Brésil : Lula réélu, un espoir pour l’Amazonie ?

"Lors de la campagne, Lula a d’abord valorisé son bilan environnemental lors de ses deux premiers mandats", explique Frédéric Louault, professeur de sciences politiques à l’ULB et auteur du livre "Le Brésil en 100 questions : l’interminable émergence". Mais selon lui, le candidat de gauche n’a pas été élu pour ses positions environnementales.

"La protection de l’environnement n’a pas été un sujet décisif lors de l’élection. Cela s’est joué sur autre chose. Lula a essayé de mettre ce sujet sur la table mais Bolsonaro a résisté."

Un avis que partage Marc Lenaerts, anthropologue à l’ULB et fin connaisseur du Brésil : "Le problème c’est le Brésil. Le pays réagit très lentement. Les Brésiliens ont l’impression que l’Amazonie sera toujours là et ils n’ont pas l’impression qu’elle peut être détruite." Pourtant, la déforestation atteint des points de non-retour."C’est catastrophique. Les défricheurs sont entrés dans de nouveaux endroits dans lesquels on n’avait jamais été avant. C’est une véritable bombe à retardement", avertit l’anthropologue.

D’après les deux experts, le président élu n’a pas encore fixé de nouveaux objectifs clairs pour sa politique environnementale. "Il devra par contre rattraper les objectifs très ambitieux fixés lors de la COP26 en 2021. Le Brésil s’est par exemple engagé à atteindre la neutralité carbone pour 2050 et à mettre fin à la déforestation pour 2030", détaille Frédéric Louault.

Lors de sa première présidence, Lula a créé un ministère de la transition climatique qui a ensuite été supprimé par Bolsonaro. Mais celui-ci n’a pas seulement supprimé un ministère. Durant son mandat, la déforestation est repartie à la hausse.

Rien qu’en 2021, plus de 13.000 km² de forêt sont partis en fumée. Pour retrouver de tels niveaux, il faut remonter à 2008. Quatre ans plus tôt, en 2004, ce chiffre était deux fois plus élevé, avec près de 28.000 km² de forêts englouties. Cette année-là, un socialiste, ancien ouvrier métallurgiste, est à la tête du pays. C’est Lula, au pouvoir depuis 2003.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, le taux de déforestation est bien plus élevé durant le premier mandat de Lula que lors de l’ère Bolsonaro. Mais la grosse différence se situe dans le bilan des deux hommes. Lors de ses huit ans de présidence, Lula a fait baisser drastiquement le taux de déforestation.

Entre 2005 et 2015, le taux de déforestation a dégringolé de 76%, et ce, grâce à un "Plan d’action pour la prévention et le contrôle de la déforestation dans l’Amazonie légale", instauré en 2004. Lula a aussi adopté des mesures en faveur des indigènes. "Ces peuples voient l’Amazonie comme une grande terre qu’ils défendent, explique l’anthropologue. Donc en protégeant ces peuples, on protège la forêt. Mais ces mesures se sont écroulées avec Bolsonaro."

Pourtant, le bilan de Lula n’est pas tout rose non plus. "Lors de son premier mandat, il a permis de grandes avancées mais il était souvent confronté à un dilemme : limiter la déforestation ou garder le soutien de l’agrobusiness", nuance Frédéric Louault. Et ce dilemme est toujours présent aujourd’hui.

En bref, Lula va devoir accélérer les politiques qu’il a lui-même mis en place et que Bolsonaro a détricotées pendant quatre ans.

Suite à la victoire de Lula, la Norvège a annoncé qu’elle allait relancer son aide financière pour l’Amazonie qu’elle avait gelée sous la présidence de Jair Bolsonaro. Environ 487 millions d’euros attendraient sur le Fond de préservation de la forêt amazonienne. Et d’autres pays pourraient suivre, selon les deux experts.

"L’Union européenne a de grandes attentes. C’est un peu comme avec Joe Biden après la présidence de Trump. De nombreux pays espèrent tisser de nouveaux liens", analyse Frédéric Louault. D’une certaine manière, Lula replace le Brésil comme un acteur crédible de la lutte contre le changement climatique. "Cependant, pour les Brésiliens, la souveraineté dans la gestion de l’Amazonie est très importante. Ils n’apprécient pas que des puissances étrangères interfèrent dans cette matière", poursuit-il.

Si Lula est soutenu à l’international, il l’est beaucoup moins au sein du Parlement brésilien. Pour rappel, le Parti libéral (PL) de Bolsonaro a obtenu 99 sièges sur 513 lors des élections du 2 octobre dernier.

L’assemblée, très à droite, risque de bloquer les efforts du nouveau président. "Lula a une politique de la négociation. Il va essayer le consensus mais il ne peut pas tordre la main du Congrès où il est minoritaire. Il va devoir mener une politique de l’équilibriste", conclut Frédéric Louault.