Pierre Rabbi prônait la sobriété heureuse. D’accord avec lui ?
La sobriété est un instrument à double tranchant. Demander à des gens qui sont modestes, voire démunis, qui peinent à boucler les fins de mois, de devenir sobres, c’est presque insultant à leur égard. Moi, je préfère promouvoir l’efficience technique, à savoir permettre à des gens très modestes de posséder une maison bien isolée, un chauffage efficient, une consommation locale. Tous ces leviers leur permettent d’économiser de l’argent et d’arrêter de dépenser pour des ressources gaspillées. C’est pour cela que le monde va si mal, c’est parce que l’on gaspille ; 75% de l’énergie produite est gaspillée. 95% des déchets alimentaires sont gaspillés plutôt que recyclés en économie circulaire. Commençons par être efficients avant de demander aux gens de faire des sacrifices.
Vous citez dans votre dernier livre un exemple très concret pour illustrer l’économie circulaire, celui du Mont Blanc…
Dans ce tunnel se croisent les camions transportant l’eau italienne de San Pellegrino qui se rendent en France et ceux qui acheminent l’eau française de Perrier qui vont en Italie. C’est d’autant plus aberrant que ces deux marques appartiennent à la même firme. Si chacun consommait sa propre eau, cela n’empoisonnerait pas toute la vallée de Chamonix !
Vous vous méfiez des clivages gauche droite, patrons-salariés, riches-pauvres ?
Oui, il y a des gens merveilleux et des ordures dans toutes les classes sociales. Ce n’est pas la richesse ou la pauvreté qui détermine l’honnêteté. Il est trop simpliste de pointer le doigt vers les industriels en les accusant de pollueurs. Dans le domaine écologique, je suis convaincu que beaucoup de solutions viendront des chefs d’entreprises confrontés aux réalités économiques, politiques et environnementales. Il n’est pas évident de changer un modèle industriel en un claquement de doigts. Mais beaucoup de changements sont entrepris par les chefs d’entreprise, grâce à leurs nouvelles technologies, la création de nouveaux produits…
Vous avez aussi rencontré le Pape ?
Dans sa dernière encyclique, il affirmait qu’il était temps d’entrer dans une nouvelle période de décroissance, d’être plus respectueux de l’environnement, de montrer aussi plus de compassion à l’égard de ses semblables… Une philosophie magnifique, mais qui ne touche que ceux qui sont capables de la comprendre : ceux qui ne polluent pas, ceux qui font déjà preuve de sagesse. Je voulais aborder avec lui l’attitude à adopter à l’égard de ceux qui sont incapables de protéger la nature par compassion, d’éprouver de l’empathie pour leurs semblables, les égoïstes, les psychopathes, les destructeurs de la nature par intérêt personnel. La spiritualité ne consiste pas à se mettre en retrait du monde mais à lui trouver un sens. Elle ne suffit pas à sauver le monde. La nature humaine est souvent très égoïste, très court-termiste. Je cible surtout, dans mon combat, ceux qui ne protègent pas l’environnement parce qu’ils s’en moquent, qu’ils sont obsédés par leur intérêt personnel. J’aimerais leur démontrer qu’ils pourraient mieux servir leurs intérêts en protégeant l’environnement. La protection de l’environnement ne signifie pas la décroissance économique : la création d’emplois dans de nouvelles opportunités industrielles permettra de moderniser toutes les infrastructures, la mobilité, la construction, la consommation d’énergie. Ce qui permettra de développer l’économie tout en protégeant l’environnement.
Vous êtes un homme libre ?
On n’est jamais vraiment libre de tout faire mais on peut être libre de tout penser. De réussir à se remettre profondément en question pour essayer d’envisager l’inverse de ce qu’on a toujours fait, l’inverse de ce qu’on a appris.
C’est cela la disruption. Si l’on veut être créatif, c’est la seule manière de fonctionner. Quand l’industrie aéronautique a refusé de construire " Solar Impulse ", en affirmant qu’il était impossible de faire voler un avion avec l’énergie solaire, parce que le soleil ne produisait pas assez d’énergie.
Dons, si le soleil n’y parvient pas avec un avion normal, il faut concevoir un avion anormal. On a donc travaillé sur l’efficience énergétique de l’avion pour qu’il puisse se contenter de l’énergie qu’il recevait du soleil. Au lieu de " Produire toujours plus ", on choisit de " Consommer toujours moins ". Il faut changer de modèle, de paradigme. D’urgence.
Propos recueillis par Adrien Joveneau et Dirk Vanoverbeke.
Une rencontre à écouter en replay sur RTBF Auvio et sur Apple Podcast !