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"Avec ces plaques serbes, je peux voyager partout dans le monde" : à Mitrovica, Serbes et Albanais du Kosovo espèrent un accord sur les plaques d’immatriculation

Des bus partent toutes les demi-heures vers Mitrovica au Kosovo, depuis la gare routière de Belgrade en Serbie.

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Les noms cités dans cet article ont été modifiés, les personnes interrogées n'ont pas souhaité paraitre sur les photos.

La voiture s’arrête au poste frontière de Mutivoda à l’Est du Kosovo, direction la Serbie. Au volant du véhicule, Fitim est albanais. Assise à côté de lui, Kristina est membre de la minorité serbe du Kosovo. Fitim présente sa carte d’identité kosovare. Kristina présente deux cartes d’identité. L’une indique son lieu de provenance, "Kosovska Mitrovica", une ville située au nord du Kosovo, près de la frontière serbe. L’autre est un document kosovar.

"Kosovska Mitrovica" est le nom que la Serbie continue de donner à "Mitrovica", Belgrade n'ayant jamais reconnu l'indépendance autoproclamée en 2008, de son ancienne province. Pristina impose désormais le nom de "Mitrovica".

Alors par précaution, Fitim et Kristina ont apporté leurs deux passeports, Kosovar et Serbe. Le contrôle au poste frontière n’a duré que quelques minutes. "Vous devez mettre les stickers", ordonne l’agent à Fitim. "Il y a un parking là-bas, où vous pouvez vous arrêter pour les coller".

L’agent de poste-frontière demande à Fitim de mettre des stickers blancs sur la plaque d’immatriculation pour cacher tous les signes faisant référence au Kosovo, le drapeau et les initiales RKS pour République du Kosovo. Un peu comme un cache sexe.

"Nous avons passé la frontière !", se réjouit Kristina, soulagée que Fitim soit entré en Serbie sans encombres.

Fitim et Kristina n’ont présenté que leurs cartes d’identité respectives. Ces facilités administratives sont valables dans les deux sens, tant pour les Serbes que pour les Albanais.

"Avant l’accord, lorsque je devais aller en Serbie, je devais présenter ma carte d’identité kosovare et je devais en plus, attendre de recevoir un document indiquant que j’entrais en Serbie", explique Fitim. "C’était un droit d’entrée valable pour deux mois. Je devais mettre aussi ces stickers blancs sur ma plaque d’immatriculation".

Toute personne qui refuse de coller ces stickers, est passible d’une amende de 60 euros. Une somme considérable quand on sait que le salaire moyen au Kosovo est de 500 euros.

La voiture s’arrête au poste frontière de Mutivoda à l’Est du Kosovo, direction la Serbie.
La voiture s’arrête au poste frontière de Mutivoda à l’Est du Kosovo, direction la Serbie. © Tous droits réservés

Les tensions au Nord du Kosovo ont repris fin juillet, à la frontière avec la Serbie. La minorité serbe du Kosovo a protesté violemment en érigeant des barricades, après que Pristina avait décidé d’imposer de nouvelles règles frontalières. Ces Règles devaient entrer en vigueur le 1er septembre.

Finalement, la Serbie et le Kosovo - avec la médiation de l’Union européenne - ont trouvé un accord sur la liberté de circulation entre les deux pays. Mais pas sur les plaques d’immatriculation.

Belgrade exige que les signes kosovars soient cachés. Pristina impose aux Serbes du Kosovo de remplacer les plaques serbes KM (Mitrovica Kosovska) de leur véhicule par des plaques kosovares RKS (République du Kosovo).

Car ces plaques avec les initiales KM, pour "Kosovska Mitrovica", ne sont pas reconnues au Kosovo, en dehors des quatre communautés serbes au nord du pays.

Les deux chefs d’Etat se sont donné jusqu’au 31 octobre pour trouver un compromis.

Les plaques d’immatriculation avec les initiales « KM », pour « Kosovska Mitrovica », ne sont pas reconnues au Kosovo, en dehors des quatre communautés serbes au nord du pays.
Les plaques d’immatriculation avec les initiales « KM », pour « Kosovska Mitrovica », ne sont pas reconnues au Kosovo, en dehors des quatre communautés serbes au nord du pays. © Tous droits réservés

Est-ce si facile de changer les plaques serbes en plaques kosovares ? Les Serbes du Kosovo sont-ils prêts à le faire ?

