Balle pelote : un patrimoine en (grand) danger que le nouveau boss Sébastien Potiez veut sauver

Sébastien Potiez, le nouveau président de la "Fédération des Jeux de Paume Wallonie-Bruxelles", a longtemps joué en Division 1 de balle pelote. Il reste également un tout bon joueur de "one wall", cette discipline à la mode importée des USA.

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Livrée, chasse, tamis, outre, cordier, foncier, petit-milieu, grand-milieu, rechas, contre-rechas… son vocabulaire particulier et ses règles obscures font de la balle pelote une discipline qui n’attire pas. Du moins, qui n’attire plus car, jusqu’à la fin du vingtième siècle, elle possédait un réel pouvoir d’attraction dans nos campagnes. Moins de joueurs, moins de spectateurs, moins de couverture médiatique… Le sport ballant, véritable pan de notre patrimoine, se meurt et il est urgent d’agir. Le sud du pays comptait encore 350 clubs en 1990, 165 en 2000, 158 en 2010…  113 aujourd’hui, inégalement répartis entre les provinces de Namur (un peu) et du Hainaut (beaucoup).

Après une saison 2020 tronquée par le coronavirus, les passionnés ont assisté cette année à la domination de Kerksken en championnat. Ils ont apprécié la régularité de Dimitri Dupont, sacré Gant d’or. Et ils ont découvert le talent d’Ese De Moor, élu meilleur jeune de la compétition.

En juin dernier, la " Fédération des Jeux de Paume Wallonie-Bruxelles " (NDLR: la FJPWB) a procédé à ses traditionnelles élections, des élections retardées à cause de la crise sanitaire. Une grande partie du Conseil d’administration a été renouvelé et surtout, un nouveau président a été désigné. Exit le pondéré Nivellois Léo Bauters remplacé par le Hennuyer (NDLR : il habite Thieulain, dans l’entité de Leuze-en-Hainaut) Sébastien Potiez, 47 ans, ancien international toujours actif en Division 2 à Tourpes et co-fondateur du " One Wall Killshot Club ".

Potiez est-il le sauveur du jeu de balle ? À l’ère du smartphone et des sports virtuels, croit-il vraiment pouvoir attirer les plus jeunes sur les ballodromes ? Peut-il faire de la balle pelote un sport 2.0 ? Mort inéluctable ou miracle envisageable ? Entretien à bâtons rompus avec un quadra motivé, passionné, intelligent et posé. Un boss de fédé qui souffre dans sa chair de voir la discipline de son cœur sombrer dans l’anonymat. Un " enfant de la balle " qui veut rendre à la " balle " ce que la " balle " lui a donné.

Sébastien, on vous connaît comme joueur, comme entraîneur de jeunes, comme dirigeant de club. Et vous voilà désormais avec une quatrième casquette, celle de président de fédération. Pourquoi ?

" J’ai un peu suivi l’exemple de Guillaume Dumoulin, qui avait senti en tant que joueur que son sport allait mal et qu’il devait s’investir. Je ressentais, moi aussi, cette obligation de m’engager pour sauver notre sport ou, du moins, pour pouvoir continuer à me regarder dans un miroir. Le sport ballant va mal et je veux changer cette situation. J’ose dire les choses, je me permets de critiquer ce que je connais. Je ne parle pas des domaines que je ne maîtrise pas. Mais là, la balle pelote, c’est une discipline que je connais de l’intérieur, je vois depuis longtemps ce qui ne va pas, ce qui doit être amélioré. Dans la foulée de mon élection au poste de président, nous avons directement, avec l’équipe mise en place, pris le taureau par les cornes et bossé dans le bon sens. "

Entrons-nous dans une nouvelle ère ?

" On devait opérer des changements que les dirigeants précédents n’ont peut-être, je dis bien peut-être, pas osé faire. On s’attendait à se prendre une volée de bois vert. On savait qu’on commettrait quelques erreurs de jeunesse. On a beaucoup discuté avec les anciens déjà présents au Conseil d’administration et avec les nouveaux venus, et on a lancé des réformes sur des sujets sensibles. Ça déplaît sans doute à certains mais celui qui n’évolue pas est amené à mourir ! Nous devons donc évoluer et aller vers quelque chose de neuf. "

Jouer au cœur des villages a son charme ! Mais il faut malgré tout faire évoluer les mentalités, sans pour autant délocaliser les terrains et aller jouer dans des stades ! On doit changer certaines règles pour amener notre discipline vers l’ère moderne.

