Et Dieu dans tout ça?

Aux sources théologiques de l’écologie

Et dieu dans tout ça ?

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Quels sont les liens entre théologie et écologie ? Quelles sont les sources religieuses de la question écologique et de notre regard sur la nature ? Explications avec le pasteur et théologien Stéphane Lavignotte.


Militant écologiste, Stéphane Lavignotte est coordinateur de la Maison ouverte à Montreuil. Il a consacré plusieurs ouvrages à la question de genre, des minorités et de l’écologie.
Son nouvel essai s’intitule L’écologie, champ de bataille théologique (Ed. Textuel).


 

Le pasteur et théologien Stéphane Lavignotte
Le pasteur et théologien Stéphane Lavignotte © Wikipedia

"Nous sommes tributaires d’une vision de l’homme, du monde et de la nature héritée du christianisme, et notamment de la Genèse, qui tend à faire de l’homme une espèce supérieure, dominante", écrit Stéphane Lavignotte

Mais, dans ce livre, il montre aussi qu’il existe une autre voie à l’intérieur du christianisme, une théologie souterraine qui a nourri l’écologie. Et au-delà de la question de la préservation de l’environnement, elle est l’expression d’un changement d’attitude à l’égard du monde et d’une grande révolution spirituelle qui se cache.

Sommes-nous chrétiens sans le savoir ?

Il y a en effet des principes chrétiens, que Stéphane Lavignotte nomme des théologèmes, derrière nos conceptions du monde : "Nous sommes inspirés et nous avons des visions du monde, des sensations, construites par des siècles qui ont été chrétiens."

L’écologie est souvent présentée par certains détracteurs comme une nouvelle religion.

"Ils n’ont pas tort, dans le sens où, si une religion, c’est se poser des questions sur ce qui est important pour soi, quelles sont mes valeurs, comment j’oriente ma vie, quelle est mon éthique. Si une religion, c’est un rapport à autre chose que la quantité, que consommer, mais c’est le rapport à d’autres niveaux d’existence, à du visible, à du sensuel, à du sensoriel. Alors oui, d’une certaine manière, l’écologie serait une religion, avec peut-être l’absence d’un inconvénient présent dans les religions, qui est l’institution, le pouvoir et tout ce qui peut dériver de cela."

Désacraliser la nature

Dans la Genèse, où Dieu crée l’ensemble du monde, il est écrit que l’humain va être amené à dominer la nature. Or, la réalité de l’époque, c’est que c’est la nature qui domine l’humain, par les famines, les inondations… Cette phrase ne prête donc pas à conséquence, parce qu’elle reflète plutôt une espérance que la réalité.

Mais ces idées vont 'devenir folles' lorsque, plus tard, dans d’autres contextes, elles vont être comprises comme une intention de dominer la nature, explique Stéphane Lavignotte.

Dès la Genèse, il y a une volonté du christianisme de désacraliser la nature. Pourquoi ? Parce que les religions environnantes la sacralisent, tels les Babyloniens qui adorent le soleil et la lune. Le christianisme est, pour sa part, héritier d’une désacralisation venant du judaïsme.

Quand il va se répandre en Europe, il va rencontrer, dans chaque entité naturelle, un esprit qui l’habite, une forme d’animisme, même si ce n’est pas forcément un dieu. Le christianisme va y voir une forme d’idolâtrie et va vouloir y mettre fin.

© Getty Images

La nature à disposition ?

Le christianisme met aussi en avant l’idée qu’il y aura toujours de la nature à disposition. L’écosocialiste allemand Carl Amery pointe la responsabilité de Noé, très contradictoire par rapport à la nature.

Lors du déluge, Noé fait entrer tous les animaux, par couples, dans un grand bateau. Quand il retrouve enfin la terre, Dieu envoie un arc-en-ciel signifiant qu’il n’y aura plus jamais de déluge et donnant un signe d’alliance aux humains et à l’ensemble de la nature. Mais il est dit aussi que la terre sera toujours entièrement à la disposition de Noé et que les animaux auront toujours peur de l’humain.

"On voit bien le côté dialectique et contradictoire des textes bibliques et on voit bien que la terre toujours à disposition peut être un danger, quand c’est par exemple Christophe Colomb qui découvre l’Amérique", souligne Stéphane Lavignotte.

