Monde

Barricades dans le nord du Kosovo, police serbe mobilisée : risque d’escalade ou grand théâtre de la part de Belgrade ?

Une barricade à Rudare près de Zvecan.

© Armend NIMANI - AFP

Temps de lecture
Par Jean-François Herbecq

"Le Kosovo est au bord du conflit armé": c’est la Première ministre serbe qui lance ce sérieux avertissement. Mais faut-il craindre que ces nouvelles tensions dégénèrent ou est-on face à un nouvel épisode de musculation entre Belgrade et Pristina ?

La guerre des plaques minéralogiques

En tout cas, le Kosovo est à nouveau en ébullition. Avec 1,8 million d’habitants, à 90% albanais et musulmans, le pays montagneux enclavé entre la Serbie, le Montenegro, l’Albanie et la Macédoine du Nord a acquis son indépendance en 2008 après la guerre de 1999, mais celle-ci n’est reconnue ni par la Serbie ni par la Russie. Les précédentes tensions sont dues à la volonté du Kosovo de ne plus autoriser les plaques minéralogiques serbes pour les habitants de sa minorité serbe.

Les 30.000 Serbes – un tiers de la minorité serbe du Kosovo - qui vivent dans le secteur nord du pays, celui de Mitrovica, n’acceptent pas l’autorité du pouvoir kosovar à majorité albanaise. C’est dans ce petit territoire collé à la Serbie et qui vit à l’heure de Belgrade que se cristallisent les tensions. Enseignants, retraités, sont rémunérés par la Serbie. Dans les faits, la zone échappe au contrôle de Pristina.

Cette fois, c’est l’arrestation d’un ancien policier de la minorité serbe qui ravive les tensions. Un ancien agent soupçonné de l’attaque d’un bureau électoral à Mitrovica dans la partie nord du Kosovo. Les autorités kosovares voulaient y organiser des élections communales après la démission en masse des responsables appartenant à la communauté serbe. Ils protestaient contre l’obligation qui leur est faite de changer les plaques minéralogiques de leurs véhicules.

Mobilisation serbe

Depuis lors, il y a près de trois semaines, les Serbes ont dressé des barricades : des barrages avec des poids lourds mis en travers des routes, la frontière avec la Serbie paralysée. Et puis ce lundi, des explosions, des coups de feu tirés, sur la police kosovare qui a voulu démanteler les barrages, mais aussi sur une patrouille de la KFOR, la force de paix de l’Otan.

En réaction, la Serbie hausse le ton, comme l’annonce Bratislav Gasic, ministre de l’Intérieur de Serbie : "Conformément aux ordres du président de la Serbie et du commandant en chef de l’armée, j’ai ordonné la pleine préparation au combat de toutes les unités du ministère de l’intérieur : gendarmerie, unités spéciales antiterroristes, brigades de police."

"Barricades Ikea"

Alors faut-il craindre une escalade dans le nord du Kosovo, où vit une grosse partie de la minorité serbe ? Pour le rédacteur en chef du Courrier des Balkans, Jean Arnault Dérens, qui parle de "barricades Ikea qui se montent en 3 minutes", le risque est très faible.

"Des barricades dans le nord du Kosovo, cela revient tous les 6 mois. Il y en a eu à l’été 2021, l’été 2022, et il y en a à nouveau en ce mois de décembre", rappelle-t-il. "De bras de fer en tentatives de négociations, la crise des plaques minéralogiques nous a amenés à la situation actuelle, mais elle n’est pas pire que ce que l’on a vu l’été dernier".

"C’est une surenchère, de la communication, une mise en scène par Belgrade, et le plus étonnant, elle est reprise par les médias internationaux", estime Jean-Arnault Dérens. "C’est bien normal que le chef d’État-major serbe aille visiter les casernes de sa propre armée près de la frontière. C’est du service minimum".

Du grand théâtre, créé de toutes pièces par Belgrade

"Ces 30.000 Serbes qui vivent là espèrent sortir de cette situation de conflit permanent. Ils espèrent vivre de façon normale. […] Il ne faut pas se faire d’illusion. Sur les fameuses barricades, on a vu tout au plus quelques centaines de personnes, 2000 manifestants maximum la semaine dernière. Avec des militants d’extrême-droite venus de Serbie, des gens qui ne vivent pas au Kosovo ou des enseignants payés par la Serbie parce que sinon ils perdent leur travail."

Le dialogue sous l’égide de l’Union européenne est en cale sèche, même s’il y a eu des progrès très importants concernant la mobilité avec la reconnaissance mutuelle récente des documents de voyages. "Ce qui montre bien que la crise actuelle est du grand théâtre […] créée de toutes pièces par Belgrade", souligne Jean-Arnault Dérens.

JA Dérens: des barricades dans le nord du Kosovo, cela revient tous les 6 mois

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Au centre des préoccupations, un projet d’association des communes serbes du nord du Kosovo que Pristina soupçonne d’être le prélude à une sorte d’autonomie territoriale, une partition du Kosovo.

En castillan moderne, Kosovo s’écrit Catalogne

Le Kosovo et la Serbie sont aujourd’hui bloqués en l’absence d’une reconnaissance de l’un par l’autre. Leur intégration européenne est à l’arrêt pour cette raison par le fait que 5 États-membres de l’Union, l’Espagne, la Roumanie, la Slovaquie, Chypre et la Grèce, n’ont pas reconnu l’indépendance de Pristina. "En castillan moderne, Kosovo s’écrit Catalogne", résume Jean-Arnault Dérens.

Il faudra donc aboutir à la table de négociations et passer un compromis qui en aucun cas ne devrait revenir sur le principe de l’indépendance du Kosovo.

JA Dérens: en castillan moderne, Kosovo s’écrit Catalogne

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Les Serbes du nord du Kosovo ont cependant érigé de nouvelles barricades ce mardi matin, bloquant ainsi les routes entre la partie nord – à majorité serbe – et sud – albanaise – de la ville de Mitrovica.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma...Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous