec des indices aussi généraux, toutes les boissons peuvent être suspectes"
Pour Leïla Chaouachi, "les recommandations proposées par ces visuels supposent que les boissons consommées soit translucides, sans bulles et fraîches".
"Qu’en est-il des boissons chaudes ? Gazeuses ? Des cocktails sombres ? Multicolores ? Servis dans un verre rempli de glace pilée ou opaque ?", pointe du doigt la spécialiste, qui déplore qu'"avec des indices aussi généraux, toutes les boissons sont suspectes", a fortiori dans un contexte festif (lumière tamisée, musique, mouvement…) peu propice à de telles observations.
On pouvait trouver mention de ces "conseils" sur le site du Centre régional d’information et de prévention du sida et pour la santé des jeunes (CRIPS) d’Ile-de-France, qui préconisait, jusqu'au 12 septembre 2022, pour se protéger d’une "agression au GHB", de "surveiller les possibles changements de sa boisson : goût salé, apparence brumeuse ou changement de couleur, quantité excessive de bulles, ou glaçons qui coulent au fond du verre".
Interrogé le 12 septembre par l’AFP sur ces mentions, le CRIPS a répondu qu’il allait "quelque peu modifier la formulation pour éviter toute généralisation susceptible de provoquer un malentendu".
Depuis le 13 septembre 2022, la page ne mentionne plus ces critères parmi ses conseils de protection.
Une soumission chimique aussi réalisée par "usage médicamenteux"
Bien que le GHB fasse partie des substances utilisées à des fins de soumission chimique, que l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) définit comme "l’administration à des fins criminelles (viols, actes de pédophilie) ou délictuelles (violences volontaires, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime ou sous la menace", il est loin d’être le seul produit auquel recourent ces criminels.
"Se focaliser sur le GHB, présenté dans la culture populaire, notamment dans certaines séries, comme la drogue du violeur, qui serait un produit gluant faisant tomber les glaçons, c’est passer complètement à côté d’un grand pan de la soumission chimique, qui se fait via un usage médicamenteux, notamment par des produits hypnotiques non utilisables sous forme liquide", souligne ainsi Rachel Vigne, coordinatrice prévention à Avenir Santé, une association qui participe notamment au dispositif de prévention et de réduction des risques en milieu festif parisien, "Fêtez clairs".
D’après l’enquête de soumission chimique de 2019 réalisée par le CEIP-A de Paris, alors que la "proportion de cas de soumission chimique vraisemblable" restait "toujours basse (9% des déclarations)" avec "un profil des victimes inchangé (jeunes femmes victimes d’attouchements sexuels, enfants chimiquement battus ou sédatés dans un but d’homicide)", le "groupe des antihistaminiques" devenait pour la première fois le produit le plus utilisé parmi ces substances.