Sans tomber dans la caricature, la balle pelote est un sport très, voire trop accroché aux églises et aux places de villages. Quand on y parle de réformes, on déclenche souvent des guerres de clochers. Difficile d’imaginer des changements dans un tel contexte…

" Jouer au cœur des villages a son charme ! Très peu de sports se pratiquent au pied de l’église. Nous, on a cette chance-là. Mais il faut malgré tout faire évoluer les mentalités, sans pour autant délocaliser les terrains et aller jouer dans des stades ! On doit changer certaines règles, certains modes de fonctionnement, pour amener notre discipline vers l’ère moderne. "

Six mois après votre élection, quel premier bilan tirez-vous ? Vous ne m’avez pas l’air découragé, en tout cas…

" Je suis assez satisfait des premiers mois, oui. Même si ça n’a pas été facile. Nous avons directement lancé un premier gros défi compliqué avec la réforme des championnats : diminuer le nombre d’équipes de la Nationale 1 à la Régionale 3, du plus haut échelon au plus bas, pour augmenter l’attrait des compétitions et essayer de les équilibrer un peu. On a trop souvent vu des équipes qui écrasaient leur division face à des adversaires qui coulaient dès les premières luttes. Nous allons également bientôt lancer les séries géographiques. On va faire, là aussi, grincer des dents. Mais nous sommes prêts à entendre toutes les critiques car c’est un mal nécessaire. "

Preuve de votre investissement total, vous jouez encore, vous entraînez, vous promotionnez le " one wall "… Bref, vous arrive-t-il de dormir ?

" Oui oui même si je ne dors pas très bien ! Mais bon, je ne dormais pas très bien non plus avant de m’investir donc ça ne change rien. Je continue de jouer temps que la santé me le permet parce que j’aime mon sport, j’aime l’ambiance des vestiaires, j’aime la convivialité du jeu de balle… qui me rend bien toutes mes heures d’investissement. Je ne me dis jamais que c’est lourd à porter car j’ai de bons retours. "

Ce n’est pas en seulement six mois de présidence qu’on peut sauver le monde ! Il faut aller chercher les jeunes. Si on ne ramène pas aujourd’hui de nouveaux pratiquants, dans dix ans plus aucun adulte ne jouera à la balle pelote… On ne retrouvera pas l’engouement des années 80’. Mais on veut sauver notre sport.

Sébastien Potiez est un formateur dans l'âme. Il sait que la salut du jeu de balle passera par les jeunes qu'il veut donc attirer... et surtout garder!
Sébastien Potiez est un formateur dans l'âme. Il sait que la salut du jeu de balle passera par les jeunes qu'il veut donc attirer... et surtout garder! © Tous droits réservés

Quand vous jouez, quel est le regard des adversaires, de l’arbitre, du public envers le président de la Fédération ?

" Le lendemain de l’élection, je disputais une lutte importante avec mon équipe. Nous avons gagné et le lendemain, j’ai lu dans un journal que les troupes du président Potiez avaient remporté le match au sommet… Je me suis permis d’appeler le journaliste pour une mise au point : quand je suis sur le terrain, je suis un joueur comme les autres ! Je sais faire la part des choses et il n’y a aucun avantage pour les équipes avec lesquelles je joue ou que j’entraîne. Dans mon costume de président, je défends le sport en général. Quand je suis sur le ballodrome, je défends mon équipe. Quand je coache les jeunes, je le fais le plus objectivement possible. Et quand je dois prendre des décisions en tant que président, je le fais avec une totale correction. "

On entend souvent des discours alarmistes concernant, soyons clairs, la survie de la balle pelote. Êtes-vous inquiet ?

" Oui ! Ce n’est pas en seulement six mois de présidence qu’on peut sauver le monde ! Il reste beaucoup de choses à faire. Il faut améliorer le niveau général. Il faut aussi aller chercher les jeunes. Si on ne ramène pas aujourd’hui de nouveaux pratiquants, dans dix ans plus aucun adulte ne jouera à la balle pelote… "

Et donc, la balle pelote sera morte ?

