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Bousculade dramatique en Israël : "Les autorités ont fermé les yeux sur une pagaille, comme elles l’ont fait depuis des années"

Des juifs orthodoxes se retrouvent sur le lieu du drame, au lendemain de la bousculade mortelle.

© JACK GUEZ / AFP

"C’était une catastrophe annoncée. En laissant autant de gens dans un espace aussi restreint, avec une topographie aussi risquée, quelque chose devait se passer." Journaliste et historien israélien, Marius Schattner connaît bien le monde ultra-orthodoxe juif : il a consacré un ouvrage aux relations compliquées entre laïcs et religieux en Israël (1).

La bousculade qui a provoqué la mort de dizaines de personnes lors d’un pèlerinage pose beaucoup de questions, même si l’heure aujourd’hui en Israël est d’abord au deuil.


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Le drame a eu lieu durant la fête juive de Lag Baomer, qui est l’occasion d’un grand pèlerinage au mont Méron, dans le nord d’Israël. "C’est le pèlerinage le plus important en Israël, et auparavant en Palestine. Il se déroule, depuis plusieurs siècles, raconte l’historien. Il célèbre la fin d’une épidémie de peste dans l’antiquité. Et c’est le lieu de la tombe de Rabi Bar Yochaï, un des grands rabbins de l’époque romaine, un grand mystique."

Première grande foule autorisée

"C’est une fête, ça se passe dans la joie en principe. Cette fois-ci, il rassemblait 100.000 personnes, mais il y en a eu plus dans le passé. Il prenait une dimension particulière, parce que le pèlerinage avait été interdit l’an dernier à cause du Covid et du risque de propagation de la maladie. C’était la première fois qu’une très grande foule pouvait à nouveau se rassembler."

La vaccination rapide des Israéliens leur a permis de lever de nombreuses restrictions, mais c’était le premier événement de cette ampleur autorisé. Officiellement, 10.000 personnes pouvaient y participer, alors que certaines années l’événement a rassemblé jusqu’à 250.000 participants. Apparemment, aucune mesure de limitation d’accès au site n’avait été mise en place.

Pas d’organisateur responsable

"La propriété et la responsabilité de la gestion de ce lieu saint ne sont pas clairement établies, explique Marius Schattner. C’est ce flou que l’on paie : il n’y a pas une organisation centralisée du pèlerinage."

D’après les informations qui circulent en Israël, la fermeture d’une rampe de sortie a pu provoquer la bousculade mortelle. "A un moment, un barrage policier a été établi parce qu’il y avait peut-être un blessé, ou un incident, pense Marius Schattner. Chaque année, il y a des participants qui s’évanouissent à cause de la chaleur. La police a probablement dû fermer une issue pour soigner quelqu’un. Ça a provoqué une accumulation de gens et une cascade de chutes."

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Le point d’orgue du pèlerinage se déroule autour de grands feux allumés dans des espaces enclavés. "Les groupes religieux viennent à tour de rôle, c’est un roulement. Au moment de la catastrophe, c’était le groupe Toldos Aharon, très radical, antisioniste, qui procédait à son culte. La plupart des victimes appartiennent à cette secte."

Pourquoi autant de personnes ont-elles été autorisées à entrer sur le site ? Quelles mesures ont été prises pour gérer les mouvements de foule ? "Après le deuil viendra le temps de l’enquête", écrit sur Twitter l’ancien journaliste de i24news Julien Bahoul. "Les forces de sécurité qui ont laissé entrer autant de monde sur le lieu, bien au-delà de ce qui était permis, devront rendre des comptes. Je suis bouleversé et en colère."

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Il y a dix ans déjà, le contrôleur d’Etat israélien avait lancé un avertissement sur les lacunes de sécurité au Mont Méron. Mais son rapport était resté lettre morte, souligne le quotidien Haaretz.

"Le ministère de la santé avait demandé des restrictions" pour raisons sanitaires, ajoute Marius Schattner. "Mais les autorités n’ont pas suivi. C’est peut-être lié une désorganisation due à l’absence actuelle de gouvernement en Israël."

Les partis ultra-orthodoxes très courtisés

Les élections du 23 mars ont livré un paysage politique très éclaté. Le Premier ministre sortant Benjamin Netanyahou tente toujours de réunir une nouvelle coalition, pour laquelle il a besoin de l’appui des deux partis ultra-orthodoxes. Ceci pourrait expliquer une certaine tolérance pour l’organisation du pèlerinage pour faciliter les négociations. A chaque phase de formation d’un gouvernement en Israël, les partis religieux demandent des facilités pour le public ultra-orthodoxe, comme le financement des écoles talmudiques ou l’exemption du service militaire, en échange de leur appui politique au gouvernement.

"A ce stade, on est dans le flou, remarque Marius Schattner. Ce qui est certain, c’est que les autorités ont fermé les yeux sur une pagaille, comme elles l’ont fait depuis des années. Il y a eu des avertissements qui n’ont pas été suivis. Le ministère de la santé lui craignait surtout la propagation du Covid, mais n’a pas été écouté en raison de l’imbroglio gouvernemental en Israël."

"La responsabilité apparaîtra, prédit Marius Schattner. Mais les décideurs politiques rejetteront probablement la responsabilité sur les niveaux inférieurs. On n’en parle pas encore aujourd’hui, parce qu’on est sous le choc."

Des mesures peu respectées

Depuis le début de la crise du Covid, les communautés juives ultra-orthodoxes ont régulièrement manifesté un rejet des règles sanitaires imposées par les autorités. "A certains moments, la population orthodoxe n’a pas suivi les consignes, en particulier celles de confinement et le gouvernement n’a pas réagi", souligne Marius Schattner. En revanche, ce public a largement participé à la campagne de vaccination, facilitant la reprise progressive d’une vie normale.

Le drame du Mont Méron va probablement laisser des traces dans le pays, divisé entre juifs religieux et laïcs. "Ça va accroître l’hostilité du camp laïc, prévoit Marius Schattner, en raison du comportement de l’Etat qui a fermé les yeux et aussi en raison du comportement des ultra-orthodoxes qui, pris par leur foi et leur exaltation, ne parviennent pas à se restreindre. Ce débat entre les deux camps est intrinsèque à la société israélienne. Mais la tragédie d’aujourd’hui est durement ressentie par l’ensemble de la société israélienne."

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(1) Marius Schattner, "Israël, l’autre conflit. Laïcs contre religieux", André Versaille.

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