Quel a été votre lien avec Annie Ernaux durant cette adaptation de son livre ?
Audrey Diwan : Adapter une autrice qu'on aime, c'est un danger dont je n'avais pas totalement pris conscience quand j'ai commencé. Non seulement j'adapte son texte, mais un morceau charnière de sa vie. Je voulais vraiment inscrire mon geste dans le prolongement du sien. En discutant avec elle, j'ai compris une chose fondamentale : la démarche qu'elle décrit dans le livre, c'est atteindre la vérité du souvenir. Comme pour moi le récit n’était pas autobiographique, il fallait que je trouve une démarche connexe. Donc j'ai cherché à donner à ressentir. Ça, c'est la beauté qu'offre le cinéma. J'ai cherché un geste dans le prolongement du sien, relativement à l'épure - ce qui m'a donné assez vite l'idée du cadre au format 1:37 – un cadre serré, pour me concentrer sur le corps, et pas sur le décor.
On a pas mal parlé du contexte sociopolitique de l'époque, son rapport à ses parents, sa mère. On a aussi beaucoup évoqué la peur, qui innerve tout le récit, et la manière dont cette peur existe un peu partout dans la société au regard de la loi à l'époque – c’est la raison pour laquelle même ses copines n'osent pas l'aider. Je lui ai fait lire différentes versions, au fur et à mesure. Elle n'a pas cherché à ramener le scénario au livre, mais quand quelque chose n’était pas juste au regard de l'époque, elle le pointait tout de suite. C'était un peu comme si elle me dessinait un chemin.
Aussi fou que ça puisse paraître, évoquer le plaisir d'une femme sans parler de sentiments, ça a encore quelque chose de transgressif
Au-delà de la liberté de disposer de son corps, le récit évoque d’autres envies de liberté d’une jeune femme : celle de faire des études, ou d’avoir du désir sexuel…
Ça fait partie des choses qui me séduisent depuis toujours dans l'œuvre d'Annie Ernaux. Elle pose des mots, sans détour, sur ce qu'elle est et ce qu'elle veut. C'est une parole extrêmement rare, et libératrice je trouve, parce que l’art a une fonction libératoire. Et quand elle parle de sexe, elle s'autorise à le faire, sans parler d'amour. Aussi fou que ça puisse paraître, évoquer le plaisir d'une femme sans parler de sentiments, ça a encore quelque chose de transgressif.