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Barry Sonnenfeld : “Je continue d’utiliser la caméra comme une source de comédie”

© Photo by Jim Spellman/Getty Images

À l’occasion de sa venue à Bruxelles, nous avons pu poser quelques questions au réalisateur de “La famille Addams” et “Men in black”.

Comment votre expérience en tant que directeur de la photographie vous a servi durant votre carrière comme réalisateur ?

Aussi bien en tant que directeur de la photographie que réalisateur, j’ai toujours senti que la caméra pouvait être un personnage sur le film et pas seulement un appareil d’enregistrement. Quand on regarde à mon travail comme directeur de la photographie, que ce soit sur “Blood simple”, “Arizona Junior”, “Balance maman hors du train”, la caméra joue un rôle de participant actif dans le film. Il y a un plan dans “Blood simple” où la caméra suit le rebord d’un bar sauf qu’il y a un ivrogne sur celui-ci. Elle passe donc au-dessus de lui avant de reprendre sa route, ce qui est complètement bizarre. En tant que metteur en scène, je continue d’utiliser la caméra comme une source de comédie. La plupart des réalisateurs utilisent la caméra pour enregistrer des dialogues et ne pensent pas à comment la caméra peut être drôle. Je n’ai fait que des comédies donc je pense aussi que l’objectif utilisé a son importance. Dans “Balance maman”, on a utilisé des objectifs à très grand angle, 17 et 21 millimètres. Billy Cristal était la costar du film et quand il a tourné son film suivant, “La vie, l’amour, les vaches”, ils ont utilisé des téléobjectifs. Billy m’a alors appelé et m’a dit qu’il était inquiet car ils utilisaient du 50 et 75 millimètres. Je lui ai alors dit “Ce ne sera pas un film drôle”. Je pense donc que, en tant que directeur de la photographie mais aussi réalisateur, une de mes contributions était que la caméra joue un rôle actif dans le storytelling.

"Ma manière de réaliser est proche de ma façon de traiter mes enfants."

Quelle était votre approche sur les films “La famille Addams” ?

Le premier était top car je n’ai jamais réalisé de film auparavant. Je ne cherchais pas à le devenir et c’est le producteur Scott Rudin qui m’a demandé de le faire. Je n’étais pas une de ces personnes qui répétaient "je devrais réaliser ceci" ou "je ferais un meilleur boulot". J’aimais vraiment mon rôle mais j’ai accepté de réaliser "La famille Addams". Au départ, j’étais très nerveux : je me suis évanoui, j’ai beaucoup pleuré, … mais je me suis rendu compte que ce qui faisait la réussite d’un film était le jeu d’acteur. Je me suis assuré d’engager une très bonne équipe pour pouvoir m’empêcher de rester constamment à côté de la caméra et aller ainsi au plus près de mes acteurs. Ce dont je me suis rendu compte très tôt, c’est que ma manière de réaliser est proche de ma façon de traiter mes enfants. Certains ont besoin de câlins, d’autres de forces, d’autres encore de faiblesses, … Donc vous vous rendez compte de ce dont l’acteur a besoin et vous traitez chacun différemment. Je traitais ainsi Will Smith d’une autre manière que Tommy Lee Jones.

 

Comment gérez-vous l’énergie comique de vos films ?

Voici ma philosophie à propos de la comédie, ce n’est pas très original pour moi mais il y a plusieurs choses. La comédie a besoin d’un faire-valoir et d’un comique. Elle a besoin de George Burns et Gracie Allen, de Jerry Lewis et Dean Martin, d’Abbott et Costello, … Vous ne voulez pas deux personnes drôles dans votre film. En fait, un des pires films que j’ai réalisé était "Wild Wild West" parce que Will Smith et Kevin Kline voulaient être drôles. Vu que j’avais déjà travaillé avec Will, il est venu me voir et m’a demandé si je pensais à quoi il pensait. Je lui ai dit "Oui, tu vas devoir être le faire-valoir car Kevin ne le fera pas." Par exemple, dans le cas du premier "Men in Black", Tommy ne connaissait pas cette règle donc il essayait toujours d’être drôle. J’ai dû travailler là-dessus pour faire qu’il ne soit pas drôle parce que son humour vient d’être le faire-valoir de Will Smith. S’il était aussi farfelu que lui, il n’y aurait pas de comédie. L’autre chose dont j’aimerais parler dans ma façon de filmer de la comédie est que les grands-angles sont drôles et les téléobjectifs ne le sont pas. Quand vous filmez avec un objectif grand angle, deux choses se passent. D’abord, la caméra est plus proche physiquement des acteurs. L’audience le sait inconsciemment et ils se sentent invités dans la scène. Il y a des réalisateurs comme Michael Mann ou Tony et Ridley Scott qui utilisent des téléobjectifs. C’est très beau car ils captent le décor en dehors du focus mais ils sont distants émotionnellement. Le grand-angle est de son côté émotionnellement accessible. Donc, pour les comédies, il faut A) un faire-valoir et un comique, B) utiliser des grands-angles et enfin C) faire parler les acteurs aussi rapidement que possible. Quand on regarde à toutes ces grandes comédies comme "L’impossible Monsieur Bébé", "La dame du vendredi", "Madame et ses flirts" ou "Les voyages de Sullivan", tous ces acteurs parlent chacun très vite sans écouter l’autre et cela ajoute une énergie et un rythme à la comédie. Voilà donc les trois choses : les grands-angles, un comique/ un faire-valoir et parler rapidement.

