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Brésil : "Il y a des bases qui sont puissantes, qui sont mobilisées et qui sont prêtes à tout"

Un sympathisant de l’ex-président brésilien Jair Bolsonaro attaque le bâtiment du Congrès

© 2023 Anadolu Agency

Les autorités judiciaires au Brésil ont lancé les premières investigations pour déterminer les responsabilités de la prise d’assaut de plusieurs bâtiments officiels dimanche par des partisans de l’ex-président d’extrême droite Jair Bolsonaro à Brasilia, où est revenu l’actuel chef état Luiz Inacio Lula da Silva qui a dénoncé l’œuvre de "putschistes".

Après plusieurs heures d’un chaos qui a rappelé l’invasion du Capitole à Washington il y a deux ans, les forces de l’ordre ont repris le contrôle du palais présidentiel, du Congrès et de la Cour suprême envahis dimanche par des centaines de manifestants anti-Lula, selon le ministre de la Justice et de la Sécurité Flavio Dino.

"Les putschistes qui ont promu la destruction des propriétés publiques à Brasilia sont en train d’être identifiés et seront punis. Demain nous reprenons le travail au palais de Planalto. Démocratie toujours", a tweeté le président de gauche, qui a inspecté les bâtiments saccagés à son retour à Brasilia tard dimanche soir.

Plus de 300 personnes ont été interpellées et le parquet général a demandé l’ouverture immédiate d’investigations pour établir "la responsabilité des personnes impliquées" dans l’attaque des bâtiments officiels.

Quelles sont les motivations profondes des insurgés ? Quelles conséquences sur la démocratie brésilienne ? Nous avons posé ces questions à Frédéric Louault, directeur du Centre d’Etudes de la vie politique (Cevipol) à l’ULB, et spécialiste de l’Amérique latine.

Qui sont ces personnes qui ont décidé d’envahir les lieux de la démocratie brésilienne ?

Frédéric Louault : "Initialement, ce sont des militants qui rejettent les résultats de la dernière élection, qui les contestent, qui considèrent que Bolsonaro est le président légitime du pays, et qu’il aurait dû être réélu. Ce sont des personnes qui sont très tournées vers les forces armées, pour leur demander d’intervenir pour mettre un terme prématuré à ce gouvernement-là. Elles sont favorables à un coup d’Etat militaire pour restaurer le pouvoir de Jair Bolsonaro.

Alors bien sûr que leur mobilisation, leur convergence est spontanée, mais il y a plusieurs tentatives d’organisation relayées par les réseaux sociaux. Mais derrière ça, il y a surtout d’autres mouvements nés le soir du second tour des élections, avec des groupes qui ont bloqué les routes, d’autres qui ont campé devant des bâtiments militaires pour implorer l’armée d’intervenir et d’interrompre la transition électorale. Ces militants bolsonaristes se sont organisés de manière disséminée sur l’ensemble du territoire pour ensuite une semaine après la prise de pouvoir engager un bras de fer, mettre en place une démonstration de force et mettre sous pression la démocratie brésilienne dans son ensemble."

© 2023 Anadolu Agency

Qu’est-ce que cela dit de la démocratie brésilienne aujourd’hui ? Quelle est la responsabilité de Jair Bolsonaro et comment le nouveau président Lula pourra gérer le pays dans un tel contexte ?

Frédéric Louault : "Le mot d’ordre de ces militants vient de loin, parce que c’est l’utilisation des réseaux sociaux par Bolsonaro est peut être l’arme la plus puissante, il l’a même utilisée même pour arriver au pouvoir en 2018, et en fait durant tout son mandat il a entretenu la défiance vis-à-vis des institutions démocratiques, notamment du Congrès et de la Cour suprême. Il a cessé de mobiliser depuis, et donc aujourd’hui Bolsonaro reste plus prudent sur les réseaux sociaux, il ne relance du moins pas des discours de haine. Mais ses militants se sentent autorisés sans même avoir un mot d’ordre à menacer la démocratie, à menacer les institutions et à entrer dans un rapport de force frontal.

