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Assassinat de Shinzo Abe : quels liens entretenait son parti avec la secte Moon ?

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L’Église de l’Unification serait le lien entre la mort par balles de Shinzo Abe et l’assassin présumé. Arnaud Grivaud, maître de conférences de l’Université Paris Cité, spécialiste de la politique japonaise contemporaine, a répondu aux questions d’Eddy Caekelberghs sur cette secte dans Le fin Mot.

L’assassinat par balles de l’ancien Premier ministre Shinzo Abe par l’auteur présumé, Tetsuya Yamagami, a heurté le peuple japonais.

Deux mois après, plusieurs faits interpellent encore l’opinion publique internationale. L’assassin a utilisé une arme artisanale pour tuer l’ancien Premier ministre nippon. Le mobile ? La vengeance. L’auteur des faits pensait que l’ancien chef d’État avait un lien avec la secte Moon. Cette organisation aurait reçu des dons importants de la mère du suspect, mettant sa famille en péril financier.

L’Église de l’Unification n’est en réalité pas si méconnue : elle a compté des millions d’adeptes dans les années 80 dont Ronald Reagan et George Bush. Mais quel est son poids réel dans la société nippone ? Analyse.

Shinzo Abe, membre de la secte ?

Le point commun entre ces dirigeants et la secte Moon ? Une haine viscérale du communisme. Fondée par le révérend coréen Sun Myung Moon, réfugié en Amérique du Nord, elle a même financé la campagne présidentielle de Jean-Marie Le Pen. À coups de nombreux moyens de pression et de manipulations, elle a parfois extorqué beaucoup d’argent à ses membres.

Elle compterait encore aujourd’hui environ 200.000 adeptes.

Mais Shinzo Abe avait-il un lien avec cette secte comme le prétend son assassin ? C’est plutôt son groupe politique, le Parti libéral-démocrate – au pouvoir depuis 1955 presque sans discontinuité -, qui était visé selon Arnaud Grivaud : "Il n’avait pas nécessairement les liens les plus forts avec la secte en comparaison d’autres parlementaires de son parti. Mais étant la figure politique et médiatique la plus importante, c’est sur lui que l’assassin a jeté son dévolu".

Ce soutien de L’Église de l’Unification n’était pas, jusqu’à cet assassinat, de notoriété publique. Si on ne cachait pas l’aide d’organisations patronales et syndicales, "pour le soutien de groupes religieux, c’est bien plus délicat. Il y a La conférence du Japon, qui a des idées d’extrême droite et qui est bien plus liée au Shinto (NDLR : religion historique du Japon)".

La famille de l’ancien Premier ministre nippon était par contre impliquée. Pour le maître de conférences de l’Université de Paris Cité, les liens avec la secte Moon remontent à Kishi Nobusuke, le grand-père de Shinzo. En 1968, ce dernier a été l’un des fondateurs de la 'Fédération Internationale pour la Victoire contre le Communisme', convergence idéologique entre l’Église de l’unification et le monde politique japonais. Les liens se sont encore tissés avec le PLD jusque dans les années 1990. À cette période, on médiatise surtout la secte Moon pour ses célébrations de mariages collectifs entre Coréens et Japonais qui ne se connaissaient pas.

© Kurita KAKU/Gamma-Rapho via Getty Images

Une aide indirecte pour se répandre dans le monde politique

Cependant, on ne peut pas réduire le lien entre le PLD et la secte Moon à une question idéologique nuance Arnaud Grivaud : "A partir d’un moment cela s’est fait plutôt sur des questions d’échanges de bons procédés : la secte prêtait des fidèles pour qu’ils travaillent gratuitement pour des parlementaires, en tant qu’assistants parlementaires parfois, ou petites mains pendant les campagnes qui sont fort coûteuses. Il y a un tas de témoignages d’anciens membres de la secte qui témoignent dans les médias (sur ce sujet)".

Ce financement détourné a attiré un ensemble de parlementaires, qui ont ensuite rejoint officiellement la secte.

Comment le parti libéral-démocrate a redoré l’image de la secte Moon

Au prêt de main-d’œuvre se sont ajoutées les ventes forcées d’objets religieux, rapportant plusieurs millions de yens, qui ont été plusieurs fois rattrapées par la Justice au début des années 2000. C’est à ce moment que la société japonaise découvre l’ampleur de la toile tissée par la secte.

L’image de l’Église de l’Unification se dégrade alors mais reprend sa vigueur en 2015, en changeant de nom. Ce changement ne peut être approuvé que par l’agence des affaires culturelles liée au ministère de l’éducation. Durant la courte période où l’opposition actuelle est au pouvoir, elle est rejetée. Quand Shinzo Abe revient au pouvoir en 2012, "les preuves semblent converger sur le fait que le ministre de l’éducation de l’époque ait demandé à ses agents du ministère d’accéder à la requête de la secte" raconte Arnaud Grivaud. "C’est aussi avec l’aide du PLD qu’elle arrive à changer de nom. […] Même si le Parti libéral-démocrate n’a pas fait de façon ostensible les politiques publiques qui favoriseraient un groupe religieux – ce qui est proscrit par la Constitution – en se montrant avec les membres de l’Église et en la légitimant et les groupes satellites qui tournent autour, il donne une ressource réputationnelle, redore le blason de cette secte et elle peut ensuite procéder à ces malversations et ruiner les familles".

© Franck Robichon – Pool/Getty Images

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