Voici un roman graphique poético-fantastique : Zoc est une adolescente un peu particulière. Dans son monde, qui ressemble vaguement à la campagne auvergnate, il est possible de développer des aptitudes particulières, ce qu’on appellerait de la magie dans les romans de fantasy.
Son talent, à elle, est de posséder une chevelure qui agrège les masses d’eau, quelle que soit leur taille. Elle traine donc régulièrement derrière elle de véritables rivières composées des centaines de flaques qui ont croisé sa route. Ce talent, qu’elle est la seule à posséder, Zoc aimerait le mettre au service des autres, en faire l’instrument d’un travail qui lui permettrait de ramener de l’argent chez elle. L’occasion se présente lorsqu’un village voisin lui demande de venir " éponger " une inondation et emmener toute l’eau qui noie les rues, les maisons et les champs alentour aussi loin que possible. Zoc se met en marche. Et avec une force incroyable, tracte derrière sa chevelure une petite mer intérieure faite de milliers de litres d’eau pas très nette. Voilà pour la partie fantastique.
Des éléments étranges, pour le moins. ''Zoc'', puisque la BD porte très simplement le nom de son héroïne, raconte comment l’adolescence débouche sur l’âge adulte. Pour passer de l’une à l’autre, il faut questionner sa place dans la société, trouver une utilité et être capable de la défendre. La jeune fille délivre les habitants du petit village inondé de toute l’eau qui les empêchait de vivre, mais que faire de tant d’eau ? Elle va marcher des dizaines et des dizaines de kilomètres en tractant son lourd fardeau afin de ne pas provoquer de déséquilibre écologique, mais sa transhumance elle-même soulève l’indignation de ceux dont elle noie les terres, que ce soit pour quelques minutes ou quelques heures. Zoc se rend compte que le service rendu aux uns est peut-être inférieur aux nuisances qu’elle cause à tous les autres. Il y a donc une portée philosophique à ce road-trip campagnard en solitaire. Enfin, en solitaire, la plupart du temps. Car Zoc va bien évidemment faire des rencontres. Et c’est de ces rencontres que dépendra sa place définitive dans la société.
La force de ce roman graphique, c’est précisément l’ambiance qui s’en dégage. La solitude de Zoc, son errance par monts et par vaux, tout cela nous est montré à l’aide d’un graphisme épuré, très proche de celui de l’animation japonaise. Manifestement très fan du cinéma de Miyazaki, la jeune Jade Khoo est elle-même issue du monde de l’animation et cela se sent. La douceur des couleurs, le trait fin des contours, les grands yeux de Zoc, l’expressivité des personnages, les ciels et la lumière : tout cela participe à la réussite de cette fable.
''Zoc'' de Jade Khoo, chez Dargaud