Mais là encore, après l’assaut de la Place des Trois pouvoirs, Jair Bolsonaro n’a pas condamné ces actions. Il a dénoncé du bout des lèvres des actions qu’il considère comme n’étant pas respectueuses de la règle mais il a été beaucoup moins '"condamnant" que l’ont été d’autres dirigeants de son groupe politique, pendant que les organes des médias principaux parlaient même d’actions terroristes.

En réalité, à droite, il y a une sorte de double discours, de double jeu. C’est une droite qui a toujours été aussi divisée entre une partie plus modérée qui joue le jeu de la compétition politique et une partie beaucoup plus radicale qui cherche à conquérir l’espace de l’espace public, à produire une polarisation politique, à chercher la rupture avec l’ordre constitutionnel et démocratique.

C’est à double tranchant, parce que cela montre qu’il y a des bases qui sont puissantes, qui sont mobilisées et qui sont prêtes à tout pour aller au-delà de la simple opposition politique.

Donc ça crée finalement une sorte de d’arrière-garde, de menace, une épée de Damoclès qui pèse au-dessus du gouvernement Lula.

Le message qu’il y a derrière cet assaut, c’est que l’opposition est déterminée. Elle va pousser Lula à la faute, et ne va pas lui faire de cadeaux. Il a maintenant donc une double opposition face à lui : l’opposition au Congrès qui est l’opposition institutionnelle, très forte, mais aussi cette épée de Damoclès qui est ce risque continu d’une intervention dans l’espace public, d’une invasion de l’espace public plus ou moins brutale, plus ou moins violente, de la part des militants bolsonaristes les plus radicalisés et qui, pour beaucoup d’entre eux, sont imprégnés par le fascisme."

 

En réalité, à droite, il y a une sorte de double discours, de double jeu. C’est une droite qui a toujours été aussi divisée entre une partie plus modérée qui joue le jeu de la compétition politique et une partie beaucoup plus radicale qui cherche à conquérir l’espace de l’espace public, à produire une polarisation politique, à chercher la rupture avec l’ordre constitutionnel et démocratique.

C’est à double tranchant, parce que cela montre qu’il y a des bases qui sont puissantes, qui sont mobilisées et qui sont prêtes à tout pour aller au-delà de la simple opposition politique.

Donc ça crée finalement une sorte de d’arrière-garde, de menace, une épée de Damoclès qui pèse au-dessus du gouvernement Lula.

Le message qu’il y a derrière cet assaut, c’est que l’opposition est déterminée. Elle va pousser Lula à la faute, et ne va pas lui faire de cadeaux. Il a maintenant donc une double opposition face à lui : l’opposition au Congrès qui est l’opposition institutionnelle, très forte, mais aussi cette épée de Damoclès qui est ce risque continu d’une intervention dans l’espace public, d’une invasion de l’espace public plus ou moins brutale, plus ou moins violente, de la part des militants bolsonaristes les plus radicalisés et qui, pour beaucoup d’entre eux, sont imprégnés par le fascisme."

© 2023 Anadolu Agency

Comment la situation pourrait-elle évoluer ?

Frédéric Louault : "Le fédéralisme au brésil comporte 3 niveaux de pouvoir. Et donc Lula, qui a la charge du gouvernement fédéral, va devoir aussi concilier avec des gouverneurs qui sont des alliés de Bolsonaro. Ça va être une première difficulté pour lui puisque Les États les plus puissants du Brésil, comme Sao Paulo et Rio de Janeiro sont des états qui sont gouvernés par des proches de Bolsonaro. Et au niveau local, les prochaines élections qui auront lieu dans deux ans, des élections qui sont comme des élections de mi-mandat, seront un test pour la popularité de Lula mais aussi pour l’implantation de son parti, le Parti des travailleurs (PT) et généralement de la gauche dans la société.

On a vu aux dernières élections municipales que c’est un ancrage conservateur qui s’était confirmé et qui s’est encore amplifié aux élections législatives 2022.

Donc Lula est un président de la République qui va devoir multiplier les concessions s’il veut pouvoir gouverner et s’il veut pouvoir se ménager une certaine marge de manœuvre.

Et le fait qu’il y ait eu cet assaut contre les institutions démocratiques renforce la pression sur Lula, qui sait que, en plus de devoir concilier avec les institutions officielles, le Congrès, certains gouverneurs et d’autres forces politiques, il va devoir aussi essayer de contenir cette pression qui vient de la base de la société."

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