Belgique

Auditions filmées de mineurs : pour plus de respect de la parole de l’enfant

Par Stéphanie Lepage du service judiciaire

Chaque année, 6500 auditions filmées de mineurs sont réalisées par des policiers. Ils entendent des enfants âgés de 3 à 18 ans, comme victimes ou comme témoins. Ces auditions suivent un canevas strict et les questions posées ne peuvent pas être suggestives. Il est question de recueillir la parole libre de l’enfant. Depuis 2001, la Belgique a acquis une certaine expérience en la matière et est aujourd’hui précurseure.

La pratique est arrivée en Belgique à la fin des années 90. Chaque corps de police - issu de la police judiciaire, des polices communales ou de la gendarmerie – réalisait alors les auditions filmées de mineurs avec ses propres méthodes. "C’était parfois très suggestif " commente Régine Cornet d’Elzius, premier substitut du procureur au parquet de Namur depuis les années 2000. " Maintenant, c’est beaucoup plus professionnel".

En 2001, la réforme des polices, va amener une standardisation de l’exercice au niveau national. Pour pratiquer ce type d’audition, les policiers volontaires doivent désormais suivre une formation et obtenir un brevet spécifique. "C’est une formation de 116 heures donnée en 4 semaines et qui est très exigeante" explique Michel Carmans, coordinateur TAM (Techniques d’Audition de Mineurs) et qui suit le développement de la technique depuis la première heure. La formation est d’abord théorique. Des experts viennent enseigner aux apprentis auditionneurs des matières telles que la dynamique de l’abus, la psychologie, la sexualité ou encore le développement langagier de l’enfant. Ce dernier étant très utile pour savoir comment s’adresser au mineur. "Quand un auditionneur demande à un enfant de 5 ans : quand cela s’est-il passé ? Et bien, ce n’est pas adéquat" explique le policier. "Puisqu’on sait aujourd’hui qu’un enfant ne reconnaît l’espace-temps qu’à partir de 9 ans".

Une fois la partie théorique réussie, les enquêteurs peuvent passer à la partie pratique et une série de 6 jeux de rôle à la difficulté croissante. "Le policier va y expérimenter le protocole d’audition. Il va apprendre en pratiquant et en observant les autres participants ".
Lors de son évaluation finale, le policier doit mener une audition devant un jury et c’est sur base de ce jeu de rôle qu’il pourra obtenir le brevet lui permettant d’effectuer des auditions de mineurs victimes ou témoins d’infractions.

Michel Carmans, coordinateur du projet audition des mineurs à la police fédérale
Michel Carmans, coordinateur du projet audition des mineurs à la police fédérale © RTBF

Un protocole d’audition strict

L’audition filmée d’un mineur dure environ 45 minutes. Moins pour les très jeunes enfants dont la concentration est limitée. Elle commence par une introduction. "Les enquêteurs vont bien expliquer à l’enfant qui est qui, pourquoi il est là, dans quel cadre…" explique Régine Cornet D’Elzius, premier substitut au parquet de Namur.

L’auditionneur expliquera ensuite les dispositions légales à savoir les droits de l’enfant. Le droit de se taire, le droit d’interrompre, le droit d’être accompagné d’une personne de confiance s’il le souhaite. A condition que celle-ci ait plus de 18 ans et qu’elle ne soit pas partie prenante à la cause. Ce dernier critère exclut souvent un ou les deux parents. La très grande majorité des faits de mœurs ou de maltraitance qui amènent les enfants à être entendus se passent dans le cadre intrafamilial.

Dans le local d’audition, plusieurs caméras sont placées. Elles vont capter d’une part l’ensemble de la pièce incluant la porte et d’autre part, l’enfant et l’auditionneur en valeur plus serrée. En dessous de 12 ans, il sera mentionné à l’enfant qu’il va être filmé. Au-dessus de 12 ans, l’enquêteur doit demander l’accord du mineur. Les refus "sont plutôt exceptionnels" commente Michel Carmans. "Si l’enfant ne veut pas, il faut comprendre d’où vient le blocage et tenter de lever les craintes ". Un micro de haute performance est placé proche du jeune afin de garantir un son de qualité.

S’ensuit la phase de mise en confiance durant laquelle l’auditionneur va tenter de mettre à l’aise le mineur. Il va lui demander, par exemple, de parler de quelque chose que celui-ci affectionne. "L’important, c’est de créer une relation. Il faut qu’il y ait un lien entre les deux individus pour que le mineur se sente en confiance et puisse révéler ce qu’il a envie de dire. C’est la phase la plus essentielle".

La salle d’audition filmée pour mineurs.
La salle d’audition filmée pour mineurs. © RTBF

Introduire le récit libre

Avant d’être auditionné par la police, un enfant a souvent déjà raconté son histoire plusieurs fois. Son récit a pu être pollué par l’influence d’un proche ou par ce qu’il a entendu dans son entourage. Une autre difficulté, notamment pour les plus jeunes, c’est la mémoire. "Ce n’est pas une photo. Elle n’a pas été fixée, elle évolue" explique Michel Carmans. "Cela veut dire qu’il y a des choses que les enfants vont oublier. Un récit livré maintenant ne sera pas le même dans 15 jours. Il y a des choses qui vont disparaître de cette mémoire". L’audition vidéo filmée a aussi pour but de fixer la parole de l’enfant et d’éviter que celui-ci ne doive se répéter, donc revivre des faits douloureux.

