Scène

Au Festival "Off" d’Avignon : Le Théâtre des Doms, histoire d’un succès professionnel

Devant le Théâtre des Doms, la foule attend pour assister à un spectacle.

© Camille Vanelli

Par Tania Markovic

Le Festival "Off" d’Avignon est un moment important pour les compagnies, promesse de nouvelles opportunités. Pour cela, elles doivent convaincre les programmateurs, appelés couramment "pros". Les recettes expliquant l’engouement des pros pour une pièce sont légion bien qu’hypothétiques mais des facteurs évidents facilitent toutefois l’émergence d’un "succès". Parmi eux, la qualité du spectacle prime bien heureusement sur d’autres considérations plus "pragmatico-techniques". Ainsi, si "Home" de Magrit Coulon fait partie des pièces "qui marchent" lors de cette édition 2021 du Festival "Off" d’Avignon, c’est d’abord grâce au talent de la jeune metteuse en scène et de ses comédiens (Carole Adolff, Anaïs Aouat et Tom Geels). Toutefois, si on cherche à analyser le succès de "Home", on s’aperçoit que l’encadrement dont bénéficie Magrit Coulon joue en sa faveur, ce qui n’enlève rien à la valeur de son travail. Produit par la structure bruxelloise Modul, "Home" fait partie de la programmation du Théâtre des Doms qui bénéficie d’une excellente réputation. A cet égard, les programmateurs scrutent sa sélection avec un regard attentif. Rencontre avec le personnel des Doms et Kevin Douvillez, co-directeur, responsable artistique et chargé de l’animation du réseau Le Chaînon, qui a accepté de nous rencontrer afin de témoigner de son intérêt pour ce petit bout de chez nous en terre provençale.

Le Théâtre des Doms, un écrin

L’équipe de "Home" a trouvé au Théâtre des Doms un écrin pour accueillir son projet. Car le Théâtre des Doms est un lieu à part du "Off", subventionné par Wallonie Bruxelles International, l’administration des relations internationales de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Sa raison d’être ? "Contribuer au rayonnement d’artistes, de créations et de projets artistiques issus de la Fédération Wallonie-Bruxelles, par la promotion et la diffusion des œuvres et des artistes".

 Le Théâtre des Doms est véritablement un lieu d’accueil. Plusieurs artistes ont témoigné des conditions très agréables de travail, se déclarant "privilégiés" de jouer là. Et pour cause, le Théâtre des Doms n’a pas pour objectif de s’enrichir sur le dos des compagnies, à l’inverse de la politique menée par certains directeurs de salle…

►►► Lire un article sur les conditions d’accueil des compagnies dans le "Off"

Portrait d’Alain Cofino Gomez
Portrait d’Alain Cofino Gomez © Céline Chariot

Alain Cofino Gomez, le directeur depuis 2015 (lui-même metteur en scène et dramaturge formé à l’INSAS en mise en scène), qui a fait du théâtre la mission de son existence, a obtenu auprès de Pierre-Yves Jeholet (le Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles, MR), la signature d’un certain nombre d’accords pour revaloriser le budget alloué aux Doms.

On a avancé sur des améliorations tant pour les artistes qui viennent – que ce soit pour le Festival ou pendant l’année – mais aussi pour le public puisqu’une partie de cette enveloppe va servir à effectuer un certain nombre de travaux. On va donc pouvoir le recevoir encore mieux que ce qu’on fait habituellement !

Alain Cofino Gomez

L’écriture du réel en plein essor

Marion Lesort, administratrice générale et ancienne chargée de diffusion, nous explique que le succès des Doms auprès des programmateurs tient de l’excellente réputation du lieu, elle-même fruit de vingt ans de travail acharné. La mission première des Doms est de "permettre aux compagnies d’exporter leurs créations au maximum, en France et dans le monde entier. C’est vraiment notre corps de métier", martèle-t-elle.

Un travail est aussi effectué sur le public à travers des actions culturelles. Une partie importante de l’énergie de l’équipe est consacrée à faire venir des programmateurs. En amont, tout se joue au moment de la sélection de projets, choisi en fonction de leur adresse, de leur "ligne éditoriale" dont les contours se dessinent après coup, formant une thématique. Cette année, on se rend compte que la dominante est liée à la question de l’écriture du réel, que ce soit dans "Home", "Ouragan" de Ilyas Mettioui (sur un livreur de nouilles à vélo) ou encore "Un Silence ordinaire" de Didier Poiteaux et Olivier Lenel (du théâtre documentaire qui interroge la question de l’alcoolisme) et "Fusion" de Joëlle Sambi et Hendrickx Ntela (un duo slam/krump sur les violences sociales, migratoires et policières).

