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Biélorussie : où sont passés les opposants du président Loukachenko ?

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Par Matthias Masini

Dimanche, un avion Ryanair est détourné. À bord, l’opposant, Roman Protassevitch est arrêté à Minsk. L’Europe condamne et sanctionne le Belarus. Si l’indignation internationale est importante, aucune manifestation de grande ampleur n’a lieu dans le pays. Pourtant, les Biélorusses ont manifesté pendant des mois contre le gouvernement de Loukachenko en 2020.

Ils ne s’appellent pas Stefan, Serena et Julia, mais nous les appellerons ainsi. Ils ont fait partie de ce mouvement. Depuis, le premier s’est fait arrêter, la seconde a quitté le pays, et la dernière a continué de protester.

"Nous avons perdu la rue"

Svetlana Tikhanovskaïa, figure de l’opposition, le reconnaît : les manifestants ne courent plus les rues au Belarus. Protester physiquement est devenu trop dangereux pour beaucoup. Beaucoup de citoyens montrent leur opposition autrement dans le pays.

"Chaque personne manifeste de sa propre manière. Certains portent les couleurs de notre drapeau, le rouge et le blanc. D’autres font des posts sur Instagram ou d’autres réseaux. D’autres encore écrivent des résolutions et les présentent à des instances européennes. En fait, on apprend à intégrer la protestation dans notre vie de tous les jours", explique Julia. Cela fait bientôt un an qu’elle ne baisse pas les bras. Pour elle, son engagement "c’est comme du bénévolat, mais révolutionnaire".


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Aujourd’hui, le combat contre le gouvernement se fait aussi par le portefeuille. "Les gens essaient de ne pas fumer et de ne pas boire parce qu’une grande partie de cet argent va au gouvernement. On essaie de mettre à mal l’économie du pays […] On est passé à une contestation économique", explique Stefan.

Arrestations des opposants politiques

L’été dernier a été rempli de manifestations en Biélorussie. Les citoyens sont sortis massivement dans les rues. "Tout a commencé par la pandémie et les élections. Tout le monde était très insatisfait de la gestion de la pandémie. Il n’y avait aucune restriction et les gens mourraient, raconte Serena. En juin, il y avait plusieurs candidats aux élections. Quand les arrestations des candidats ont commencé, il y a eu un mouvement de contestation".


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"Au début, j’ai rejoint plusieurs groupes Telegram qui partageaient des infos et j’ai commencé à m’intéresser à l’opposition, raconte Stefan. J’ai lu que des candidats démocratiques se présentaient et je me suis tout de suite dit “allez fonce, on va faire changer les choses”". Il a 23 ans et comme beaucoup de jeunes, il espère pouvoir faire entendre sa voix lors des élections.

Avec l’arrestation des principaux candidats de l’opposition, Stefan s’indigne. Il participe aux premières manifestations en juin et juillet 2020. "Il n’y avait pas grand-chose, juste des gens qui manifestaient dans le centre de Minsk. La police était déjà là et arrêtait certains manifestants, mais c’était très calme en comparaison à ce qui allait se passer plus tard".

J’ai été détenu 3 jours. Depuis je n’ai jamais arrêté de protester

Le 9 août 2020, le gouvernement annonce Loukachenko vainqueur des élections, pour la sixième fois depuis 1994. L’opposition condamne le résultat et un mouvement sans précédent commence. "Après l’élection, je suis allé aux manifestations. Lorsque nous sommes arrivés devant l’hôtel de ville, la police était rassemblée. Ils ont chargé les manifestants alors je suis parti en courant et je me suis caché dans un café", raconte Stefan.

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Le lendemain, il participe à une autre manifestation avec "seulement" des jets de grenades assourdissantes et des gaz lacrymogènes. A la fin de la marche, il décide de se rendre au supermarché. "Pendant qu’on faisait nos courses dans un supermarché, on a appris que la police allait intervenir. Ils sont entrés et ont pris tous les hommes dans le magasin. Certains n’avaient pas participé à la manifestation et faisaient simplement leurs courses."

Un camion les attendait devant, prêt à tous les embarquer, sans distinction. Une "rafle" dans le magasin. Le camion démarre, ils s’en vont pour un centre de détention.

Sans toit, sans eau, sans toilettes

"Une fois arrivés, nous avons dû courir vers le bâtiment pendant que des policiers nous frappaient. Ensuite, nous avons dû déposer tout ce que nous avions." Stefan se dit chanceux : Iil ne saigne que des coudes. "Ils nous ont mis dans une pièce, sans toit. Elle faisait une vingtaine de mètres carrés, et nous étions environ 80. Nous y avons passé la nuit, sans toilettes, sans eau, sans toit. Nous étions debout, trop nombreux pour nous coucher sur le sol."

La nuit, nous entendions des cris et des personnes qui hurlaient à l’aide

"Le lendemain, nous avons été mis par groupe d’environ 26 dans des chambres de 8. On faisait des roulements pour dormir dans les lits. Pendant tout ce temps dans la chambre, nous discutions ensemble. Ensuite, un par un, on nous a convoqués à des “procès” où on nous annonçait le nombre de jours, semaines de détention." Stefan n’a pas été convoqué avant d’être libéré au bout de trois jours.

Depuis, il continue à protester. "Pour l’instant, j’ai de la chance. On ne m’a jamais plus arrêté."

Je ne sais pas quel espoir il reste pour les gens au Belarus. Il n’y a que de la peur

Serena a fait les mêmes manifestations que Stefan, mais depuis, elle a quitté son pays pour la Pologne. "En septembre, nous avions encore de l’espoir. La répression était forte mais la mobilisation était énorme. Tout le monde protestait et tout le monde pensait que les choses changeraient rapidement", raconte Serena. Mais depuis que certains de ses proches se sont fait arrêter, "c’est compliqué de garder de l’espoir".

"Pour moi, l’espoir s’est éteint en novembre, lorsqu’une personne a été tuée pour avoir protégé des rubans rouges et blancs. Il a été arrêté, puis battu à mort par la police. À ce moment-là, j’ai compris que rentrer au Bélarus était impossible pour moi."

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En Pologne, elle se sent en sécurité "parce qu’on ne peut m’arrêter ici". Mais, ce n’est pas toujours le cas. "Après la répression des manifestations au Belarus, il y a un traumatisme qui reste. Par exemple, quand je proteste en Pologne, j’ai extrêmement peur, parce que je me souviens de la violence là-bas."

Pour l’instant, Serena espère toujours rentrer au Belarus, mais seulement quand le pays sera démocratique. "Je ne sais pas quand je reverrai ma famille et mes amis. La seule chose que je peux faire pour l’instant, c’est de les mettre en sécurité en les aidant à fuir le pays."

Je n’ai plus peur

"Quelque chose en moi a changé depuis les manifestations d’août, confie Julia. La peur de l’oppression du gouvernement est devenue normale pour moi […] La peur et le stress qui étaient extraordinaires sont devenus quelque chose de quotidien."

"J’ai changé parce que je n’ai plus peur. Ça peut paraître sombre, mais je n’ai plus peur pour ma propre vie. J’ai peur pour la vie des autres Biélorusses. Je suis prête à perdre la vie pour ce que je défends". Julia n’a qu’une vingtaine d’années. Pour elle, son futur sera dans un Belarus démocratique ou ne sera pas.

"La démocratie. C’est tout ce qu’on souhaite. Et si vous avez la chance de pouvoir la défendre. Alors faites-le, parce que nous, on ne l’a plus", conclut-elle.

Biélorussie : JT 25/05/2021

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