© - COLUMBIA PICTURES

"J’ai détesté ce scénario."

“Men In black 2” a connu de nombreux problèmes de productions, notamment suite aux attentats du 11 septembre. Comment avez-vous géré cela ?

La fin du second Men In Black devait se dérouler au sommet des World Trade Center. Suite à ça, je n’ai fait que filmer des lieux sur New York où on pouvait les voir en arrière-plan. Après le 11 septembre, vu qu’on continuait toujours de filmer, on a dû enlever les tours digitalement dans certains plans et on a déplacé le tournage sur un autre toit. Le problème principal avec le film était son scénario, que Sony et les producteurs ont développé sans moi. J’avais une date de sortie déjà planifiée donc ils m’ont dit "tu dois tourner le film pour cette date, voici le script". J’ai détesté ce scénario. Je n’ai pas été capable de le changer rapidement et assez pour l’améliorer. Donc pour moi, le problème du film vient plus du scénario.

 

“Men in Black 3” est un épisode moins célébré de la licence. Quel regard adoptez-vous dessus ?

Voilà ce qu’il s’est passé sur ce film : Nous étions sur le tournage du second, au milieu de la nuit. Nous tournions en extérieur. Tommy Lee Jones était assis à côté de moi quand Will est sorti de son camping-car. Il m’appelait "Baz" comme Baz Luhrmann, je ne sais pas pourquoi. Il me dit "Baz, je sais ce que devrait être le troisième film" avant de me pitcher basiquement l’histoire. Il y avait quelques différences dans le récit. Will arrivait au quartier général des Men In Black. Le bâtiment est complètement détruit, Tommy Lee Jones a disparu et Will doit revenir dans le temps pour le sauver. En le faisant, il découvre que son père biologique a été tué par un alien. Tommy Lee Jones tuait cet extraterrestre et en ce sens élevait Will. Il a pitché cette idée une nuit sur le tournage de Men In Black 2 et dix ans plus tard, nous avons plus ou moins fait ce film. Ce que j’aime le plus dans son côté émotionnel, c’est que lorsqu’on regarde Men In Black 3 avant le premier, on a ces informations sur Tommy Lee qui est son père adoptif. Il y a cette scène où ils sortent de la morgue, Will demande à Tommy Lee "Est-ce que tu as déjà utilisé le Neuralyser sur moi ?" et Tommy répond non. Puis Will dit "Je ne blague pas, est-ce que tu l’as déjà fait ?" et il s’avère que oui. J’aime que, même si ça n’a jamais été planifié comme une trilogie ou d’avoir même une suite, de pouvoir revenir sur le premier après avoir vu le troisième. Je trouve cela fascinant.

"Je n’ai jamais vu "Shining", "L’exorciste" ou d’autres films du genre."

Quel est votre sentiment d’être un invité d’honneur au BIFFF ?

Je suis grandement surpris. Je ne suis pas un réalisateur de ce style. J’ai regardé quelques titres diffusés ici, qui sont du genre que je ne regarde pas car je les trouve trop effrayants. (Rires) Je n’ai jamais vu "Shining", "L’exorciste" ou d’autres films du genre. Je ne pourrais pratiquement pas regarder un film ici en entier. Quand j’ai reçu le mail du BIFFF à ce propos, je leur ai dit "Je pense que vous avez contacté la mauvaise personne car je ne sais pas comment je conviendrais". Ils m’ont dit que je conviendrais et j’en suis heureux. Je ne suis jamais allé à Bruxelles ou en Belgique tout court. On va aller à Bruges dimanche parce qu’un de mes films préférés est "Bons baisers de Bruges". C’est excitant d’être ici et un honneur d’être récompensé.

 

De quoi êtes-vous le plus fier ?

Je suis fier d’être toujours marié à ma femme depuis 33 ans. (sourire) Je pense que mon film préféré est "Get Shorty". Il m’a fallu 6 ans pour le faire, aucun studio n’en voulait. Une fois qu’il est sorti, tout le monde a dit "Bien sûr qu’on aurait fait ce film", ce à quoi je répondais "Non, vous l’avez refusé deux fois". Je suis également fier de mon travail en tant que directeur de la photographie pour les frères Coen avec "Blood Simple", " Arizona Junior " et "Miller’s crossing".

Merci à l’équipe du BIFFF pour cet entretien.

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