Les informations sont disponibles au bureau d’enregistrement des véhicules, à la municipalité de Mitrovica-Nord. Les procédures administratives sont inscrites sur une brochure en serbe et en albanais. 

Il suffit de fournir six documents, dont un permis de conduire, une carte d’identité kosovare ou encore un certificat d’assurance. "C’est très simple ! Ça prend dix minutes… et les gens ont deux mois pour le faire", explique un agent. Les Serbes du Kosovo ont jusqu’au 31 octobre pour changer leur plaque d’immatriculation.

Une fois sortie des bureaux de la municipalité, Kristina nuance. "Il y a cependant un problème avec les personnes qui n’ont qu’un permis de conduire serbe. Si elles ne l’ont pas échangé par le passé avec un permis kosovar, elles n’ont plus la possibilité de le faire aujourd’hui… Donc, nous ne savons pas si elles auront l’autorisation de conduire avec ce permis serbe, quand bien même elles auront des plaques kosovares… La seule solution, c’est de repasser le permis. Nous verrons bien ce qui se passera…"

Pristina menace de confisquer le véhicule à tous ceux qui refusent de changer les plaques. Ce qui laisse craindre des violences après le 31 octobre. "Officiellement, il n’y a pas d’appel au boycott, mais la majorité veut garder les plaques serbes", explique Kristina. "Nous verrons bien", ajoute-t-elle encore prudente.

Pas d’appel au boycott officiellement, mais bien une pression exercée par la communauté serbe du Kosovo. "Je sens une pression, parce que je ne veux pas qu’on me voie parmi les premiers à échanger ma plaque serbe contre une plaque kosovare", explique Milan. "J’attends aussi les instructions de Belgrade, et j’attends de voir ce que font les Serbes de la communauté ici".

Goran est un commerçant de Mitrovica nord, un serbe du Kosovo. Pour importer sa marchandise, il est souvent amené à voyager, notamment en Serbie. Lui, refuse de changer ses plaques d’immatriculations.
Goran est un commerçant de Mitrovica nord, un serbe du Kosovo. Pour importer sa marchandise, il est souvent amené à voyager, notamment en Serbie. Lui, refuse de changer ses plaques d’immatriculations. © Tous droits réservés

Goran est un commerçant de Mitrovica-Nord, un Serbe du Kosovo. Pour importer sa marchandise, il est souvent amené à voyager, notamment en Serbie. Lui, refuse d'échanger ses plaques d’immatriculations KM par des plaques RKS.

"Avec ces plaques serbes, je peux voyager partout dans le monde. Elles ne sont pas illégales. Je peux aller en Belgique, en France, en Italie, en Bosnie… Je peux aller partout en Europe, sauf au Kosovo. A l’inverse, avec des plaques kosovares, je ne peux pas aller partout ! Je ne peux pas aller en Bosnie, en Roumanie. Si je veux aller en Grèce, je peux y aller : mais avec des plaques kosovares, je dois payer une assurance qui coûte environ 200 euros. C’est donc beaucoup plus compliqué de circuler avec des plaques kosovares qu’avec des plaques serbes !"

A ce jour, cinq pays de l’UE ne reconnaissent pas l’indépendance du Kosovo : l’Espagne, Chypre, la Grèce, la Slovaquie et la Roumanie. Il y a aussi la Chine, la Géorgie, la Moldavie, la Russie et donc la Serbie.

Goran espère qu’un accord entre Belgrade et Pristina tombera d’ici le 31 octobre. "Une fois, alors que j’avais acheté de la marchandise en Serbie, j’ai présenté au poste-frontière des papiers, sur lesquels était indiqué que cette marchandise allait à "Kosovska Mitrovica", raconte-t-il. "L’agent a déclaré que le document était illégal. Je suis retourné en Serbie, j’ai expliqué le problème. J’ai demandé de réécrire le document avec le nom "Mitrovica". Ils l’ont fait. Je suis revenu avec, mais à la frontière, ils ont quand même refusé. J’ai dû rendre toute la marchandise à Belgrade. Tout ça m’a coûté 500 euros".

"Et donc petit à petit, les gens ont commencé à faire de la contrebande", ajoute Goran. "Je fais de la contrebande ! C’est plus cher pour moi, c’est plus compliqué, ça peut me poser des problèmes à l’avenir, mais je n’ai pas d’autres solutions. Quand je veux le faire légalement, je suis empêché. Donc la seule façon de survivre, de travailler, est de trouver des voies illégales. Je n’en suis pas fier, j’aimerais emprunter des voies légales, si c’était possible. Mais actuellement, les institutions qui sont supposées m’aider me poussent à être dans l’illégalité".