Marion Lesort poursuit : "On a un bel engouement de la part des professionnels cette année ! En dehors de "Home", "Ouragan" connaît aussi un beau succès. La diversité sur le plateau peut représenter un attrait pour les programmateurs. Il y a aussi "Tchaïka" de la compagnie Belova-Iacobelli qui bénéficiait déjà d’un "repérage" puisque la pièce avait reçu plusieurs prix. Concernant la "Garden Party", on ressent une vraie curiosité des professionnels sur ces formes-là. Un autre succès, peut-être un peu moins public, est celui d' "Un silence ordinaire" que beaucoup de professionnels viennent voir. Ils en ressortent très emballés ! La variété de la programmation permet vraiment d’avoir un grand nombre d’adresses différentes."

►►►Lire notre article sur "Home" de Magrit Coulon

La Garden Party des Doms dans "Le journal des festivals" de Musiq3

La synergie comme philosophie

Le Théâtre des Doms analyse les publics cibles de chaque spectacle. En croisant ces informations avec leurs bases de données de programmateurs, ils voient quelle pièce pourrait correspondre à quel lieu. "On informe sur notre programmation de façon la plus ciblée possible", précise l’administratrice. Interviennent ensuite les chargés de diffusion.

Il y a une synergie à ce niveau-là, nous, on va travailler sur les réseaux alors que les chargés de diffusion vont agir en finesse, ciblant les salles qui vont avoir les moyens de production pour accueillir un spectacle, comme les dimensions de plateau adéquates. Pour "Home" on est sur de l’émergence, sur une écriture nouvelle, donc on va chercher des théâtres qui ont cette attention-là, sont attentifs à la jeune création… Une scène nationale peut tout à fait correspondre à ces critères.

"Pour moi, le succès professionnel du Théâtre des Doms auprès des professionnels vient vraiment de cette synergie-là, de ce travail commun qui s’effectue à la fois avec les chargés de diffusion, la communication et la presse. On met ses relations en avant ici, devant le théâtre, en affichant les articles relatifs à notre programmation", ajoute-t-elle.

Quels sont les réseaux avec lequel le théâtre travaille ?

Le fait d’être implanté à l’année est une force, cela nous permet de travailler sur un réseau local. Par exemple on échange beaucoup avec "Le Cercle de Midi" (ndlr, la Fédération en PACA). Ce réseau local est relié à un réseau national, "Le Réseau Chaînon", avec lequel nous travaillons également.

L’équipe du Théâtre des Doms : Marion Lesort, administratrice, et Romane Boulanger, chargée de communication et des relations avec le public.
L’équipe du Théâtre des Doms : Marion Lesort, administratrice, et Romane Boulanger, chargée de communication et des relations avec le public. © Céline Chariot

Le Réseau Chaînon et son festival

Fondé au milieu des années 80 par des responsables de structures de spectacles, le Réseau Chaînon a pour objectif de repérer des créations et de les proposer à la diffusion en permettant aux artistes d’acquérir une visibilité d’abord régionale, puis nationale – voire même internationale. Cette mise en réseau de professionnels a mis en place une plate-forme artistique, le festival du Chaînon manquant qui se tient en septembre dans le Pays de la Loire, du côté de Mayenne.

Près de 70 spectacles émergents dans toutes les disciplines du spectacle vivant (arts de la rue, jeune public, musique, théâtre, danse et cirque) y sont présentés, ce qui fait du Festival Le Chaînon manquant la deuxième plus importante manifestation pluridisciplinaire en France, après le Festival d’Avignon "Off" !  Les adhérents (soit 294 pros en charge de projets artistiques et culturels sur tous les territoires francophones) se réunissent un mois après le Festival. Là, sur base d’un tarif unique pour tous et de périodes déterminées en amont avec les artistes, ils organisent les tournées en les inscrivant dans un ancrage territorial, soucieux d’une économie solidaire et écologique.

