Un titre quelque peu provocateur, pour un album qui ne renie pas le plaisir de ses auteurs pour l’aventure, presque " à l’ancienne ".
Max, à la mort de sa mère, découvre dans son héritage deux photos, où il se reconnaît, enfant, au Brésil, en compagnie de sa mère. Mais aussi en compagnie, sur chaque photo, d’un homme différent. L’un des deux doit être son père.
Et il part au Brésil. Il découvre un des deux hommes inconnus, un fameux putain de salopard... Il fait aussi quelques rencontres hautes en couleur, deux infirmières gays, une baba cool qui l’enfouit en deux temps trois mouvements au fond de son lit…
Après des péripéties à la fois tragiques et dramatiques, Max et Baïa, une superbe jeune indienne, doivent s’enfuir dans la jungle. Il y a la poursuite, une blessure, une carcasse d’avion, un trésor, un vieux flic désabusé, de la castagne, et des femmes qui sont les vraies héroïnes quotidiennes de ce récit !
" Un putain de salopard ", c’est une aventure avec des bons, des méchants, des personnages atypiques aussi, qui subissent des événements pleins de rebondissements.
La trame du scénario est traditionnelle, certes, mais n’oublions pas que Régis Loisel est l’auteur de séries comme " Peter Pan ", " Le Grand Mort ", " Magasin Général ", des aventures humaines qui jouent avec les codes, toujours.
On se trouve dans une histoire dans laquelle les personnages sont nombreux, et tous occupent une place importante, comme les acteurs d’un film au casting réussi.
Régis Loisel et Olivier Pont, le dessinateur, sont de superbes raconteurs d’histoire(s) ! Tout est multiple, mélangé, les récits se croisent, se retrouvent. Ils nous parlent de la différence, celle de Baïa, muette, celle des deux infirmières, lesbiennes, ils nous montrent le poids de la douleur, avec des réflexions sur la résistance face à ce qu’on appelle la civilisation.
Olivier Pont est un metteur en scène, usant sans abuser d’une construction cinématographique. Aidé par le superbe coloriste François Lapierre, il donne vie, véritablement, à la densité et la moiteur des matières, la sueur et la fraîcheur épaisse des sous-bois, la brutalité de la pluie qui tombe sans s’arrêter.
Un livre, une série réussie, donc…
Régis Loisel, c’est le chantre de la différence, sexuelle, intellectuelle, physique. Il se dit passeur d’histoires, il s’efface derrière le talent du dessinateur Pont, mais c’est ce rôle de raconteur qui le pousse à ouvrir dans le quotidien des failles qui permettent au fantastique d’influencer l’intrigue et ses péripéties.
C’est encore le cas dans ce " Putain de salopard ", avec un fantôme qui apparaît, de manière très floue d’abord, et puis de plus en plus nette…
Ce Putain de salopard en est à son deuxième tome et, ma foi, on sent que Loisel et Pont en ont encore sous le coude, et pas un peu !
Jacques Schraûwen
Un Putain de Salopard, tome 2, " O Maneta ", de Loisel et Pont, aux édition de la Rue de Sèvres, 2020, 88 pages