'Le moment Calvin'

Le protestantisme bouscule l’Europe, à partir de la Renaissance. Avec Calvin, il y a une invitation à la sobriété. Stéphane Lavignotte parle d’un 'moment Calvin', qui est l’un des premiers à faire un geste moderne en brisant la vision du Moyen Âge. Pour lui, il n’y a pas de divinités dans la nature, et en cela il prépare sans doute le modernisme et l’exploitation de la nature, même s’il cherche encore dans la beauté de la nature des signes de Dieu.

De cette contemplation naît une responsabilité qui passe justement par la sobriété. De Calvin, on a souvent une image de triste sire, […] mais d’un autre côté, il invite à profiter de la nature. Là, il y a réellement un entre-deux qui aurait pu faire une autre voie que celle dans laquelle nous sommes aujourd’hui.

Comment maintenir le monde ouvert ?

Stéphane Lavignotte est inspiré par la pensée du philosophe Jacques Ellul, qui est obsédé par la fermeture du monde par la technique. Maintenir le monde ouvert, c'est d'abord dire des choses en contradiction avec la doxa, l'évidence, la vérité du monde. Mais ce n'est pas simplement le dire, c'est aussi l'incarner, le vivre.

L’un des liens entre les premiers chrétiens et le mouvement écologiste, c’est d’avoir voulu incarner une vision du monde, une critique du monde, à travers des modes de vie, observe Stéphane Lavignotte. Les premiers chrétiens, ce sont des communautés qui essaient de vivre différemment du reste du judaïsme, puis de la société romaine, à leurs risques et périls.

"Ça brise le consensus, ça maintient ouvert et ça oblige ce qui se referme à ne pas se refermer et à changer."

Responsabilité et développement durable

Le développement durable a également une source théologique.

Dominer la terre, jusqu’aux années 1960, se comprend par la théologie de la technique, qui veut que le rôle de l’humain soit de maîtriser la nature. On voit vite que l’avenir des sociétés industrielles va dans le mur.

Une relecture des textes souligne alors que le verbe 'dominer' veut dire aussi exploiter un territoire de manière responsable pour en rendre des comptes au seigneur plus puissant, et, en l’occurrence, à Dieu. Dès 1974, naît de cette idée le terme de 'développement durable'.

Par un phénomène de laïcisation, de sécularisation, on va alors passer de la responsabilité devant Dieu à la responsabilité devant les générations suivantes et devant les pays du sud.

Vers l’apocalypse ?

Dans ce monde fou, comment ne pas céder à l’angoisse, à l’idée que tout est foutu ? L’apocalypse est très présente dans les débats. Elle est comprise comme une fin du monde catastrophique, qui surviendra si on ne change pas de voie.

Mais 'apocalypse', dans la théologie, a deux autres sens, précise Stéphane Lavignotte.

Le mot a d’abord le sens de 'dévoiler', 'dévoiler la vérité'. C’est un moment de vérité pour nos sociétés : qu’est-ce que nous voulons vraiment ? Qu’est-ce qui est vraiment important pour nous ? Qu’est ce qui nous fait du bien ou nous fait du mal ?

Dans le christianisme, et auparavant dans le judaïsme, l’apocalyspe, la fin des temps, c’est un moment heureux. C’est l’idée que va s’installer le royaume, autre chose que ce qui se vit aujourd’hui : dans la Bible, un pays de justice, de lait, de miel, et dans les textes du prophète Esaïe, un moment de réconciliation.

Et donc, saisir ce triple sens de l’apocalypse, c’est ne pas céder uniquement à l’inquiétude qui nous envoie une responsabilité, qui nous amène à la responsabilité pour agir.
Mais c’est dire qu’il y a autre chose de possible, autre chose de meilleur, et que les changements que nous allons faire ne sont pas des contraintes, que ce n’est pas quelque chose qu’il faut subir.

​​​​​​​C’est une stratégie sans regrets parce qu’elle peut nous emmener vers une vie dont nous avons vraiment envie.

>> Dans la suite de l’entretien, Stéphane Lavignotte nous explique comment changer d’imaginaires.

(Photo podcast ©Charlélie Marangé)

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