Roman Protassevitch est apparu lundi à la télévision biélorusse pour réciter ceci : "Bonjour ! Je m’appelle Roman Protassevitch. Hier, j’ai été détenu par des agents du ministère de l’Intérieur à l’aéroport national de Minsk. Je suis maintenant dans la Maison d’arrêt N°1, à Minsk. Je peux dire que je n’ai aucun problème de santé, notamment au niveau du cœur ou d’autres organes. Le personnel se comporte avec moi de façon tout à fait adéquate et en respectant la loi".
Il poursuit : "Je continue à coopérer avec les enquêteurs et j’avoue avoir organisé des 'troubles de masse' à Minsk."
Déclarations sous la contrainte ?
Le visage du jeune homme semble porter la trace de coups. Sa déclaration a sans doute été faite sous la contrainte. C’est l’avis de son père, Dzmitry Protassevitch : "Je pense qu’il a été forcé. Ce ne sont pas ses mots, ce n’est pas son intonation du discours, il se montre très réservé et on voit qu’il est nerveux. Il est très probable que son nez soit cassé, car sa forme est modifiée et il y a beaucoup de poudre sur son front, tout le côté gauche de son visage est poudré, il y a des trucs gras sur le côté gauche. Et ce n’est pas son paquet de cigarettes sur la table – il ne fume pas celles-là. […] Je pense que c’est juste qu’il a été forcé d’enregistrer le message. ''
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Voici comment le père de Roman Protassevitch explique ce qui lui arrive : "Même s’il n’est plus le rédacteur en chef (de Nexta), je pense que c’était un acte de vengeance, pour avertir les autres : 'Regardez, on peut le faire'."
Ce n’est pas le premier cas d’aveux extorqués diffusés par la télévision du régime. La grande figure de l’opposition en exil, Svetlana Tikhanovskaïa, déclare sur Twitter : "Voici à quoi ressemble Roman sous pression physique et morale", et dénonce une vidéo diffusée par "les chaînes de propagande du régime".
Roman Protassevitch pensait relancer la contestation
Selon un autre activiste biélorusse qui a travaillé en étroite collaboration avec lui, le gouvernement biélorusse a agi illégalement en arrêtant Roman Protassevitch. Pour Stsiapan Putsila exilé lui en Pologne et qui a cofondé la chaîne Nexta, l’incident de ce dimanche montre que le régime avait commencé "à faire des choses impensables qui sont contraires à la loi et à la logique".
"Roman était très attaché à l’idée de la libération de la Biélorussie", explique Stsiapan Putsila : "Nous avons travaillé avec Roman pendant dix mois et c’était très confortable de travailler avec lui […]. Il croyait en la résistance, […] il pensait que dans un proche avenir, nous retournerions en Biélorussie. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à son arrestation, il croyait relancer l’activité de protestation d’août 2020 parce qu’il pensait que c’était très important. C’est pourquoi le régime avait tellement peur de lui et a pris des mesures si drastiques. "
"La nouvelle de la capture de Roman était bien sûr inattendue pour nous – nous ne pensions pas qu’une telle chose pouvait arriver, bien que nous discutions du fait qu’il était dangereux de survoler les pays amis avec Loukachenko. Mais Roman n’a pas pris cela en considération, nous n’avions pas tout vérifié et c’est ce qui s’est passé. Nous, comme ses parents, avons été choqués par cette nouvelle."
Le gouvernement veut réduire la presse indépendante au silence
L’arrestation du journaliste d’opposition cadre avec le tour de vis donné par le gouvernement : le président Loukachenko a signé lundi une loi interdisant aux journalistes de couvrir les manifestations jugées illégales comme à l’été et à l’automne 2020 qui ont rassemblé des dizaines de milliers de personnes, une mobilisation énorme pour ce pays. La protestation s’est progressivement essoufflée face à des arrestations massives, des violences policières ayant fait au moins quatre morts et de lourdes peines de prison contre des militants et des journalistes.
Le Parquet général et les procureurs régionaux pourront désormais décider seuls de "restreindre" l’accès à des sites d’informations faisant "la propagande de l’extrémisme". Interrogé par l’AFP, le porte-parole de l’Association des journalistes biélorusses, Boris Goretski, a dénoncé ces nouvelles lois conduisant "à l’éradication de ce qu’il reste de la presse indépendante". Selon son association, près de 30 journalistes sont emprisonnés en Biélorussie. La semaine dernière, le site du principal média indépendant du pays, TUT.BY, a été bloqué et plusieurs de ses collaborateurs arrêtés.
Et ce mardi, le dirigeant d’un parti d’opposition, Pavel Severinets, et six autres militants ont été condamnés à des peines allant de 4 à 7 ans de prison. Ils étaient jugés à huis clos depuis la mi-mai à Moguilev, dans l’est du pays, pour avoir participé "à des troubles massifs", référence au vaste mouvement de contestation de 2020. Pavel Severinets, qui dirigeait le parti chrétien-démocrate, une formation non enregistrée, avait été arrêté en juin 2020, alors qu’il collectait des parrainages pour un candidat d’opposition à la présidentielle d’août. L’opposant, qui a déjà purgé trois ans de prison dans les années 2010 pour son activisme politique, est en détention depuis 11 mois et n’a donc pas pu participer au vaste mouvement de contestation de l’été et de l’automne dernier dénonçant la réélection d’Alexandre Loukachenko à la présidence.