Sofia est albanaise, elle vit à Mitrovica Sud. Elle travaille pour New Social initiative, une ONG qui œuvre à la réconciliation entre les communautés.
Sofia est albanaise, elle vit à Mitrovica Sud. Elle travaille pour New Social initiative, une ONG qui œuvre à la réconciliation entre les communautés. © Tous droits réservés

Sofia est albanaise, elle vit à Mitrovica-Sud. Elle travaille pour New Social initiative, une ONG qui œuvre à la réconciliation entre les communautés. "Nous avons des programmes qui promeuvent le multiculturalisme, le multilinguisme. Nous avons des projets avec des influenceurs pour essayer de promouvoir les narratifs positifs. Nous organisons des activités entre communautés", explique-t-elle un peu lasse avant d’avouer : "Je vais être honnête avec vous. Je ne peux pas dire que nous œuvrons pour la réconciliation et que la réconciliation se fait ! Ce n’est vraiment pas facile".

En général, Sofia évite de se promener autour du pont qui sépare la ville en deux, Mitrovica-Nord et Mitrovica-Sud. Plus de vingt après la guerre, ce pont qui a été un lieu d’exactions – en majorité contre des Albanais – a encore une charge symbolique très forte.

A Mitrovica-Nord, 95% de la population est serbe, orthodoxe. Beaucoup sont pro-russes. On n’y parle que le serbe. Le dinar y circule plus que l’Euro. Tandis qu’à Mitrovica-Sud, la population est albanaise, musulmane, pro-européenne. On n’y parle que l’albanais. Seul l’Euro y circule. Chaque communauté a sa propre municipalité. A part l’ancienne génération, très peu parlent les deux langues.

"Pour moi, travailler au Nord, ce n’est pas la chose la plus facile à faire", explique Sofia. "A chaque fois que quelque chose arrive, par exemple avec ces récents événements sur les plaques d’immatriculation, mes parents et moi sommes inquiets pour notre sécurité".

La minorité serbe (6% dans le pays) reste largement fidèle à Belgrade dont elle dépend financièrement. Belgrade finance l’éducation, la pension, la santé, la plupart des emplois. Tandis que la police, la justice et la protection civile, sont sous l’autorité de Pristina. Mais la minorité refuse de reconnaître la souveraineté du Kosovo.

La tension est palpable autour du pont qui sépare Mitrovica nord de Mitrovica sud. « Vous pouvez avoir des problèmes si vous restez là », interrompt soudainement un agent de police. « Vous ne devez pas rester là ! Vous ne devez pas vous rassembler ici ! C
La tension est palpable autour du pont qui sépare Mitrovica nord de Mitrovica sud. « Vous pouvez avoir des problèmes si vous restez là », interrompt soudainement un agent de police. « Vous ne devez pas rester là ! Vous ne devez pas vous rassembler ici ! C © Tous droits réservés

Que pense-t-elle de ces nouvelles règles administratives, comme le changement de plaques d’immatriculation ? "C’est légitime", avance-t-elle sans hésiter. "Depuis l’accord de 2013, nous savons que le processus est censé se mettre en place. Au Kosovo, il ne doit y avoir que des plaques RKS, et ça, c’est ce que la Serbie et le Kosovo ont conclu à Bruxelles. Mais, les modalités peuvent être différentes".

"Vous pouvez avoir des problèmes si vous restez là !", interrompt soudainement un agent de police sur le pont qui sépare Mitrovica en deux. "Vous ne devez pas rester là ! Vous ne devez pas vous rassembler ici ! Circulez !", ordonne-t-il.

Des policiers patrouillent en permanence sur le pont. La tension est palpable. Les Albanais estiment que les Serbes du Kosovo doivent se plier aux règles de Pristina. Les Serbes, eux, estiment que "Pristina ne connaît pas la réalité du terrain". Chacun espère qu’un accord tombera d’ici le 31 octobre, pour éviter de retomber dans la violence. L'Otan se dit prête à renforcer ses troupes au Kosovo (3770 soldats), si la situation venait à s'aggraver.

Reportage à écouter dans l'émission Transversales sur La Première.

Transversales

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