Aux sources de l’Histoire moderne de la Chine, rêves et cauchemars, le cas du Palais d’Été

Aux sources de l’Histoire moderne de la Chine, rêves et cauchemars, le cas du Palais d’Été

Retour aux sources
Par Gérald Decoster

    Soirée exceptionnelle ce 4 février, " Retour aux sources " vous propose un documentaire en deux parties, " La Chine, rêves et cauchemars ", d’Ilana Navaro. Pour en parler en studio avec Élodie de Sélys, deux éminents sinologues et professeurs d’études chinoises : Françoise Lauwaert (ULB) et Éric Florence (ULg).

    Un condensé de l’histoire moderne de la Chine

    " La Chine, rêves et cauchemars ", c’est un condensé de ce qu’il est convenu d’appeler " histoire moderne de la Chine ", avec 1839 pour millésime de départ. Cette année-là débute la Première guerre de l’opium, opposant l’empire des Qing au Royaume-Uni.

    Si ce conflit s’achève en 1842, il est rapidement suivi de la Seconde guerre de l’opium, déclenchée en 1856 et qui durera quatre ans. Une fois encore, la Chine, avec à sa tête l’empereur Xianfeng, s’oppose aux troupes britanniques de la reine Victoria, secondées par celles françaises de l’empereur Napoléon III, l’alliance anglo-française étant soutenue par les États-Unis et la Russie.

    L’empereur de Chine Xianfen – Wikipedia
    La reine Victoria, vers 1842, Musée National du château de Versailles.

    L’acte final de cette Seconde guerre de l’opium se déroule en octobre 1860 : le sac et l’incendie du Yuánmíng Yuán, " Jardin de la Clarté parfaite ", plus connu sous le nom de Palais d’Été, à une quinzaine de kilomètres du centre de Pékin. Le 6 octobre, ce sont les troupes du général Charles Cousin-Montauban qui entament un pillage en règle de cette merveille, rapidement rejointes par les Anglais.

    Des milliers de pièces de porcelaines, d’objets décoratifs et cultuels (en jade, or, perles…), d’éléments architecturaux, de laques, de livres et de manuscrits, de miniatures, de peintures, de soieries… mais aussi des bronzes disparaissent au cours d’un acte qui sera ironiquement dénommé par ses instigateurs, " déménagement du Palais d’Été "…

    « Le déménagement du Palais d’été ».
    « Le déménagement du Palais d’été ». © Domaine public

    Puis, le 18 octobre, en représailles à la mort d’une vingtaine de prisonniers européens et indiens, dont deux journalistes du Times, le haut-commissaire britannique en Chine, James Bruce, 8e comte d’Elgin, ordonne la destruction du Palais d’Été… James n’est autre que le fils de Thomas Bruce qui, au début du XIXe siècle, a " emmené " en Grande-Bretagne de nombreuses sculptures de l’Acropole d’Athènes, dont les fameuses frises du Parthénon…

    L’incendie du Palais d’été.
    L’incendie du Palais d’été. © www.theatrum-belli.com

    3500 soldats britanniques boutent le feu aux diverses constructions du Palais d’Été qui se consumera durant trois jours, ne laissant intacts que treize bâtiments. L’alliance anglo-française vient de détruire l’une des merveilles du monde, Victor Hugo, ennemi de Napoléon III, ne se gênera pas d’écrire :

    Cette merveille a disparu. Un jour, deux bandits sont entrés dans le Palais d’Été. L’un a pillé, l’autre a incendié…

    "L’un des deux vainqueurs a empli ses poches, ce que voyant, l’autre a empli ses coffres ; et l’on est revenu en Europe, bras dessus, bras dessous, en riant. Telle est l’histoire des deux bandits. Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l’histoire, l’un des deux bandits s’appellera la France, l’autre s’appellera l’Angleterre "

    En Chine, la mémoire de ce geste d’une rare barbarie demeure encore aujourd’hui le symbole par excellence de l’agression du pays par les Français et les Britanniques. Le gouvernement chinois ne cesse de réclamer des pièces qui, présentes dans des collections privées, réapparaissent régulièrement sur le marché de l’art. Et c’est sans compter les collections publiques, tel le Musée Chinois de l’impératrice Eugénie au château de Fontainebleau

    Le Palais d’Été, avant sa destruction…

    Vue du Palais d’été.
    Vue du Palais d’été. © Getty Images

    Depuis le milieu du XIIe siècle, le site du Palais d’Été est un jardin impérial. Si les empereurs et la cour des Qing (1644-1912) résident une partie de l’année et organisent les cérémonies officielles à la Cité interdite, en plein cœur de Pékin, c’est au Palais d’Été, que toute la cour se transporte à la bonne saison.