"Ce qu’on veut recueillir, c’est la parole de l’enfant comme lui a vu, entendu, senti les choses" précise Michel Carmans. "Obtenir un récit le plus brut possible. Donc, de grâce, si votre enfant doit faire une audition, ne parlez pas des faits, cela ne sert à rien. Cela va polluer son discours. S’il vous pose des questions, répondez-y mais évitez vous-même de poser des questions".

Les auditions filmées de mineurs sont requises par le parquet dans le cadre d’affaires spécifiques.
Les auditions filmées de mineurs sont requises par le parquet dans le cadre d’affaires spécifiques. © RTBF

Une meilleure qualité d’enquête

L’audition filmée de mineurs est obligatoire pour les faits de mœurs les plus graves comme le viol ou l’atteinte à l’intégrité sexuelle. Si dans certaines circonstances, le magistrat ne souhaite pas y recourir, il doit motiver sa décision.

" Il y a des dossiers, on le sent très vite à la lecture, où il y a une instrumentalisation des enfants " explique la substitut Régine Cornet d’Elzius. " Il y a déjà un dossier auprès du tribunal de la famille… Donc dans ces dossiers-là, on est très prudent. On fait toute une série d’autres devoirs avant de réaliser des auditions filmées ".

En cas de maltraitance physique, ce type d’audition n’est pas obligatoire mais recommandée.

La méthode appliquée par les policiers permettrait d’aboutir à un résultat " plus qualitatif ". Les questions posées sont ouvertes : Comment est-ce que cela se passe en famille ? Et si l’enfant ne vient pas de lui-même aborder les faits pour lesquels les policiers sont mandatés pour enquêter : Quelqu’un s’inquiète pour toi, est-ce que tu sais pourquoi ? Un protocole d’audition jugée plus fiable pour la substitute liégeoise Nadia Laouar. " Cela évite des dérives. On essaye vraiment de ne pas rechercher une preuve dans la parole de l’enfant, de ne pas l’instrumentaliser. Tout ne repose pas sur la parole de l’enfant ".

Un élément parmi d’autres

Une fois réalisée l’audition filmée d’un mineur est déposée au greffe. C’est une pièce à conviction du dossier, elle peut donc y être visionnée par toutes les parties.

Pour les magistrats qui mènent l’enquête, c’est un élément important mais pas incontournable. " On doit souvent se satisfaire d’un enfant qui n’aborde pas les faits ou qui n’a pas envie de parler. C’est quelque chose qui est respecté ".

Quand un enfant ne parle pas lors d’une audition filmée, cela ne signifie pas que les faits sont classés sans suite précise la substitute. " Loin s’en faut. On va creuser toute sorte d’autres aspects et faire tous les devoirs d’enquête possibles ".

Poser plusieurs fois une même question ou insister pour faire parler l’enfant serait totalement contre-productif pour le policier Michel Carmans. " Le risque, c’est que l’enfant dise des choses pour nous faire plaisir. Car il a peut-être l’envie d’en être débarrassé, de partir. Donc, il va changer son récit pour contenter l’adulte et cela ne nous intéresse pas ".

Régine Cornet d’Elzius, premier substitut du procureur au parquet de Namur.
Régine Cornet d’Elzius, premier substitut du procureur au parquet de Namur. © RTBF

Amélioration continue

En 2023, 24 policiers néerlandophones et 48 francophones vont suivre la formation TAM (Techniques d’Audition de Mineurs). Mais une fois brevetés, pour ceux qui réussissent, ils devront continuer à se former. Chaque année, la cellule stratégique organise des journées nationales de formation et des rencontres permettant aux auditionneurs de parler de leurs difficultés, de glaner des pistes d’amélioration.

Il n’est pas tout de former les gens " concède Michel Carmans. " Mais on sait qu’au fur et à mesure du temps, parfois les enquêteurs prennent aussi des voies parallèles et donc on a mis en place une formation continue. Ce qu’on vise, c’est améliorer l’expertise ".

Le turnover est relativement important dans les effectifs volontaires qui pratiquent ces auditions. Les policiers font face à la souffrance de l’enfant. Un poids émotionnel important que certains ne peuvent encaisser à long terme. " Entendre des enfants qui se font abuser ou qui sont victimes de violence, ce n’est pas quelque chose de naturel" explique le coordinateur du programme." Au bout de 2 ou 3 ans, certains collègues souhaitent arrêter parce qu’il y a un trop-plein émotionnel. Ou tout simplement aussi, parce qu’ils ont des jeunes enfants et que c’est trop difficile ".

Dans la salle régie, l’enquêteur responsable du dossier écoute l’audition menée. A la fin, il peut demander à l’auditionneur de questionner d’avantage sur l’un ou l’autre point.
Dans la salle régie, l’enquêteur responsable du dossier écoute l’audition menée. A la fin, il peut demander à l’auditionneur de questionner d’avantage sur l’un ou l’autre point. © RTBF

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