Liège

Battice : un chauffeur routier a vécu 4 mois dans son camion, sans salaire, avec à peine de quoi manger

Le camion saisi à Battice dans lequel le chauffeur ukrainien a vécu 4 mois

© Tous droits réservés

Par Erik Dagonnier


A Battice, lors d’un contrôle, lundi, la police des autoroutes a fait ce constat dramatique : depuis 4 mois, un chauffeur routier vivait sur les parkings dans son camion avec à peine de quoi manger. Mykola, un Ukrainien de 45 ans était employé par un sous-traitant polonais du grand transporteur allemand Hegelmann. La réglementation européenne est pourtant claire : tout chauffeur doit bénéficier d’un repos chez lui ou au siège de son entreprise toutes les 4 semaines. Et en plus, il n’avait perçu aucun salaire. Le cas de Mykala est loin d’être unique.

Le sms d'appel à l'aide du chauffeur ukrainien

Aidez-moi ! Ils ne me laissent pas rentrer chez moi !

Par téléphone, Mykala lance en russe, un message appel à l’aide dont voici la traduction :

"— Aidez-moi s’il vous plaît, ils ne payent pas et ne me laissent pas rentrer chez moi, ils disent qu’ils n’ont pas de personnes pour me remplacer, je suis fatigué de travailler pendant 4 mois dans un camion et ils ne me donneront pas d’hôtel, je vous en supplie.

— Un collègue du syndicat viendra vous voir demain matin. Nous ferons tout ce qui est possible pour vous aider

— Merci beaucoup"

Esclavagisme moderne

Alerté, le syndicat CSC Transcom apportera son aide et parle d’esclavagisme moderne. Pour Roberto Parrillo, responsable à la CSC Transcom, la situation de ce chauffeur ukrainien était catastrophique : "nous lui avons offert un repas lorsque nous l’avons rencontré. Il n’avait pas de quoi manger. Il a vécu quatre mois dans son camion sans pouvoir rentrer chez lui, sans avoir les moyens de subvenir à ses besoins et parfois sans avoir de l’argent pour pouvoir passer et payer les autoroutes. Il nous a parlé de 3 collègues qui étaient dans la même situation que lui. C’est vraiment pas un cas isolé. Il y en a des milliers sur la route comme ce chauffeur que nous avons aidé. On est vraiment dans un cadre de traite des êtres humains et donc d’esclavagisme moderne."

La CSC a interpellé l'employeur du chauffeur, un grand transporteur allemand
La CSC a interpellé l'employeur du chauffeur, un grand transporteur allemand © Tous droits réservés

Des chauffeurs ukrainiens et biélorusses

Le syndicat a interpellé l’employeur allemand et le sous-traitant polonais pour qu’il paie les 4 mois de salaires.
A la police des autoroutes de Battice, c’est l’inspecteur principal Raymond Lausberg qui a effectué le contrôle. Il confirme que ce type de situation se multiplie. Presque 400 cas rien que pour cette année. "Par rapport au non-respect du retour après 4 semaines, nos chiffres ont plus que triplé par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. On travaille en étroite collaboration avec l’auditorat du travail de Verviers." La police constate que des transporteurs sous-traitants sont très agressifs sur le marché, surtout la Pologne et la Lituanie. "On voit comment ces chauffeurs sont exploités. Ils se servent de chauffeurs en provenance de pays tiers — hors Union européenne — notamment l’Ukraine et la Biélorussie. Ils gagent peut-être 150, 200 euros par mois chez eux. Ici, ils sont normalement nettement mieux payés mais au détriment d’une qualité de vie. C’est inexplicable pour moi parce que c’est de l’esclavage moderne qu’on accepte au plein milieu de l’Europe."

La CSC Transcom parle de dumping social et cite certains chiffres : en Europe, les chauffeurs routiers non européens étaient 44.000 en 2012. Ils étaient 228.000 en 2020 dont 100.000 roulaient pour des transporteurs polonais et 70.000 par des transporteurs lituaniens.

Aidé par le syndicat, Mykala est rentré en bus en Ukraine pour les fêtes

Concernant le cas de Mykala, l’auditorat du travail signale que "les policiers n’ont pas pris contact avec le magistrat de garde, ce qui n’a donc pas permis de prescrire des devoirs d’enquête ni de prendre en charge le chauffeur. Une prise en charge du chauffeur comme victime potentielle de la traite des êtres humains aurait pu être envisagée." Pragmatique, la police a choisi d’assurer le bien-être du chauffeur en organisant avec le syndicat, son retour en bus vers l’Ukraine pour rejoindre sa famille avant les fêtes. C’était sa demande. La police compte informer jeudi l’auditorat du travail sur le volet "traite des êtres humains" du dossier de ce chauffeur routier.

Sur le même sujet

#investigation du 06/05/2021

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Sur le même sujet

Articles recommandés pour vous