    Ce sont les Qing qui, agrandissant progressivement le lieu, feront du Palais d’Été la splendeur qu’il était encore en 1860, surnommé le " Jardin des jardins ", un chef-d’œuvre total. Trois empereurs en sont les maîtres d’œuvre : Kangxi, qui règne de 1661 à 1722, Yongzheng (1722 à 1735) et Qianlong (1735 à 1796).

    Portrait équestre de l’empereur Qianlong, par Giuseppe Castiglione, encre sur soie, 1758. Musée du Palais (Cité Interdite), Pékin.
    Portrait équestre de l’empereur Qianlong, par Giuseppe Castiglione, encre sur soie, 1758. Musée du Palais (Cité Interdite), Pékin. © via Wikipedia

    En 1860, le Palais d’Été est un domaine aussi grand que Central Park à New York : 3,5 km2. Trois jardins s’étendent autour d’un lac nommé Kunming : ceux de " la Clarté parfaite ", " du Printemps éternel " et " élégant de l’été ". Ils sont parsemés de centaines de constructions – pavillons, ponts, temples, galeries, fontaines… – pour la majorité d’architecture traditionnelle chinoise, en bois et tuiles.

    C’est donc le style chinois qui est prépondérant, certaines architectures y rappelant toutefois des territoires éloignés de l’Empire, tel le Tibet et la Mongolie. Environ 5% du domaine est d’esprit occidental, un ensemble de constructions et de jardins dus à des Jésuites !

    Une vue du Palais d’été, avant sa destruction, gravure de Thomas Allom, 1846…
    Une vue du Palais d’été, avant sa destruction, gravure de Thomas Allom, 1846… © via https://www.artelino.com/

    Ainsi, l’italien Giuseppe Castiglione (1688-1706), peintre au service de trois empereurs Qing – il est l’auteur du portrait équestre de l’empereur Qianlong – fera appel à son confrère en religion, le français Michel Benoist pour construire l’ensemble de pavillons en pierre, accompagnés de jardins et de fontaines, connu par la suite sous le nom de " Versailles Chinois ".

    Ce sont ces deux religieux qui, en 1747, construiront à la demande de Qianlong, la merveilleuse fontaine horloge du Zodiaque : toutes les deux heures, selon la tradition chinoise de mesure du temps, l’eau jaillissait de l’une des douze statues à tête animale tandis qu’à l’heure, toutes crachaient simultanément. Les têtes ont été emportées en 1860. Depuis, cinq d’entre elles sont rentrées en Chine, deux autres – le rat et le lapin – acquises à Pierre Berger par François Pinault, les ont rejointes voici quelques années.

    L’extraordinaire fontaine-horloge, au temps de sa splendeur…
    La fontaine-horloge et le pavillon auquel elle était adossée, dans les années 1870…
    L’impératrice Cixi. Getty Images

    Les ruines de l’ancien Palais d’Eté sont ouvertes à la visite, tout comme le Palais d’été reconstruit à proximité par l’impératrice Cixi (ou Tseu-Hi) en 1886… Depuis 2015, une réplique presque totale de l’ancien Palais d’Eté a été ouverte au public à Hendgian, dans la province du Zhejiang, un parc à thème également utilisé par le cinéma.

    Propositions de lectures…

    " La destruction du Palais d’été ", par Maurice d’Irisson, comte d’Hérisson, France-Empire, 2012. L’ouvrage est initialement paru en 1886 sous le titre de " Journal d’un interprète en Chine ".

    " Le sac du palais d’été. Seconde guerre de l’opium ", par Bernard Brizay, éditions du Rocher, 2011.

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