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"Blanc autour", une bande dessinée inspirante pour la rentrée

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Par Une chronique de Mélissa Diantete

L’heure de la rentrée des classes approche et on voudrait commencer l’année scolaire en rappelant que l’éducation pour tous et toutes est le fruit de longues batailles acharnées. Si aujourd’hui l’accès à l’enseignement pour tous et toutes semble être une évidence en Belgique, il y a lieu de rappeler que pendant des siècles, le savoir était une histoire d’hommes, d’élites et rien d’autre.

Interdits pendant des siècles aux femmes, les lieux de savoir étaient tout simplement des boys clubs mettant en avant la toute-puissance masculine. Les femmes “instruites” et “savantes” étaient alors mises de côté ou, dans le pire des cas, pourchassées, traitées de sorcières ou encore brûlées. Il faudra attendre le 19e siècle pour progressivement ouvrir l’accès à l’éducation à tous et toutes. Et aujourd’hui, ce n’est pas encore complètement acquis, notamment à cause des préjugés qui jouent encore en défaveur des femmes.

Une révolution féminine

Blanc Autour, le roman graphique proposé par Wilfrid Lupano et Stéphane Fert, s’inspire de faits réels pour aborder la question de l’accès à l’éducation pour tout le monde. En 1832, aux États-Unis, une double bataille s’opère : l’accès à l’éducation pour les jeunes filles noires et les prémices de la lutte sociale pour l’égalité des chances sans distinction de race.

À Canterbury, petite ville de l’État du Connecticut, les noirs sont dits “libres” mais n’ont aucun droit citoyen. Des noirs, il n’y en a d’ailleurs pas beaucoup à Canterbury mais c’est déjà trop selon la population blanche de cette ville.

Sarah, une jeune fille noire et habitante de Canterbury, s’interroge sur un phénomène scientifique pour le moins banal : pourquoi le bois se casse-t-il lorsqu’il rentre dans l’eau ? Sarah a envie de comprendre, d’apprendre et de s’instruire. Au fond, derrière cette question, la jeune fille se demande “Pourquoi n’ai-je pas moi aussi le droit de savoir et d’aller à l’école comme les enfants blancs ?


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Autour de Sarah, cette soif de savoir est perçue comme une folie. ” À quoi bon” lui dit-on. “Ecoute ! Regarde ! Sens ! Le monde entier te dit non”. Animée par la soif d’apprendre et ne voyant pas sa situation comme une fatalité, la jeune fille va alors demander l’inimaginable : suivre les cours dans une classe d’école. Elle se tourne donc vers Prudence Crandall, institutrice à la tête d’une école pour filles blanches. Et c’est le début des ennuis…

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Dans une Amérique du Nord ségrégationniste, quelques années avant l’abolition de l’esclavage, à une époque où l’on ose à peine imaginer que l’instruction des femmes soit utile, l’arrivée d’une fille noire dans cette école dérange. Face à une communauté blanche hostile et qui lui tourne le dos, l’institutrice ne renoncera pas à l’idée de se battre pour faire valoir ses engagements en matière d’éducation.


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Un double combat

Cette bande dessinée nous invite à découvrir les prémices d’un long combat semé d’embûches où règnent violence, haine et mépris envers les personnes noires. Inspirée d’une histoire vraie, Blanc Autour retrace le parcours de Prudence Crandall et ses jeunes élèves. Elles s’appellent Sarah, Eliza, Jeruska, Dorothy ou encore Maggie, sont afro-américaines et ont en commun l’envie de s’émanciper par l’éducation. Très jeunes, elles comprennent rapidement qu’acquérir les bases d’une bonne instruction leur donnera les clés d’un avenir meilleur. Face à une société totalement réfractaire au changement, les héroïnes de cette BD vont faire preuve d’une volonté de fer qui est assez admirable. Elles s’unissent et se battent contre une société qui repose sur l’idée que les noirs et les femmes sont des êtres inférieurs.

Pourquoi n’ai-je pas moi aussi le droit de savoir et d’aller à l’école comme les enfants blancs ?

En abordant la question de la condition des femmes dans la société, l’œuvre va au-delà de la question du racisme et met également en lumière les inégalités faites envers les femmes. C’est ainsi qu’est par exemple qu’est déconstruit le personnage de la sorcière, cette femme forcément âgée aux cheveux grisonnant et qui bien évidemment dérange.


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Cet album rappelle (doit-on vraiment le rappeler ?) le rôle important de l’éducation dans l’ascension sociale. Présentées comme de véritables héroïnes et pionnières d’un mouvement de lutte pour l’égalité des chances, les protagonistes de cette BD donnent à réfléchir. Près de 200 ans après les faits relatés par les auteurs, les questions raciales et d’inégalités hommes-femmes sont encore d’actualité.

Si aujourd’hui en Belgique tout enfant a accès à l’école et à l’éducation, le système scolaire reste un lieu où se reproduisent insidieusement les inégalités sociales. Certes, il n’y a pas d’obstacles physiques qui s’élèvent devant les femmes ou les personnes non blanches mais le parcours reste plus difficile pour s’élever au même niveau que les personnes privilégiées par le système.

Une pépite

Avec Blanc Autour, Wilfrid Lupano et Stéphane Fert offrent un livre à la fois fort, émouvant et bien écrit. Pour aider le lecteur à comprendre le contexte de cette histoire, les auteurs ont accompagné la BD de quelques pages retraçant l’histoire des personnages dont ils se sont inspirés. Ils ont aussi puisé leur inspiration dans les ouvrages de grands noms de l’afro-féminisme et du féminisme tels que Toni Morrison, bell hooks ou encore Mona Chollet.

Présenté comme une forme d’intersection entre plusieurs luttes, ce roman graphique transmet des émotions diverses comme la peur, la colère, la haine mais aussi des valeurs fortes telles que la tolérance, la quête de liberté et la détermination. D’une certaine manière, Lupano et Fert invitent les lecteurs et lectrices à “ne pas rester à leur place” (pour reprendre le titre du livre Rokhaya Diallo). Ils nous invitent à nous mettre en marche vers le changement car le chemin est encore long. Là où on fait croire aux personnages de cette BD qu’elles n’ont pas leur place dans la société, qu’elles n’ont pas le droit de rêver à un meilleur avenir, les auteurs offrent un véritable plaidoyer pour la liberté, l’ouverture, le vivre ensemble et les droits humains. Ils rendent aussi un bel hommage aux figures méconnues qui ont façonné les prémices des mouvements des droits civiques.


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De ce livre, on appréciera tout autant la beauté du scénario, la force des images et l’excellent coup de crayon de Stéphane Fert. Avec une couverture mettant en scène des femmes en marche vers le destin, cette bande dessinée ne peut qu’inspirer l’admiration.

Une recommandation pour la rentrée 2021 ? Oui sans hésitation !

Mélissa Diantete anime un compte Instagram qui promeut la diversité et la valorisation des femmes (@nzobadila). Vous pouvez y trouver ses partages lectures mettant en avant les autrices mais aussi les ouvrages portant sur les questions de représentation des personnes noires dans les sociétés occidentales.

Si vous souhaitez contacter l’équipe des Grenades, vous pouvez envoyer un mail à lesgrenades@rtbf.be

Les Grenades-RTBF est un projet soutenu par la Fédération Wallonie-Bruxelles qui propose des contenus d’actualité sous un prisme genre et féministe. Le projet a pour ambition de donner plus de voix aux femmes, sous-représentées dans les médias.

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