Les accidents sur ces câbles internet, miniers ou de pêche, sont fréquents. Mais réparables. Par contre une attaque majeure contre les faisceaux de câbles entre l’Europe et l’Amérique du Nord aurait des conséquences majeures. Il faut noter que 99% du trafic internet ne passe pas par les satellites mais bien par des câbles sous-marins, c’est ce qui les rend vulnérables. Car ces câbles ne sont pas plus épais qu’un tuyau d’arrosage. Ils ne sont donc pas très compliqués à saboter, mais beaucoup plus compliqués à protéger.
Entre l’Amérique du Nord et l’Europe, il y a deux nœuds importants : le premier se trouve au large de la Bretagne, en France. Le second, le plus gros, au sud de l’Irlande. Trois quarts des câbles de l’hémisphère nord passent à travers ou à proximité des eaux irlandaises.
En 2014, la Crimée a été privée d’internet à cause de câbles endommagés. La communication avec le reste de l’Ukraine a été coupée. En 2017, une rupture non accidentelle a coupé les câbles entre la France et la Grande-Bretagne d’une part et l’Amérique du Nord de l’autre. Les faits ont été classés comme une attaque non identifiée.
Et dans l’extrême nord de la mer de Barents, en Norvège, un câble a été sectionné à l’automne dernier. Mais personne ne sait qui est l’auteur du sabotage.
Augmentation des patrouilles
Face à la menace potentielle, "il y a une accentuation considérable des patrouilles militaires, américaines, de l’Otan, européennes, dans les eaux contiguës, dans l’Atlantique nord. Il y a eu montée en gamme, mais cela n’immunise pas intégralement du risque. Cela le minimise mais cela ne le supprime pas", poursuit le chercheur.
Augmenter les patrouilles de surface, sous-marines, aériennes, soit… "Mais il est impossible de tout surveiller en permanence. On est dans un contexte qui favorise la surveillance des uns et des autres. La présence d’un bâtiment russe suspect dans ces zones avec une concentration d’infrastructures critiques ne passerait pas inaperçue."
Nicolas Gosset indique également que toutes ces opérations peuvent aisément avoir été préparées il y a un certain temps, depuis la décision de prendre des sanctions contre la Russie, par exemple : il suffit de déposer à ce moment charge explosive et détonateur, pour ensuite déclencher l’explosion au moment voulu, en pleine fuite en avant russe, avec les référendums d’annexion des régions sud et est de l’Ukraine…
La prise en compte des infrastructures critiques est devenue une priorité depuis plusieurs années. La prise de conscience de la vulnérabilité des infrastructures date environ de 2017.
Malgré les nombreuses attaques cyber lancées par la Russie contre l’Ukraine, celle-ci a pu résister, le choc a été modéré.
Et "en 2019, les Etats-Unis ont rétabli le North Atlantic Command, un système de patrouille sous-marine dans l’Atlantique nord et dans l’espace arctique aussi, car beaucoup de ces câbles passent sur le fond de l’océan glacial, c’est une zone particulièrement vulnérable à ce type d’attaque", complète Nicolas Gosset.
Guerre hybride
Ces attaques sont donc à classer dans une zone grise, où l’agresseur avance caché, "sous le seuil" de l’attribution claire, immédiate et catégorique. C’est ça la guerre hybride.
Un autre élément qui fait dire que ces brèches dans les gazoducs Nord Stream rentrent dans cette catégorie, c’est qu’elles interviennent au même moment que la mise en route du Baltic Pipe, un pipeline entre la Norvège et la Pologne, dans la même zone en Baltique près de l’île de Bornholm et dans la même période. Ce n’est sans doute pas un hasard, pour Nicolas Gosset.
"C’est une manifestation d’une sorte de retenue de la part de la Russie, qu’on pourrait imaginer comme étant un message du type : 'Voyez, nous aurions pu frapper le nouveau Baltic Pipe. Entre le plateau continental norvégien et les rivages de la Pologne. Cela n’a pas eu lieu là, mais bon, cela reste possible'".