Les Grenades

Avenir incertain pour l’emblématique L-Festival, le festival belge des fiertés lesbiennes, bi et trans

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Par Camille Wernaers pour Les Grenades

Ce 20 octobre, la RainbowHouse annonçait sur Facebook la fin du L-Festival, un événement lancé il y a 10 ans et consacré aux femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres (LBT).

La RainbowHouse, qui rassemble de nombreuses associations francophones et néerlandophones LGBTQIA +, explique dans son post que son rôle de coupole vise "à organiser la synergie et à représenter toutes les identités, et pas une en particulier. De plus, nous pensons que les identités lesbiennes méritent d’être représentées tout au long de l’année, et pas juste pendant quelques jours."

Le texte continue : "La maison/fédération avait endossé ce rôle parce qu’il n’existait pas, alors, d’association dédiée aux publics lesbiens qui puisse ou veuille organiser ce festival. Il existe maintenant plusieurs associations qui s’adressent à ce public. La fédération souhaite se retirer de ce projet et redéployer ses ressources vers d’autres missions." La RainbowHouse lance un appel pour que des associations de terrain reprennent le festival afin d’assurer sa survie.

Nous sommes prêts à apporter tout notre soutien pendant plusieurs années s’il le faut pour que le festival perdure. C’est une main tendue

"Je suis bouche bée"

Plusieurs personnes ne semblent pas adhérer à ces explications et ont réagi sous la publication. "C’est l’événement qu’une myriade de personnes attend toute l’année… je suis bouche bée", peut-on lire. "Sous-financer les lesbiennes, c’est appauvrir des personnes qui vivent déjà une double discrimination. Les effacer du secteur culturel, c’est augmenter leur isolement social et psychologique ", écrit une autre. "Pourriez-vous nous dire quelles associations organisent des événements semblables ? Il n’en existe pas", questionne encore une autre personne.

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Des personnes qui collaborent avec la RainbowHouse regrettent également cette décision. "Il y a besoin d’un espace dédié aux femmes au sein de la RainbowHouse et c’est tout à fait le rôle d’une coupole de l’organiser, précise l’une d’entre elles. Car le L-Festival rassemble justement un public très différent, celui de différentes associations-membres. Elles ont des âges différents, des classes sociales différentes. On vient au festival pour débattre, assister à conférences et aussi pour faire la fête après. C’est très diversifié. Aucune association ne pourra porter seule un tel événement de 10 jours. C’est incompréhensible !"

Une collaboratrice insiste : "Il y a beaucoup moins de lieux de sociabilité pour les femmes lesbiennes, bisexuelles et transgenres que pour les hommes homosexuels qui disposent de nombreux bars. A Bruxelles, nous n’en avons qu’un seul, le Crazy Circle ! Ce sont des lieux qui ont moins de moyens, qui ont du mal à survivre. D’où l’importance du L-Festival pour cette communauté."

"La communauté lesbienne est invisibilisée et précarisée"

Anne-Sophie Sonnet a créé l’association Pullet Rocks, qui fait partie de la RainbowHouse et qui soutient le travail des musiciennes depuis sa création en 2013. "Nous avons très vite collaboré avec le L-Festival et c’était très important pour nous, en termes de visibilité. Le festival brasse un public bien plus large que nos événements, les artistes qui s’y produisent sont correctement rémunérées. Cela participe, selon moi, au soutien qu’une association-coupole peut apporter à ses membres. Le festival prenait justement de plus en plus d’ampleur ! Je suis déçue et dégoûtée !", explique-t-elle aux Grenades.

Elle a été "choquée" par certains arguments avancés par la RainbowHouse : "Dire qu’une autre association doit reprendre le flambeau, c’est du foutage de gueule ! Nous n’avons pas de moyens, ni financiers, ni matériels pour nous en occuper.Il est évident que la communauté lesbienne est invisibilisée et précarisée. C’est un public fragile qui a besoin de visibilisation."

Sous-financer les lesbiennes, c’est appauvrir des personnes qui vivent déjà une double discrimination

"Cela ne m’étonne pas tellement qu’il soit supprimé au vu de la situation en interne. En tant qu’association-membre, nous sommes présentes aux assemblées générales et on peut constater une certaine déstructuration de l’équipe, qui pose question surtout à certaines associations féministes qui font partie de la RainbowHouse. Le L-Festival aurait pu redorer le blason de la maison, ils se sont tiré une balle dans le pied", observe-t-elle.

Une autre personne se questionne : "Ils ont décidé de chercher à tout prix la rentabilité, au détriment du bien-être des travailleuses et travailleurs. Est-ce que l’important maintenant, ce sera les moyens, et non l’humain ?"

"Nous ne souhaitons pas la fin du L-Festival"

De son côté, Marie-Louise Chenois, co-présidente du conseil d’administration de la RainbowHouse, soutient que plusieurs raisons justifient l’arrêt de l’organisation du festival. "D’abord, il y a la question de la santé de l’équipe, qui est surmenée. Il y a des burn out et des situations de stress. Un tel festival se programme pendant des mois. Nous avions aussi pris ce rôle car aucune autre association ne pouvait le faire. Nous ne souhaitons pas la fin du L-Festival, c’est pour cela que nous avons lancé un appel pour qu’il puisse être relancé par une ou plusieurs associations et nous sommes prêts à apporter tout notre soutien pendant plusieurs années s’il le faut pour que le festival perdure. C’est une main tendue."

Elle s’étonne des réactions exprimées à la suite du communiqué posté sur Facebook. "Je vois surtout beaucoup d’attaques personnelles. Cette décision a pourtant été actée en AG au mois de septembre, les associations étaient présentes et auraient pu réagir à ce moment-là. Ces réactions s’expriment parce que nous avons souhaité être transparents et communiquer, justement."

Quant à l’invisibilisation des lesbiennes : "C’est assez paradoxal de nous reprocher ce genre de choses, puisque je suis moi-même lesbienne, c’est également le cas de l’autre présidente, Hilde De Greef", répond Marie-Louise Chenois. Par rapport à la méfiance de certaines associations féministes, la co-présidente dit "comprendre" et estime qu"un maximum de choses ont été faites en interne à ce sujet."

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"Nous souhaitons travailler sur les violences institutionnelles, et donc réorienter nos activités vers cette problématique. J’en ai moi-même vécues, ce sont des violences très pernicieuses. Nous voulons créer des formations, notamment à destination des entreprises. Il faut se libérer du temps pour le faire", explique Marie-Louise Chenois. "Et je tiens à dire qu’il est plus facile de critiquer de l’extérieur. Si des personnes veulent amener de nouvelles réflexions, changer les équilibres dans la RainbowHouse, la porte du CA leur est ouverte. Nous avons beaucoup de mal à trouver des gens pour entrer dans le CA de l’association. Par ailleurs, nous ne coupons pas la communication, il est possible de nous contacter de différentes façons en cas de questions."

Une nouvelle publication a été postée le 8 novembre par la RainbowHouse sur la page du L-Festival, dénonçant la "désinformation" qui circule autour de l’annulation de l’événement. Une pétition a depuis été lancée pour sauver le L-Festival.

Quelle visibilité pour les personnes LGBTQIA + – Les Grenades, série d’été

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Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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