" Hélas oui ! On doit donc recruter et faire en sorte que les gamins qui découvrent la balle pelote aient envie de continuer. Si on en amène cent mais que quatre-vingts partent vers d’autres sports quelques mois ou années plus tard, on ne sauvera pas le jeu de balle. Il faut trouver un moyen de les garder en leur proposant notamment d’autres jeux de paume. La balle pelote est le choix traditionnel mais il y a aussi le " one wall ", le " firstball " que Guillaume Dumoulin a créé, ou encore l’" indiaca " qui vient d’intégrer notre fédé. Ces trois disciplines peuvent attirer les jeunes vers la balle pelote en particulier et vers l’ensemble des jeux de paume en général. Mais rendons-nous à l’évidence : on ne retrouvera pas l’engouement des années 80’ quand la balle pelote connaissait un gros succès populaire. À l’époque, il ne fallait pas chercher de nouveaux adhérents… les jeunes jouaient soit au foot, soit à la balle pelote, car il y avait des clubs dans quasiment chaque village. Désormais, les enfants ont tellement de choix ! On ne reviendra pas en arrière, on ne revivra pas les belles années, mais on veut sauver notre sport. On devait identifier les problèmes, c’est fait. Et il faut oser s’y attaquer en défonçant parfois des portes et en faisant des mécontents. La seule solution pour y arriver, c’est d’affronter ce qui ne va pas de face. "

Beaucoup de gens pensent encore que qu’on se retrouve au café avant, qu’on joue notre match et qu’on retourne au café après. Non non non ! La balle pelote, c’est bien d’autre choses que ça ! Vous savez, la troisième mi-temps existe dans tous les sports.

La Namurois Benjamin Dochier, sept fois "Gant d'or", onze fois champion avec Kerksken, a longtemps été le porte-drapeau de la balle pelote belge. La discipline a besoin de "stars" comme lui pour exister auprès du grand public et sortir de l'anonymat.
La Namurois Benjamin Dochier, sept fois "Gant d'or", onze fois champion avec Kerksken, a longtemps été le porte-drapeau de la balle pelote belge. La discipline a besoin de "stars" comme lui pour exister auprès du grand public et sortir de l'anonymat. © JPL

L’un des plus gros soucis de la belle pelote n’est-il pas son image auprès du grand public qui a plutôt tendance à en rire ?

" C’est évidemment un vrai problème ! Beaucoup de gens pensent encore que c’est un sport de village, qu’on se retrouve au café, qu’on joue notre match et qu’on retourne au café. Non non non ! La balle pelote, c’est bien d’autre choses que ça ! Vous savez, la troisième mi-temps existe dans tous les sports. Nous sommes un sport à part entière et nous devons tout faire pour attirer les jeunes grâce à nos disciplines parallèles, des disciplines plus modernes capables de faire évoluer notre image. Ne restons pas enfermés dans la seule balle pelote alors que notre fédération chapeaute quatre jeux différents qui peuvent, en plus, nous aider à féminiser notre univers traditionnellement plus masculin. "

Pendant cette interview, vous n’avez pas employé une seule fois le mot " covid ". Vous ne l’utilisez donc pas comme excuse pour justifier la diminution du nombre de pratiquants. Néanmoins, on imagine que la crise sanitaire a malgré tout fait des dégâts dans le monde ballant…

" Malheureusement oui… En 2020, nous n’avons organisé aucun championnat officiel. Certains joueurs qui, depuis vingt ans, prenaient leur sac tous les week-ends pour aller jouer à la balle pelote, ont pris goût aux dimanches en famille, aux barbecues, aux après-midis à la mer… et ont décidé de stopper leur carrière. Ils ont découvert la vie sans balle pelote et ont perdu la passion. C’est l’un des effets de la crise sanitaire. Malgré tout, nous avons la chance d’être un sport d’extérieur. Les plus jeunes ont pu continuer la pratique. Mais il ne faut pas deux ou trois années covid de suite car la marche arrière serait impossible… "

La dernière question monsieur le président : quel est votre rêve ?

" Je ne sais pas combien de temps je vais occuper ce poste mais, qu’importe que je sois réélu ou non, j’aimerais que d’ici quatre ans, à la fin de mon mandat, la courbe descendante devienne une courbe ascendante. J’espère plus d’affiliés, plus de spectateurs attirés par des changements de règlement efficaces ou par des séries plus attrayantes. Je veux rendre de l’attrait et rendre aussi du plaisir aux joueurs sur les terrains. "

Dans une société qui, depuis quelques années, valorise la nature, le patrimoine et la ruralité, la balle pelote a peut-être encore un rôle à jouer. Le président Potiez et son équipe vont tout faire pour nous le prouver.

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