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Billy Nomates : Le monde entier est un Cacti

Sur son deuxième album, Billy Nomates danse sur les cendres du Brexit.

© Invada Records

Encensée par Iggy Pop, révélée via un banger avec Sleaford Mods, Billy Nomates agite sa coupe mulet pour mieux secouer le cocotier du rock indé. Signé sur le label de Geoff Barrow (Portishead, Beak>), son deuxième album s’écoute comme un manuel de survie en territoire capitaliste. Énergiques, intenables, les chansons du nouveau "Cacti" ne manquent certainement pas de piquant.

Interview de Billy Nomates, un jour de grève nationale en Angleterre. Dans les hôpitaux, les bureaux de douane, à la poste ou sur le rail, le ras-le-bol est total. "Notre pays est dirigé par des conservateurs", s’enflamme la chanteuse. "Leurs positions ultra libérales ont des conséquences dévastatrices. Les loyers ne cessent de grimper, comme les prix de l’énergie et des biens courants. Cette inflation touche des professions qui, depuis des décennies, ne connaissent aucune revalorisation salariale. Vivre en Angleterre en 2023, c’est dur. Il y a des banques alimentaires à tous les coins de rue. Avant, ces lieux étaient fréquentés par des sans-abris. Désormais, dans la file, il y a des personnes qui travaillent, mais qui ne parviennent plus à joindre les deux bouts…" Aussi consternée que concernée par la situation, Billy Nomates marque un temps d’arrêt, puis reprend sa réflexion. "Je suis incapable de me soustraire à cette réalité. La vérité, c’est que je m’efforce d’éviter les messages politiques dans ma musique. Mais j’échoue en permanence..." Sans surprise, le nouveau "Cacti" est un album engagé, mais aussi une belle leçon de résilience. "Dans ce disque, j’évoque nos facultés d’adaptation. Que ce soit face à la crise sanitaire ou au système capitaliste, nous sommes des survivants. À titre personnel, j’ai aussi dû surmonter de multiples barrières pour, enfin, donner un sens à ma carrière. Tout cela se ressent dans les sujets abordés sur l’album."

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Super hobby

Le parcours de Billy Nomates est accidenté. Née Tor Maries, dans les Midlands, au cœur de l’Angleterre, la jeune fille rêve d’embrasser une carrière musicale. Embarquée dans une formation folk, elle quitte le foyer familial pour s’installer à Bristol, port d’attache de son tout premier label. "Là-bas, j’ai fait un nombre incalculable de jobs alimentaires : serveuse dans des bars, caissière, secrétaire ou responsable administrative. Je travaillais de 9h du matin à 17h en vue d’assurer mes arrières. Le soir et les week-ends, je me consacrais à 100 % à la musique. C’était comme un super hobby. Aujourd’hui, c’est différent. Parce que ce n’est plus seulement une affaire de passion. Vivre de ses chansons, ça demande de la discipline. Avant, il m’arrivait de picoler pendant des heures avec des fans après un concert. Aujourd’hui, ça ne me viendrait plus à l’idée. Parce que j’ai développé une conscience aiguisée de mon emploi du temps. Je sais ce qui m’attend…"

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Département marketing

Dans la vie, il faut parfois en baver pour défendre ses idéaux. Entre 2003 et 2009, fatiguée de prendre des râteaux dans l’antichambre de la scène alternative, Tor Maries décide de jeter l’éponge. "Je venais de passer dix ans à jouer dans des groupes folk ou punk-rock. J’avais fait pas mal de concessions pour passer à l’étape suivante. Mais à l’arrivée, toutes mes tentatives se sont soldées par des échecs. À un moment, j’ai ressenti le besoin de me tenir à l’écart de la musique. Pour préserver mes rêves, mais surtout ma santé mentale. Autour de moi, je voyais des musiciens lâcher l’affaire : ils se concentraient sur leur vie de couple, cherchaient un emploi stable, "normal", en vue de contracter un crédit immobilier. De mon côté, je ne supportais plus de gagner des clopinettes en jouant des concerts dans des bars vaguement branchouilles..." Frustrée, démotivée, Tor Maries change de vie. "J’ai trouvé du taf dans le département marketing d’une université. Le job et les collègues ne me dérangeaient pas. J’avais l’impression d’y trouver mon compte…"

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Post Pop Depression

À l’écart de la musique, Tor Maries s’invente une vie de couple bien rangée. Mais une rupture sentimentale va tout changer. "Là, j’ai eu l’impression de passer à côté de tout : de la musique, de l’amour, du sens de la vie." En dépression, elle s’interroge sur sa raison d’être. "C’est comme ça que j’ai repris la musique. Ce n’était plus une affaire de fric ou de frime. C’était une question de survie. Quand j’ai commencé à composer des chansons sur mon ordi, seule avec le logiciel GarageBand, j’ai compris que je m’étais égarée. Pour moi, il n’y a que la musique." Conçues à l’instinct, sans attente ni objectif, ses démos solitaires relèvent quasi de la thérapie. "Je n’avais jamais enregistré quelque chose d’aussi honnête", confie-t-elle. Ces productions post-traumatiques serviront bientôt de base au premier album de Billy Nomates.

