Bley Mokono, victime des attentats du 13 novembre : "Être tout le temps dans la guerre dans la tête, c’est une douleur qu’il faut porter tous les jours"

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Par Fabrice Gérard, avec A. Lo.

Ils ont été marqués dans leur chair, ils en font encore des cauchemars la nuit, les victimes ont la parole à partir d’aujourd’hui au procès des attentats du 13 novembre 2015 à Paris. Cinq semaines d’audition des victimes qui vont venir raconter cette soirée lors de laquelle 130 personnes ont perdu la vie dans une triple attaque terroriste au Stade de France, dans la salle de spectacle du Bataclan et sur des terrasses de cafés et de restaurants de la capitale française. Notre journaliste Fabrice Gérard a rencontré une victime de ces attentats terroristes. Il s’appelle Bley Mokono, il était agent de sécurité, garde du corps, avant d’être grièvement blessé lors de ces attentats, et c’est l’une des premières victimes qui va témoigner aujourd’hui devant la cour d’assises.


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C’est un homme meurtri dans sa chair, qui a perdu l’usage de ses jambes, mais qui a décidé de faire face à son destin avec énormément de courage et de dignité. Il viendra témoigner, il fera face aux accusés et plutôt que de tomber dans la haine et le sentiment de vengeance, il viendra délivrer en quelque sorte un message d’humanisme parce que Bley Mokono est un musulman pratiquant, et il refuse que sa religion soit vectrice de violence et de terreur.

Il était ce soir-là avec son fils au Stade de France. "Pour la première fois, exceptionnellement, de ma vie, j’y étais pour aller regarder le match de foot avec mon fils. Et la seule fois où ça se passe, c’est là où ça se produit. Nous, on a eu l’idée, alors que lui, il avait ce pressentiment que ça ne se passait pas bien ce soir-là et qu’il voulait rentrer direct dans le stade. On a eu la mauvaise idée adulte de lui dire : 'Non, avant d’aller regarder le match, il faut qu’on aille se manger une bonne merguez à la bonne franquette', comme on a toujours su faire, manger une bonne merguez de barbecue. Et ces quatre merguez ont failli nous coûter la vie."

Être tout le temps dans la guerre dans la tête, c’est une douleur qu’il faut porter tous les jours

Six ans plus tard et des mois de revalidation, Bley Mokono est encore marqué psychologiquement par la violence de ces actes terroristes. "Sur le point de vue santé, c’est difficile parce que je suis en situation de handicap, donc en fauteuil roulant, mais la douleur est au-delà des douleurs physiques. Au niveau des jambes, je ne sens plus rien, donc je n’ai pas de douleurs, mais par contre, au niveau des problèmes de sphincter, des problèmes digestifs, des problèmes de mal de tête et des problèmes de syndrome post-traumatique — ne pas dormir, dormir très mal, faire des cauchemars, être tout le temps dans la guerre dans la tête — ça, c’est une douleur, et c’est une douleur qu’il faut porter tous les jours. De se dire que la nuit arrive et qu’on ne va pas dormir pendant que d’autres dorment, je pense qu’on pourrait nous confier le métier de surveiller la nuit, il ne se passerait rien parce qu’on est tellement éveillés avec des yeux grands ouverts."

Ce mardi, Bley Mokono sera l’une des premières parties civiles à venir témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris. Et malgré une certaine appréhension, il sera déterminé à faire face à ceux qui sont dans le box des accusés. "Si le président nous permet de les regarder dans les yeux, mon envie et mon désir, c’est de les regarder dans les yeux, qu’ils voient dans quelles difficultés ils nous ont mises et quelle est leur responsabilité. Ils savent qu’ils auront des comptes à rendre. Ils ont des comptes à rendre ici, mais pour un croyant comme moi qui a la foi, ils ont aussi des comptes à rendre là-haut. Et quand ils auront des comptes à rendre là-haut, ils devront rendre des comptes sur ce qu’ils nous ont fait subir, à nous, personnes innocentes. Je n’impose pas ma religion à qui que ce soit, mais je sais vivre en société."

Les victimes du terrorisme font partie de l’histoire

Aujourd’hui, Bley Mokono a décidé de s’investir en politique dans la ville qui l’a vu grandir, avec la volonté de servir d’exemple, de rassembler les communautés et les différentes confessions autour de l’idéal républicain, loin de la tentation de la violence. "J’ai commencé comme un bagarreur, j’ai commencé comme un boxeur, vécu dans les quartiers populaires, avec la difficulté, autour de la drogue, des bars, autour de la violence, mais j’ai fait le choix de m’en sortir. J’ai décidé de faire autre chose que ça. Quelle société je veux donner à mes frères et sœurs ? Aujourd’hui, la réponse est : quelle société je veux donner à mes enfants ? Donc, je ne m’éparpille pas, je suis très bavard parce que ce que je vis là est quelque chose de très traumatisant et il faut que ça fasse partie de l’histoire. Je ne veux pas qu’on l’oublie. Les victimes du terrorisme font partie de l’histoire."

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