" On optimise la venue de projets en ayant le plus grand nombre de dates les plus rapprochées possibles ce qui permet un gain d’énergie, de temps et d’argent pour tout le monde. C’est rationaliser en fait les différentes envies et demandes ", résume Kevin Douvillez, co-directeur, responsable artistique et chargé de l’animation du réseau.

Les Doms, adhérent actif

Le Théâtre des Doms est adhérent du réseau. "Quand je suis arrivé dans ce Réseau et que j’ai découvert Avignon, il y a sept ans maintenant, les Doms ne faisait pas encore parti du "Cercle de Midi" ni du "Réseau Chaînon". Assez rapidement le bouche-à-oreille m’y a conduit. Déjà à cette époque la rumeur autour des Doms était très positive. De fil en aiguille on s’est rendu compte que le type de spectacles qui étaient présentés pouvait souvent correspondre à ce qu’on recherchait car leur programmation a cet aspect assez pluridisciplinaire qui nous intéresse", explique Kevin Douvillez.

Si les Doms n’achète pas de spectacles auprès du Réseau, il participe toutefois au repérage. Ainsi, Alain Cofino Gomez n’hésite pas à décrocher son téléphone pour informer Kevin Douvillez des pièces qu’il accueille qui pourraient l’intéresser.

Concernant "Home" – qui, avec "Tchaïka", sont les deux pièces présentées aux Doms qui m’intéresse vivement – la première personne à m’en avoir parlé est la directrice de la Manufacture, Emilie Audren. Elle m’a vivement incité à voir le spectacle. J’ai passé un petit coup de fil à Alain Cofino Gomez, il m’a confirmé que ce projet pourrait m’intéresser. Au Chaînon, on a cette conviction que nos salles doivent refléter les questionnements sociétaux. On a comme volonté et ambition de présenter des projets qui doivent prêter à la réflexion sur ce qui se passe dans le monde, donc forcément une pièce avec une thématique comme "Home" ça nous intéresse !

Kevin Douvillez tempère toutefois son propos : "J’arrêterai ma décision en mars, si à ce moment-là je me rends compte qu’on a trois pièces dont le sujet est la vieillesse, je réviserai ma copie. On essaie de ne programmer simultanément des oeuvres dont la thématique est identique, même si le traitement est différent."

De la même façon, Marion Lesort expliquait que les Doms fait attention à éviter de programmer des spectacles sur la même thématique "afin de ne pas créer de concurrence interne."

Les comédiens de "Home" : Carole Adolff, Tom Geels et Anaïs Aouat.
Les comédiens de "Home" : Carole Adolff, Tom Geels et Anaïs Aouat. © Dominique Houcmant Goldo

Le bouche-à-oreille, outil des programmateurs

Lors de cette édition du Festival, Kevin Douvillez a assisté à 54 représentations. Comment fait-il pour sélectionner les pièces qu’il va voir ?

Je vais systématiquement voir des pièces aux Doms, à la Manufacture, au Train Bleu, au 11, à "l’Occitanie fait son cirque" sur l’île Piot, à la Maison pour l’Enfance (jeune public) et aux Hivernales (pour la danse). Avant toute chose je regarde la programmation de ces salles qui vont constituer mes priorités.

Le reste du repérage s’effectue grâce aux bouches à oreille. "Je recoupe les avis, quand j’ai plusieurs retours positifs sur un même spectacle, je fonce. D’une certaine façon, on est un peu dans la même position que les spectateurs qui font confiance à la rumeur pour décider de ce qu’ils vont voir, même si pour aborder Avignon on a besoin d’avoir un train d’avance ! Sur place on a un groupe What’s app d’une cinquantaine de structures sur lequel on échange nos coups de cœur."

Favoriser les rencontres

Les échanges entre programmateurs sont très importants. Si le Théâtre des Doms n’a pas la main mise dessus, il a compris qu’il est dans son intérêt de favoriser les rencontres entre professionnels. Lors des précédentes éditions, le restaurant des Doms – cette année fermé en raison du Covid – jouait ce rôle d’espace d’échange informel. En temps de Covid, le Théâtre organise des brunchs réservés aux pros, permettant de se rencontrer ainsi que d’avoir accès à des outils comme une connexion internet.

Quand on demande à Kevin Douvillez comment les Doms est perçu auprès du réseau, il répond : "C’est un point de ralliement. Le Réseau a un côté un peu familial, les Doms c’est un collègue, un adhérent !".

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