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Pas de potes, mais un nom de scène

"Il y a dix ans, j’ai découvert la musique de Sleaford Mods", retrace la chanteuse. "J’ai directement accroché à leur musique, mais surtout à leur manière de décrire l’Angleterre. Ils viennent de la même région que moi. Nous partageons le même accent, le même jargon. Cela a sans doute renforcé mon sentiment d’identification à leurs chansons." En mai 2019, en vraie fan, elle assiste à un concert du duo de Nottingham. "Je suis allée les voir toute seule, comme une paumée. Pendant la première partie, un mec bourré m’a bousculée en m’insultant : "C’est toi, tu es Billy no-mates !" (Expression argotique, typiquement britannique, pour évoquer une personne seule et sans ami.e.s, Ndlr) À l’époque, je me cherchais encore un nom de scène. Là, c’était tout trouvé."

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Libérée, confinée

Quelques jours après s’être renommée Billy Nomates, Tor Maries franchit le pas : "J’ai envoyé mes démos aux gars de Sleaford Mods. Ils ont aimé, nous avons sympathisé. C’est grâce à eux que mes morceaux sont arrivés entre les mains de Geoff Barrow qui, lui, a décidé de me signer sur son label, Invada Records." Entre une collaboration avec Sleaford Mods sur le tube "Mork and Mindy" et son premier album, la chanteuse se révèle sous sa facette la plus rugueuse. Féroce, ultra tranchant, son spoken word revanchard découpe le système politique en lamelles sur fond de post-punk. En pleine ascension, Billy Nomates se heurte toutefois au confinement. "Là encore, j’ai eu le sentiment de foirer. Alors que ma musique commençait à trouver son public, j’ai choisi le pire moment pour sortir mon disque. Pendant un temps, je me suis résignée, comme si j’acceptais la défaite. Mais j’ai des ressources : je peux me montrer pugnace et remonter la pente." Ce qu’elle fait, dès 2021, en publiant "Emergency Telephone", un EP enfermant quatre titres focalisés sur les anciennes cabines téléphoniques et les appels de détresse. "Ce disque était une transition dans un monde à l’arrêt. Il s’agissait d’un exercice assez introspectif et atmosphérique."

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Position enviable

Imaginé entre la fin du confinement et le début du "monde d’après", le nouveau "Cacti" se pare d’émotions contrastées. "Les thèmes abordés, le feeling et l’ambiance des morceaux partent dans une autre direction", explique Billy Nomates. "Je ne suis plus frustrée par l’existence. Mes premiers morceaux tournaient souvent autour de cette thématique avec, en toile de fond, des sujets liés à la lutte des classes. Aujourd’hui, ce serait hypocrite de chanter ce genre de choses. J’ai désormais la chance de vivre de mon travail, de sortir des disques et de partir en tournée. C’est une position enviable. Je ne peux pas faire semblant d’être fâchée... En revanche, j’éprouve un terrible sentiment de vulnérabilité. J’ai l’impression que tout peut flancher du jour au lendemain. Ma musique reflète toujours mon état d’esprit. Ce n’est pas quelque chose de figé. C’est évolutif. Cela m’amènera forcément à enregistrer des albums différents."

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Capital sympathie

"Cacti" marque un tournant dans la carrière de Billy Nomates. "Mon premier album avait vu le jour dans une cuisine. Cette fois, j’ai travaillé dans un vrai studio. Le rendu est différent." À bonne distance des incartades post-punk de l’essai initial, l’Anglaise arrondit les angles, sans jamais manquer de piquant. Nappes synthétiques, indie-folk et mélodies pop-rock chapardées au début des années 2000 donnent le ton à douze chansons ancrées au cœur d’une Angleterre post-Brexit. Dans le final "Blackout Signal", elle se fait plaisir, en tirant à boulets rouges sur le capitalisme. "Nous sommes devenus des animaux domestiqués ! Nos comportements, nos motivations et nos relations sont, chaque jour, biaisés par le rapport à l’argent. Voir le monde échapper au capitalisme, c’est de l’ordre de la science-fiction. C’est très difficile à imaginer. Je rêverais d’être là pour assister à son effondrement. J’ai écrit "Blackout Signal" pendant le confinement, à un moment où le système capitaliste était gelé. Le monde partait en vrille mais, d’une certaine façon, l’existence semblait plus paisible. Les seules choses à faire étaient de prendre soin de ses proches, de son corps, de son environnement. Les gens se parlaient, cultivaient les jardins, se promenaient dans la nature. Avons-nous besoin de beaucoup plus ?"

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L’iguane et Billy

L’année dernière, Iggy Pop recevait Billy Nomates dans son émission hebdomadaire sur BBC Radio 6 Music. "Aujourd’hui encore, je n’arrive pas à croire qu’Iggy Pop soit au courant de mes activités. Ça me semble irréel. Et puis, sans en faire des caisses, il a vraiment donné une belle impulsion à ma musique. C’est vraiment une chance de bénéficier de son soutien. Un de ces jours, nous serons peut-être amenés à enregistrer quelque chose ensemble..." En attendant, on se frotte volontiers à "Cacti", un album qui pique la curiosité et éveille les consciences.

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