Exposition - Musées

Au musée, les femmes artistes d’âge mûr sortent de l’ombre

Rose Wylie fait l’objet d’une grande exposition au SMAK en Belgique, intitulée "picky people notice…".

Photographie smakgent / YouTube ©

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Par AFP - Caroline Drzewinski

Si la parité dans les collections des musées est encore loin d’être atteinte, les expositions consacrées aux artistes femmes se multiplient. Tout comme celles dédiées à des artistes d’âge mûr comme Rose Wylie et Jacqueline de Jong, qui ont connu très tardivement le succès qu’elles méritent. Décryptage.

Rose Wylie est la preuve que le talent n’a pas d’âge. Cette octogénaire peint depuis plus de 40 ans dans le Kent, au sud de l’Angleterre, mais elle est internationalement reconnue comme une artiste figurative que depuis une dizaine d’années. Il aura fallu attendre 2010 pour que le grand public découvre ses tableaux vivants et colorés dans une exposition collective au National Museum of Women in the Arts à Washington. S’en sont suivies des expositions à la Tate en 2013, à l’Aspen Art Museum en 2020 et dorénavant au musée municipal pour l’Art actuel de Gand (SMAK), en Belgique.

"picky people notice…" est la première exposition solo de Rose Wylie en Belgique. Il ne s’agit pas d’une rétrospective, mais d’une sélection de toiles et de dessins récents jamais exposés auparavant. Ils se jouent des conventions picturales, notamment en matière de perspective, ce qui leur confère une allure d’immenses gribouillages d’enfants. Mais cette simplicité apparente laisse entrevoir une préoccupation pour des sujets beaucoup plus graves comme la guerre, le réchauffement climatique ou encore la représentation stéréotypée de la femme. L’exposition du SMAK n’est pas linéaire, à l’image de la carrière de Rose Wylie. L’artiste a abandonné la peinture pendant des années pour se consacrer à sa famille. Elle s’est inscrite au Royal College of Art dans les années 1970, et en est sortie diplômée en 1981. Elle n’a depuis plus jamais arrêté de réaliser les tableaux vivants et colorés qui l’ont fait connaître.

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De nombreuses artistes femmes ont, elles aussi, connu un succès tardif. Le Mori Art Museum de Tokyo leur a rendu hommage l’année dernière dans l’exposition "Another Energy : Power to Continue Challenging – 16 Women Artists from around the World". Les visiteurs du musée japonais ont ainsi pu se familiariser avec les pratiques artistiques d’artistes souvent méconnues comme la Britannique Phyllida Barlow, l’Égyptienne Anna Boghiguian, la Brésilienne Anna Bella Geiger ou encore l’Américano-Cubaine Carmen Herrera. Cette dernière est décédée en février à l’âge de 106 ans, après avoir connu un succès tardif pour ses œuvres abstraites géométriques et colorées.

Pas dignes d’être des artistes comme les hommes

Si Carmen Herrera a peint des toiles structurées et sobres pendant huit décennies, elle n’a exposé que très rarement son travail au public. Ce n’est qu’en 2004 qu’elle vend sa première toile. Elle est alors âgée de 89 ans. Suite à cela, Carmen Herrera a enfin pu profiter du succès qui lui est dû en tant que grande figure de l’abstraction géométrique et du minimalisme de la seconde moitié du XXème siècle. Les plus grands musées internationaux lui ont consacré des rétrospectives, comme le Whitney Museum of American Art en 2016, et ses œuvres se trouvent dorénavant dans les collections permanentes du Guggenheim d’Abu Dhabi, du MoMA à New York et de la Tate Modern à Londres.

De son vivant, Carmen Herrera a toujours été critique quant à l’invisibilisation des femmes dans l’histoire de l’art. Surtout pour celles qui, comme elle, s’affranchissaient des canons picturaux et refusaient de se laisser cataloguer dans aucun genre. "Je connaissais [l’artiste américain] Ad Reinhardt et il était terriblement obsédé par Georgia O’Keeffe et son succès. Il la détestait. Il la détestait ! Georgia était forte, et ses peintures étaient exposées partout, et il était jaloux", a déclaré Carmen Herrera au Guardian en 2016.

L’ascension des femmes dans les milieux artistiques a toujours été freinée par des préjugés misogynes et virilistes, selon lesquels seuls les hommes étaient dignes d’accéder au statut d’artiste professionnel. "L’intrusion sérieuse de la femme dans l’art serait un désastre sans remède", a jadis dit Gustave Moreau au sujet de sa collègue Marie Bashkirtseff. "Que deviendra-t-on quand des êtres […] aussi dépourvus du véritable don imaginatif viendront apporter leur horrible jugeote artistique avec prétentions justifiées à l’appui ?"

Pourtant, les femmes n’ont jamais attendu l’approbation de leurs homologues masculins pour contribuer à l’histoire de l’art. Des femmes commissaires et des conservatrices s’efforcent de plus en plus de sortir ces artistes des réserves des musées en leur consacrant des expositions dédiées, "100% féminines". Un phénomène dont bénéficient, à titre posthume ou non, des créatrices comme Etel Adnan, Zilia Sánchez, Mirdidingkingathi Juwarnda Sally Gabori, Luchita Hurtado ou encore Jacqueline de Jong. Sans compter toutes celles qui n’attendent que d’être (re) découvertes.

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